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in 2011 witii funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/almanaclideslettrOOmary
ALMANACH
DES LETTRES
ET DES ARTS
VAmanach des Lettres & des Arts est publié sous
la direction littéraire de M. ANDRE MARY et
sous la direction artistique de M. RAOUL DUFY.
6h
Il a été tiré de cet ouvrage six exemplaires sur
papier de Chine, hors commerce, numérotés de i
à 6, et vingt-cinq exemplaires sur papier vergé
d'Arches, numérotés de 7 à 31.
ALMANACH
DES LETTRES
ET DES ARTS
Calendrier pour 1917. — Poésies,
Contes 6 Nouvelles. — Essais sur
les Idées et les Mœurs d'Aujourd'hui
et sur l'état présent des Beaux- Artt
en France.
Enrichi de nombreuses illustrations,
de douze bois originaux et de
trente-deux hors-texte.
ÉDITE PAR MARTINE
Choses à la Mode ^v>BIBL/^^
83. Faubourg Saint- Hoj-^ ^
PARIS
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Lo nui'î~de Chine nn Ze mouchoir de T^oj/ney^
h~anhan /o Tu/ipe.
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eT' caetera. ..
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ZCIA.A^.
UN DOCUMENT
Un collectionneur a bien
voulu nous autoriser à repro-
duire ce curieux texte chinois
poétique qui date d'une
époque primitive.
Nous le publions ici avec
sa traduction et les savantes
explications des caractères
qui le composent :
Ce texte, dont la traduction
littérale est : « Nuit au Pays
de Chine (pays de fleurs)
parfum agréable», célèbre la
douceur embaumée des nuits
d'Orient.
Il nous a paru piquant de
le mettre sous les yeux de
nos lectrices au moment où
le parfum « Nuit de Chine * ,
créé par « Rosine, parfu-
meuse » , se trouve dans
tous les magasins.
— 2 —
NUIT DE CHINE
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D'i'Cu.r- CLç^<ia.hlA., C 'e.sf Cc^t "^u. i^/'^<.y ^cxJ ^<in -
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Ce CO-'iOuefc'ai CL^J/"^ le Sens cXji^ foaji;^urn a^yçcLéùL. .
FANFAN LA TULIPE
Que ce soit le chevalier de la légende s'en allant
à la guerre en tenant dans ses doigts la fleur mer-
veilleuse, que ce soit le garde-française à perruque
blanche et moustaches frisées, ou le petit tambour
en bonnet de police battant la charge, ou enfin le
tourlourou grimpant à l'assaut et plantant sur la
brèche le drapeau tricolore, c'est toujours Fanfan
la Tulipe, le soldat de la chanson, le héros familier.
Et c'est toujours aussi le même parfum riche,
ardent, généreux, dont les bouffées nous vont droit
au cœur, parfum d'insouciance aimable, parfum de
bravoure joyeuse, parfum des fleurs qu'on plante
au bout des fusils. Victorieux et triomphant, chas-
sant les ténèbres de la nuit, il monte avec le soleil,
emplit toute l'atmosphère, court par le monde. C'est
comme le bouquet d'un vieux vin de France, c'est
je ne sais quelle odeur de gloire, c'est l'arôme de
chez nous.
R. B. DE M.
Les parfuma de Rosine.
Deuin de Bernard Naudtn
5 —
TOUTE LA FORET
Parfum de Rosine.
Un arôme de muguet, un soupçon de fougère
fauve et aussi l'odeur des gazons mouillés. On
songe à la fraîcheur matinale des bois, à leurs pro-
fondeurs vertes, aux mares silencieuses qui dor-
ment sous les branches. L'air est vif, piquant,
harmonieux. Un délice. On songe aux réveils prin-
taniers, aux élans juvéniles, à l'éclat des premiers
beaux jours. Surtout on songe à l'allée secrète, au
banc rustique, au son d'un pas cher et familier.
Oui, c'est bien la même senteur fine et vivifiante,
parfum de mousses humides, de bourgeons prêts
d'éclore, d'eaux glissant dans la menthe et le thym,
le même souffle pur et léger, accouru dans le fré-
missement des feuilles, apportant avec lui la joie
de vivre, les caresses de l'aurore, la gaieté d'un
amour naissant.
R. BOUTET DE MONVEL.
- 7 -
Parfum de Roiine
— 9 —
Bois gravé par Dufy
CHEZ POIREÏ
Rêve somptueux, décors légendaires, c'est tout
un monde fabuleux qui surgit comme par enchan-
tement. Visions magnifiques, songe des Mille
et une Nuits où défilent sans trêve les parures
les plus neuves, les atours les plus audacieux, les
recherches les plus exquises. Profusion de soies
chinoises et de toiles de Perse, étoffes des Indes,
tissus fabriqués sous un ciel inconnu; richesse des
couleurs, contraste \'iolent des tons, du bleu, du
vert, du noir et de l'argent; fantaisies évoquant
le souvenir de Carthage ou Bagdad, casques de
perles et tuniques à carreaux; métaux rares et
pierres fines, fourrures impondérables et gazes
lamées; un éblouissement, une i\Tesse, le parfum
dominateur et captivant que traînerait dans son
sillage le manteau triomphal d'une impératrice
d'Asie.
R. B. DE M.
La parfumi de Rotine.
— 10 —
Destin d'Iribe
II
LE MINARET
Subtil et doux, il attire comme un fredonne-
ment de guitares lointaines ou comme le chant
monotone de quelque flûte invisible. Voilà qu'il
monte, se répand alentour et peu à peu, vaincu
par le charme, esclave de ce guide mystérieux, il
semble que vous franchissiez le seuil de je ne sais
quel palais enchanté. Il fait sombre, un peu lourd.
Dehors, c'est le soleil de midi, les rues désertes, les
arbres se pâmant de chaleur. Mais fenêtres et
portes restent closes. Au fond des galeries vertes
et bleues on aperçoit des groupes endormis. Puis ,
c'est une cour, des mosaïques, un bassin d'eau
limpide. Et partout flotte le parfum capiteux et
troublant, parfum de myrrhe et d'œillet d'Inde.
Nulle voix humaine, nul pas résonnant sur les
daUes. On se croirait dans le château de la Belle
au Bois dormant, si ce n'était le bruit léger des
fontaines et la flûte invisible qui soupire, mélan-
colique et solitaire.
Roger Boutet de Monvel.
12 —
Dessi.1 Je Fauconnet
LE MINARET
PARFUM DE ROSINE
13 —
BORGIA
Autrefois, sous le règne du Pape Alexandre, les
cavaliers en remplissaient le chaton de leur bague
et l'on sait comment don Ottario séduisit la tendre
Julie. Lors des noces de sa fille, on dit que le Car-
dinal Rodriguez versa force dragées dans le cor-
sage des dames romaines et que ces innocentes
friandises jetèrent un trouble extrême parmi les
nobles invités. On dit enfin que, la tête pleine des
desseins les plus magnifiques, César Borgia lui-
même ne cessait de rouler entre ses doigts une
boule d'or contenant un peu de l'élixir magnifique.
Philtre ensorceleur, parfum légendaire ! nul ne
dévoilera donc tes origines mystérieuses ? Es-tu
né dans Vérone ou Capoue, chez une courtisane
de Venise ou chez les sorcières de Sicile ? Intacte,
inestimable, ta recette cependant est venue jusqu'à
nous, ton arôme a gardé son pouvoir tout-puissant
et l'on en connaît les effets redoutables puisque
de toi, parfum irrésistible et délicieux, une seule
goutte rend encore fou !
R. B. DE M.
Les parfums de Rosine-
— 14 —
zTjl^
Bon grave par Laboureur
BORGIA
PARFUM DE ROSINE
— i6
EXPLICATION DES SIGNES
Dimanche 'f
Jour de Fête Ô
Jour de petite Fête . . . . *i*
Fêtes de Notre-Dame . . . +
Jour ouvrable ^
Jour de beau temps. . . . @
Jour assez beau Q
Jour de chaleur ^
Jour venteux (j)3
Eclairs fï»
Pluie .A
Tonnerre. ^
Froid ÎJ"
Brouillartl ^
Nouvelle Lune .
Premier quartier
Pleine Lune , .
Dernier quartier
Neige
Bon semer et planter
Bon couper le bois .
Bon prendre médecine
Bon prendre pilules.
Bon traiter les yeux.
Bon couper les ongles
Bon couper les cheveu
Bon saigner ....
Bon ventouser . . .
DATES DES PRINCIPALES FETES
Epiphanie 6 janv.
Purification 2 févr.
Septucigésime .... 4 »
Mardi gras 20 »
Cendres 21 »
Mi-Carême . . ..15 mars
Rameaux i avril
Vendredi saint. ... 6 «
Pâques 8 »
Quasimodo 15 »
Rogations 14 mai
Ascension 17 »
Pentecôte 27 »
Trinité 3 juin
Fête-Dieu 7 »
Visitation de N.-D. . 2 juill.
Fête nationale. ... 14 »
Transfiguration ... 6 août
Assomption 15 »
Nativité de N.-D. . . 8 sept.
Toussaint i nov.
Trépassés 2 »
Présentation 21 »
Avent 2 déc.
Imm. Conception . . 8 »
Noël 25 »
— 18 —
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JANVIER
LE VERSEAU
Le nom de ce mois vient de
fin à 10 h. 53 m. En partie visible
Janus, roi mythique du Latium,
à Paris.
dieu des portes, des départs et des
Le 14 janvier correspond au
retours, inspirateur de la guerre
I*' janvier du Calendner Julien.
et protecteur de la paix.
Le 23 février, éclipse partielle
Le 8 janvier, éclipse totale de
de soleil ; commencement à 5 h.
lune, commencement à 4 h. 36 m.,
43 m., fin à 9 b. 1 3 m. Visible à Paris.
PHASES
SOLEIL
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FÊTES
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Mardi
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S. Marcel . . . .
S. Antoine . . .
Ch. S. Pierre . .
S. Parres . . . .
S. Sébastien . . .
S*^ Agnès, vier'^e.
S. Vincent . . .
S. Raymond . .
S. Timothéc. . .
Conv. de S. Paul,
S. Poly carpe . .
S. Jean Chrysost.
S. Charlemagne .
S. François de S.
S* Martine . . .
S. Pierre Nol. .
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II h.
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à 7 h.
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1636
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1639
16 41
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1644
H. M.
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8 2
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845
9 5
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9 49
10 16
1049
H. M.
1023
1047
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12 57
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15 33
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19 'î^
21 18
2238
23 56
1 1 1
2 23
FêUs Patronalts : 12 Ste Lucie, Boulangers. — 13
17 St Antoine, Bouchers, Charcutiers. — 22 St Vincent , Vi^;
Ste Véronique, Lingères.
lerons. — 25 St Paul, Cordiers.
LES QUATRE COMPLEXIONS
Le sangxiin a nature de l'air,
moite et chaud ; il est large, plan-
tureux, attrempé, aimable, joyeux,
chantant, riant, charnu, vermeil
de visage et gracieux, ; il a vin
de singe ; tant plus il a bu, tant
plus il est joyeux, se tire près des
dames et naturellement aime les
habits de belle couleur.
Le colérique est de nature du
feu, chaud et sec; naturellement
est maigre, grêle, convoiteux,
colère, hâtif, escer\'elé, fol, large,
décevant, malicieux, subtil où il
applique son sens, a vin de lion,
c'est-à-dire quand il a bien bu,
veut tanser, quereller et battre et
volontiers aime être vêtu de belle
couleur comme de drap gris.
Le flegmatique a nature d'eau
froide et moite ; 11 est triste, pensif,
paresseux, pesant et endormi,
caut, ingénieux; abondant en
flegmes ; volontiers crache quand
il est ému, est gras au visage et
a vin de mouton.
Le mélancolique a nature de
terre, sec et froid ; il est triste,
pesant, convoiteux, médisant,
Boupçonneux et paresseux ; il a
vin de pourceau.
— 20
Le plus grand dérèglement de l'esprit, c'est de croire les
choses parce qu'on veut qu'elles soient et non parce qu'on
a vu qu'elles sont en effet.
Sous le nom de nature, nous entendons une sagesse
profonde qui développe avec ordre et selon de justes régies
tous les mouvements que nous voyons.
BOSSUET.
LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE
Le lion dans sa tête avoit une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.
Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :
L'éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L'ours s'apprêter pour les assauts ;
Le renard ménager de secrètes pratiques;
Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours.
« Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes qui sont lourds,
Et les lièvres sujets à des terreurs paniques.
— Point du tout, dit le roi, je les veux employer :
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette;
Et le lièvre pourra nous servir de courrier, a
Le monarque prudent et sage.
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage.
Et connoit les divers talents.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.
La Fontaine.
— 21 —
LE JARDIN POTAGER
Continuer le labour. Mener les engrais et composts. Semer
sur couches : carottes, chicorée frisée, laitues de printemps
et romaines, melons, poireaux, radis. Planter sur couche :
choux-fleurs tendres hâtifs, laitues de printemps et romaines.
Forcer les asperges vertes. Préparer les meules à champignons.
On récolte en cave : barbe de capucin, pissenlit, champi-
gnons. Sous couverture : carottes, mâches, raiponce, scorso-
nère. Sous châssis en couche : asperges, épinards, laitue
crêpe ou gotte, radis.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Soigner les plantes qui doivent former les corbeilles de
bonne heure : fuchsias, géraniums, héliotropes.
LA CAVE
Fermer les celliers par les gelées, aérer par les temps doux.
Soutirages et ouillages. Mise en bouteilles.
RECETTE
Potée a l'oie. — Mettez dans une marmite remplie de
trois litres d'eau froide les restes d'un rôti d'oie (abatis et
carcasse), un morceau de lard de poitrine salé, des carottes,
un navet, un morceau de céleri, et laissez cuire pendant
trois heures. Ajoutez un chou de Milan moyen en feuilles et
deux cuillerées à bouche de graisse d'oie. Faites mijoter une
heure. Une demi-heure avant de retirer la potée du feu,
ajoutez quelques pommes de terre coupées en quartiers. Le
bouillon sert à faire une excellente soupe.
22 —
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FÉVRIER
LES POISSONS
lévrier était le dernier mois de
Comput eclésiastique pour i
917:
l'ancienne année romaine, consacré
Nombre d'or
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aux morts et à Februus, personni-
Cycle solaire
22
fication divine de la purification.
Epacte
6
Lettre dominicale . .
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Quatre-Temps 28 février.
Indiction romaine . .
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16 h.
44 m.
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17 28
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28
Mercr.
S. Romain .
A
*
638
1730
9 28
I 16
FtU Patronale. — 3
ît Biaise, Tisserands.
LE GRAS ET
LE MAIGRE
Le sultan Saladin, raconte
le diamant de Visapour. Le sultan
Brillât -Savarin, voiilant éprouver
les garda encore dans son palais
jusqu'à quel point pouvait aller
et, pour célébrer leur triomphe,
la continence des derviches, en
leur fit faire pendant plusieurs j
prit deux dans son palais, et, pen-
semaines, une chère également
dant un certain espace de temps.
soignée, mais exclusivement en
les fit nourrir de viandes succu-
poisson. A peu de jours, on les
lentes. Dans cet état, on leur
soumit de nouveau aux pouvoirs
donna pour compagnes deux
réunis de la jexmesse et de la
odalisques d'une beauté toute-
beauté ; mais cette fois, la nature
puissante, mais elles échouèrent
fut plus forte, et les trop heureux
dans leurs attaques les mieux diri-
cénobites succombèrent éton-
gées, et les saints sortirent d'une
namment.
épreuve aussi délicate, purs comme
24
Le Romantisme n'a pas soufflé son miasme sur les
conceptions théâtrales seulement. Il en a saturé les esprits
et les cœurs. Nos mœurs, les vertus et les vices, tous les
sentiments, bons ou mauvais, portent aujourd'hui le masque
exagéré du Mélodrame.
Il faudrait un nouvel Archiloque.
Jean Moréas.
RONDEAU
Ceulx qui deusscnt parler sont muts.
Les loyaulx sont pour sots tenus ;
Te n'en voy nuls
Qui de bonté tiennent plus compte.
Vertus vont jus, péché hault monte :
Ce vous est honte
Seigneurs grans, moyens et menus.
Flateurs sont grans gens devenus
Et à haults estats parvenus,
Entretenus,
Tant que rien n'est qui les surmonte.
Ceux qui deussent parler sont muts.
Nous naquismes pauvres et nuds ;
Les biens nous sont de Dieu venus.
Nos cas congnus
Luy sont pour vray, je vous le comte.
Pape, empereur, roy, duc ou conte,
Tout se mescompte,
Quant les bons se sont soustenus.
Ceux qui deussent parler sont muts,
Jean Meschinot.
25
LE JARDIN POTAGER
Fin des labours. Planter en pleine terre : ail, échalote,
pommes de terre (les abriter pendant les gelées). Planter
sur couche : choux-fleurs, laitues, melons. Semer en pleine
terre: cerfeuil, épinards, fève, oignon, persil, pois hâtifs.
Semer sur couche en place des semis de janvier : aubergine,
céleri, choux-fleurs, haricots hâtifs, laitue, navets. Biner et
fumer les asperges. Découvrir les artichauts si le temps est
humide. On récolte les mêmes produits qu'en janvier, plus
choux de Saint-Denis, laitue. Passion et Witloof.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Semer coquelicots, pieds-d'alouette, nigelles ; planter des
bordures de buis ; tailler et élaguer les arbustes à floraison
d'été.
LA CAVE
Continuer les ouillages, les soutirages ; faire ces dernières
opérations dans des vases et avec des instruments parfaite-
ment nettoyés.
RECETTE
Risotto au poisson. — Faire cuire au court-bouillon une
langouste ou un poisson de chair ferme que l'on découpe et
que l'on met dans un plat, au bain-marie. Passer le court-
bouillon et, dans la quantité nécessaire, jeter le riz que l'on
tourne jusqu'à parfaite cuisson, en ajoutant une cuillerée de
purée de tomate et les épices variées. Quand le riz est prêt,
y mêler une pincée de safran et en garnir le plat, saupou-
dré de parmesan, où l'on aura placé le poisson ou la
langouste.
— 26
MARS
LE BÉLIER
Premier mois de l'année ro-
maine, dédié à Mars, dieu de la
Guerre, et anciennement du Prin-
temps à qui le pivert était con-
sacré.
Calendrier anglais : St David,
i»'' mars, St Pattick, 17 mars.
Equinoxe de Printemps le
21 mars à 4 h. 27 m. 20 secondes.
JOURS
Jeudi
Vendr.
Samedi
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
Vendr.
Samedi
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
S. Aubin .
S. Simplice
S. Mairin .
Remiyiiscere
S. Adrien .
S« Colette.
S. Thomas d'A
S. Jean de D
S^ Françoise.
S. Doctrovée
Oculi. . . .
S. Grégoire .
S^ Euphrasie
S« Mathilde.
Mi-Carême .
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1^
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de la
lune
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P.L.
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SOLEIL
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Lever Couch.
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6 19
637
658
7 23
756
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— 27 —
PHASES
SOLEIL
LUNE
JOURS
FÊTES
SIGNES
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Lever
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H. M.
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H. M.
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36 m.
5 34 18 17
II 6
222
fi/« Patronale. — 19 St Joseph, charpentiers, Charrons
LES VENTS LOCAUX
Mistral. — Ce vent, dont
et parfois les déracine. En outre,
parlent déjà Virgile et Strabon,
il assèche fortement le sol et
est surtout connu en Provence,
donne au ciel une luminosité
où il est considéré comme un
remarquable.
fléau; mais il se fait sentir jusque
Le mistral souffle no jours par 1
sur le Bas-Languedoc et le Rous-
an à Marseille, soit près d'un
sillon. Sa direction est d'entre
jour sur trois.
Nord et Ouest.
La durée du coup de mistral
La violence du mistral est pro-
qui s'établit s'étend souvent sur
verbiale. Quand il souffle, l'air est
des cycles de 3, 6 ou 9 jours : dès
sec, le ciel se découvre, le baro-
sa venue, il souffle fortement et
mètre monte et la température
sa puissance s'accroît avec la
baisse. Cette violence, jointe au
hauteur du soleil au-dessus de
froid et à la sécheresse, produit
l'horizon, le maximum de vio-
sur l'homme xme impression phy-
lence ayant lieu cependant vers
siologique pénible. L'action de ce
14 heures; il faiblit au crépuscule.
vent sur le règne végétal n'est
souffle en légère brise pendant la
pas moins nuisible ; il flétrit les
nuit, puis le lendemain repasse
plantes délicates, courbe les arbres
par les mêmes variations.
1
28
Nos idées sont plus imparfaites que la langue.
Un défaut de la mauvaise poésie est d'allonger la prose,
comme le caractère de la bonne est de l'abréger.
Vauvenargues.
ODE
Pourquoy, chétif laboureur,
Trembles-tu d'un Empereur,
Qui doit bien tost, légère ombre,
Des morts accroistre le nombre?
Ne sçais-tu qu'à tout chacun
Le port d'Enfer est commun,
Et qu'une âme impériale
Aussi tost là-bas dévale
Dans le bateau de Charon,
Que l'âme d'un bûcheron?
Courage, coupeur de terre!
Ces grands foudres de la guerre
Non plus que tov n'iront pas
Armez d'un plastron là-bas,
Comme ils alloyent aux batailles :
Autant leur vaudront leurs mailles,
Leurs lances et leur estoc
Comme à toy vaudra ton soc.
Le bon juge Rhadamante
Asseuré ne s'espouvante
Non plus de voir un harnois
Là-bas, qu'un levier de bois.
Ou voir une souquenie
Qu'une robbe bien garnie.
Ou qu'un riche accoustrement
D'un Roy mort pompeusement.
Pierre de Ronsard.
— 29 —
LE JARDIN POTAGER
Terminer labours et enfouissement des engrais. Planter en
pleine terre : ail, asperges, échalotes, ignames. Repiquer
choux hâtifs, laitues d'été et romaines. Planter sur couche :
aubergine, concombre, melon, tomate. Aérer progressivement
les légumes forcés. Découvrir artichauts. Renouveler ou
planter oseille, civette, lavande, thym et plantes vivaces.
Semer en pleine terre, en plus des semis de février : bette-
raves, carottes, choux en pépinière, laitues, navets, oignons,
panais, persil, poireaux, radis, salsifis, scorsonère. Semer sur
couches sourdes : chicorée, choux de Milan et cabus, laitues
et romaines. Planter pommes de terre hâtives et griffes
d'asperges. On récolte mêmes produits qu'en février, plus :
carottes, cerfeuil, choux ÏNIilan et brocolis, laitues d'hiver,
navets, oseille, poireaux.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Taille des rosiers. Préparer sur couche sourde les dahlias;
semer sur couche l'amarante, la balsamine, le zinnia. Multi-
plier les violettes, les iris, les phlox.
LA CAVE
Terminer les soutirages, ventiler les caves et les celliers;
traiter les vins malades.
RECETTE
TouRNEBRiDEs Jenny. — Prendre des escalopes que l'on
roulera dans une pièce de toilette, après les avoir garnies de
la farce suivante : hachis de foie de veau, de champignons
et olives noires, mie de pain imbibée de lait, quelques petits
lardons, des raisins de Malaga, quelques grains de genièvre
marines dans de la bonne eau-de-vie et les épiées suivantes :
thym, romarin, écorce de citron, menthe, sauge, estragon,
persil, girofle, ail, échalote.
Ranger les escalopes dans une sauteuse, les faire dorer
dans le beurre, puis mijoter trois heures dans une sauce au
porto, relevée de cayenne et de paprika.
— 30
II
LE TAUREAU
Varron prétend qu'Avril veut
dire apéritif; c'est le mois, en
effet, où les bourgeons s'ouvrent
et où la végétation éclate de
toutes parts.
I.a lune rousse commencera le
21 avril à 14 h. I minute et unira
le 21 mai, à o h. 47 m.
Pâques nisses, le 15 avriL
JOURS
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
Vendr.
Samedi
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
Vendr.
Samedi
Dim.
FÊTES
Rameaux. . .
S. François de I
S. Richard . .
S. Isidore. . .
S*" Irène . . .
S. Célestin . .
S. Hégésippc .
PAQUES. . .
se Marie E-. .
S. Fulbert. . .
S. Léon le Grand
S. Jules. . . .
S. Justin . . .
S. Tiburct . .
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12 II
I 27
FiU PatrorujU. — 2
5 St Marc, Vitriers.
LES VENT!
5 LOCAUX
Autan et Marin. — Sous le
du Gers. Certains observateurs
nom de Marin, on désigne le
portent même sa limite au Nord
vent qui souffle du Sud-Est dans
jusqu'à Aurillac et à l'Ouest jus-
la plaine du Bas-Languedoc, de
qu'à Bordeaux et Arcachon. Ce
Montpellier à Narbonne et à
vent est chaud, lourd et pesant.
Perpignan; il est chaud, humide.
il engoirdit et abat les hommes
s'accompagne d'une baisse du
et les animaux. Il rend la tète
baromètre et se fait sentir jus-
pesante, il ôte l'appétit et paraît
qu'aux montagnes qui séparent
gonfler tout le corps. Il flétrit
le bassin de la Méditerranée de
aussi les plantes et les fruits. En
celui de l'Atlantique.
automne, il hâte la chute des
h'Auian, de même direction
feuilles.
entre Sud et Est, parfois extrê-
En beaucoup d'endroits, on
mement violent, se fait sentir à
distingue l'autan bUnt et l'autan
l'Ouest des mêmes montagnes :
noir : celui-ci, plus fréquent, est
au nord, il dépasse la ligne Albi-
moins redoutable, parce qu'il
Montauban-Agen, et à l'Ouest il
dure moins longtemps.
se fait sentir au delà de la rivière
— 32 —
Les passions violentes ne doivent jamais être exprimées
de façon à provoquer le dégoût; même dans les situations
horribles, la musique ne doit jamais blesser les oreilles, ni
cesser d'être la musique. Mozart.
LA JEUNE TARENTINE
Pleurez, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Tethys, doux alcyons, pleurez.
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clé vigilante a, pour cette journée.
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée.
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles.
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée et loin des matelots.
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine !
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Tethys, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher.
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;
Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes.
Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas ! autour de son cercueil :
« Hélas I chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux. »
André Chénier.
33 —
LE JARDIN POTAGER
On peut dès maintenant semer toutes planter potagères,
sauf haricots et cornichons à réserver pour mai. Renouveler
semis de laitues, pois, radis, pour en avoir tout l'été.
Œilletonner les artichauts. Eclaircir les semis du mois pré-
cédent. Sarcler, biner, pailler les plantations. Finir les
plantations d'asperges.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Semer en pleine terre : pois de senteur, réséda, balsamine,
amarante, belle-de-jour, belle-de-nuit, giroflée quarantaine.
Semer sur couche et en pépinière : aster de Chine, zinnia,
pétunia, tabac, phlox, muflier.
LA CAVE
Terminer les soutirages, visiter les futailles pleines;
déguster et traiter les vins s'il y a lieu; mettre dans des
tonneaux préalablement méchés pour les transvasements.
RECETTES
Quiche lorraine. — Faire une pâte à tarte, enfourner
quelques instants sans laisser dorer. Retirer et mettre sur
la pâte de la crème battue avec deux œufs entiers, une
pincée de sel. Couper dessus quelques petits morceaux de
beurre et de petits lardons frais. Enfourner à nouveau,
servir chaud et bien doré, avec une bouteille de vin blanc.
Meurette beaunoise. — Coupez par tronçons une truite,
une anguille, une lotte et un barbillon et mettez-les dans un
roux avec quelques petits oignons blanchis et cuits à moitié,
des morilles ou des mousserons, un bouquet garni, un peu
de poivre et d'épices, deux verres de vin de Beaune. Salez
suffisamment. Faites cuire à très grand feu et servez avec
des croûtons frits et aillés.
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MAI
LES GÉMEA
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Mai était dédié par les Romains !
Calendrier anglais : Accession |
à Maua, déesse italique de la force j
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King
George V, 6 mai ; Birth-
végétative
assimilée ensuite par
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ueen Mary, 26 mai.
les Poètes
mes.
k Maia, mère d'Her- i
Naissance du Czar Nicolas, 1
Quatre-Temps, 30 mai.
28
mai.
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SOLEIL
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S. Stanislas . . .
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19 17
2358
740
12
Samedi
S. Achille. . . .
A
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4 16
19 19
8 59
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Dim.
S. Servais. . . .
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48 m.
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19 20
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Lundi
Rogations. . , .
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Mardi
S« Denise. . . .
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1923
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JOURS
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Mercr.
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Dim.
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Lundi
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Mardi
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Mercr.
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Jeudi
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Vendr.
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Samedi
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Dim.
28
Lundi
29
Mardi
30
Mercr.
31
Jeudi
FÊTBS
S. Honoré .
ASCENSION
S. Venant.
S. Yves. . .
S. Bernardin
S. Hospice .
S« Julie. . .
S. Didier . .
S. Donatien .
S. Urbain.
S. Zacharie .
PENTECOTE
S. Germain .
S. Just . . .
S. Ferdinand
se Pétronille
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A
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+
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PItSIS
de la
lune
N.L.
le 21 à
o h.
47 m.
P.Q.
le2Sà
23 h.
33 m.
LUNE SOLEIL
Lever Couch., Lever Couch.
H. M.
4 10
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4
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4
4
4
4
4
3
3
3
3
3
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H. M. H. M
1924
1925
1927
19 28
1929
1930
1932
1933
1934
1935
1937
1938
1939
1940
19 41
1942
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1 56
2 18
244
3 15
3 53
440
5 36
638
7 44
851
9 57
11 2
12 7
13 13
14 20
14 18
15 36
1654
18 II
1925
20 32
21 28
22 13
2249
23 17
2340
o o
o 17
033
o 50
fêtes Patronales. — 6 St Jean Porte- Latine, Imprimeurs, Libraires,
10 St Isidore, Laboureurs. — 16 St Honoré, Boulangers.
PHYSIOGNOMONIE
Selon le Grand Compost et Kalen-
drier du Bergers, les yeux gros
décèlent la paresse, l'effronterie,
la désobéissance et l'orgueil ; les
yeux ratés, gâtés et étendus, malice,
vengeance et trahison ; les grands
yeux à grandes paupières, folie,
dur entendement et mauvaise
nature ; les yeux blanchards et
charnus, ime personne encline à
vice, à luxure et qui est pleine de
fraude.
Le visage petit, maigre, menu,
le nez aquilin et le cou de lon-
gueur médiocre signifient le cou
rage, la vivacité et la colère. Le
nez long et haut par nature signi-
fie prouesse et hardiesse. Le nez
camus signifie hâtiveté, luxure et
entreprise. Le nez bègue qui des-
cend jusqu'à la lèvre de dessus
signifie la personne malicieuse,
décevante, déloyale et luxurieuse.
Le nez gros et haut au milieu
signifie homme sage et bien par-
lant. Le nez qui a grandes nari-
nes et ouvertes signifie glouton-
nerie et ire.
36
Pour qu'un talent puisse se développer vite et heureu-
sement, il faut qu'il y ait dans sa nation beaucoup d'esprit
en circulation.
Les Grecs voyaient la nature à travers leur propre grandeur.
En quoi consiste la barbarie, sinon à ne pas distinguer
l'excellent? Gœthb.
CHANT DE MAY ET DE VERTU
Voulentiers en ce moys icy,
La terre mue et renouvelle.
Maintz amoureux en sont ainsi
Subjetz à faire amour nouvelle
Par légèreté de cervelle,
Ou pour estre ailleurs plus contens :
Ma façon d'aymer n'est pas telle :
Mes amours durent en tout temps.
N'y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle ;
Par temps, maladie ou soucy
Laideur les tire en sa nasselle ;
Mais rien ne peut enlaidir celle
Que servir sans fin je prétens ;
Et pour ce qu'elle est toujours belle.
Mes amours durent en tout temps.
Celle dont je dy tout cecy.
C'est Vertu, 'la nymphe éternelle
Qui au mont d'honneur esclercy
Tous les vrays amoureux appelle :
« Venez, amans, venez, dit-elle,
Venez à moi. je vous attens ;
Venez, ce dit la jouvencelle,
Mes amours durent en tout temps. •
Prince, fais amye immortelle
Et à la bien aymer entens,
Lors pourras dire sans cautelle :
Mes amours durent en tout temps.
Clément Marot.
37
LE JARDIN POTAGER
Tailler et mettre en place concombres, melons, tomates.
Pailler les planches de légumes. Arroser fréquemment.
Repiquer navets, choux, céleris. On peut semer tous les
légumes : cardon, carotte, "céleri, cerfeuil, chicorée, chou,
ciboule, épinard, haricot, laitue d'été, navet, oseille, persil,
poireau, radis.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Fauchaison de gazons ; mise en place de dahlias, géra-
niums, cannas, verveines, bégonias, calcéolaires, fuchsias,
etc. Semer des capucines et des plantes bisannuelles qui
devront donner des fleurs l'année suivante : œillet, pied-
d'alouette, violette.
LA CAVE
Surveiller de très près les vins nouveaux, éviter l'action
directe du soleil sur les caves et les aérer.
RECETTE
Poulet av paprika. — Prendre un jeune poulet très
tendre, le découper cru et le mettre à tremper dans l'eau
froide. Prendre un gros oignon, le couper bien mince sans
le hacher; le faire revenir. Lorsqu'il est bien revenu, sans
être roux, ajoutez-y une demi-cuillerée à soupe de sel fin et
à peu près la même quantité de paprika et un demi-verre
de purée de tomates. Tournez bien le tout, et ajoutez-y le
poulet. Le laisser cuire pendant une heure doucement, en
couvrant la casserole. Remuez de temps en temps. Au bout
d'une heure, ajoutez un demi-litre de crème épaisse et
mélangez bien, ayant soin que la crème chauffe doucement
sans bouillir. Servir avec des knockles que l'on aura fait
pendant la cuisson du poulet.
38
JUIN
l'écrevisse
Le nom de ce mois est tiré de
JunoQ Lucina et Pionuba, déesse
romaine de la fécondité et du
mariage.
Le 19 juin, éclipse partielle de
soleil ; commencement à 1 1 h . 36 m.,
fin à 14 h. 57. Invisible à Paris.
Solstice d'Eté le 22 juin à
o h. 14 m. 33 secondes.
JOURS
Vendr.
Samedi
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
Vendr.
Samedi
Dim.
Lundi
Mardi
Mercr.
Jeudi
Vendr.
FÊTES
s* Laure . .
S. Pothin. .
TRINITÉ .
S. Optât . .
S. Boniface .
S. Claude. .
FÊTE-DIEU
S. Médard .
S« Pélagie. .
Sol. Fête-Dku
S. Barnabe .
S. Nazaire .
S. Antoine de
S. Basile le G
S.\CRÉ-CŒUR.
▲
A
▲
A
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A
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A
A
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PUISES
de la
lune
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P.L.
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à
n h.
6 m.
D.Q
le 12.
à
6 h.
38 m.
SOLEIL
Lever Couch.
3 54
3 53
3 53
3 52
3 52
3 51
3 51
3 50
3 50
3 49
3 49
3 49
3 49
3 49
3 49
H. M.
1943
1944
1945
1946
1946
1947
1948
1949
19 50
19 50
19 51
19 51
1952
19 53
19 53
LUNE
Lever Couch.
15 30
1643
1758
19 10
20 16
21 12
21 56
22 30
22 58
23 21
2341
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O 27,
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130
1 57
2 31
3 16
4 14
5 24
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8 6
9 28
1049
12 7
13 25
1442
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JOURS
FÊTES
SIGNES
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Lever
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Lever
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H. M.
H. M.
H. M.
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Lundi
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N.L.
3 49
1955
2 33
19 19
19
Mardi
SS. Gerv. et Prot.
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3 49
19 55
32s
20 9
20
Mercr.
S. Sylvère . . .
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3 49
1955
425
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21
Jeudi
S. Raoul ....
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13 h.
2 m.
3 49
1955
530
21 19
22
Vendr.
S. Alban ....
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3 49
1956
637
2143
23
Samedi
S. FélLx ....
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3 49
1956
7 43
22 4
24
Dim.
Nat. S. J.-Bapt.
+
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3 50
1956
849
22 22
25
Lundi
S. Prosper . . .
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3
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1956
9 54
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Mardi
S. Maixent . . .
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p. a
3 50
1956
1059
22 55
27
Mercr.
S. Crescent . . .
▲
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le 27.
à
16 h.
3 SI
1956
12 5
23 12
28
Jeudi
S. Irénée ....
▲
^
3 51
1956
13 12
2332
29
Vendr.
SS. Pierre et Paul.
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S
8 m.
3 52
1956
14 22
23 55
30
Samedi
S. Martial. . . .
À
■^
3 52
1955
15 35
FiUs PatroHa
Us. — I St Clair, Boisseliers, Sabotiers. — 3 Ste Clotilde, Notaire».
24 St J
ean-Baotiste, Peaussiers, Couteliers. — 29 St Pierre, Maçons.
HORLOGE DE FLORE
S
'ouvrent à : !
S'ouvrent à :
Minuit :
Le cactus à grandes \
II heures : La belle-d'onee-
fleurs.
1
: eures, ou ornithogale en ombelle.
I heure :
Le laiteron de Lapo- Midi : Toutes les autres ûcoïdes.
nie.
1 I heure : Le pourpier.
2 heures
Le salsi&s jaune. | 2 — L'épervière. ' |
3 —
La barbe de bouc et \
3 — La pulmonaire.
la grande p
icridie.
4 — La belle -de -jour et
4 heures
Le liseron des haies,
l'hyacinthe.
le pissenlit,
la chicorée sauvage.
3 heures : La belle -de -nuit.
S heures
La crépite des toits.
6 heures : Le géranium triste.
6 —
Le laiteron des ma-
7. — L'hémérocalle safra-
rais.
née, le pavot à tête nue.
7 heures
Le nénuphar, la j
S heures : Le liseron droit.-
laitue.
'
q — Le nyctanthe de Ma-
8 heures
Le mouron rouge.
labar.
9 -
Le souci des champs.
10 heures : Le liseron pourpre.
10 —
La flcoïde barbue.
II — Le silène noctifiore.
- - 40
Un vers pour être bon doit être semblable à l'or, en avoir
le poids, le titre et le son. Le poids, c'est la pensée ; le titre,
c'est la pureté élégante du style; le son, c'est l'harmonie. Si
l'une de ces trois qualités manque, le vers ne vaut rien.
La décadence est produite par la facilité de faire, et par
la paresse de bien faire, par la satiété du beau et par le
goût du bizarre.
Voltaire.
.\ LA ROSE
Douce, belle, amoureuse et bien fleurante Rose,
Que tu es à bon droit aux amours consacrée !
Ta délicate odeur hommes et Dieux recrée,
Et bref. Rose, tu es belle sur toute chose.
Marie pour son chef un beau bouquet compose
De ta feuille, et toujours sa teste en est parée :
Tousjours cette Angevine, unique Cythérée.
Du parfum de ton eau sa jeune face arrose.
Ha Dieu 1 que je suis aise alors que je te voy
Esclorre au poinct du jour sur l'espine à requoy,
Aux jardins de Bourgueil prés d'une eau solitaire '.
De toy les Nymphes ont les coudes et le sein,
De toy l'Aurore emprunte et sa joue et sa main.
Et son teint la beauté qu'on adore en Cythère,
Pierre de Ronsard.
41
LE JARDIN POTAGER
Continuer les semis du mois précédent. Semer chicorée,
escaxole, choux-fleurs, choux-raves, cerfeuil, épinarda,
haricots, laitue, navet, poireau d'hiver, pois, radis, raiponce.
Lier chicorée et escarole. Tailler aubergine, melon, tomate.
Planter et pincer les melons au-dessus des deux premières
feuilles. Ramer les pois et les haricots. Pailler tous les
légumes. Multiplier les binages, sarclages et arrosages.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Semis de belles-de-jour, capucines, réséda, soucis qui
donnent leurs fleurs la même année ; continuer les semis de
plantes bisannuelles. Mettre des tuteurs aux roses trémières,
dahlias. Terminer les plantations de bégonias, dahlias,
calcéolaires et géraniums.
LA CAVE
Au cellier, éviter les élévations de température; surveiller
les fûts et arrêter les fermentations secondaires qui vien-
draient à se déclarer ; pour cela, recouvrir de paille humide
ou bien mécher le vin sur bonde ou le soutirer dans des fûts
fortement méchés.
RECETTE
Vinaigre .\romatisiv a la mode bourguignonne. —
Prenez un bocal de verre d'une contenance de quatre à cinq
litres et l'emplissez de bon vinaigre blanc ; garnissez des
herbes et épices suivantes : deux oignons piqués chacun de
dix clous de girofle, six gousses d'ail, six échalotes, un
petit piment rouge, un citron coupé en tranches avec son
écorce, un peu de macis, cresson, pimprenelle, cerfeuil,
thym, marjolaine, sarriette, hysope, fleur de sureau séchée à
l'air, et un gros bouquet d'estragon. Bouchez le bocal et
l'exposez dix jours à l'ardeur du soleil. Il ne restera ensuite
qu'à passer le vinaigre au papier filtre et à le mettre en
bouteilles bien bouchées.
42
i'''tt«;^SVvVvi!"''»'">""V..ViViVMltîi
^^^'
^
JUILLET
Jaillet a été ainsi appelé par les
soins et sous le Consulat de Marc-
Antoine pour honorer la nais-
sance de Jules César, arrivée le 4
des Ides de ce mois.
Les 4 et 5 juillet, éclipse totale
de lune; commencement le 4 à
18 h. 56 m., fin le 5 à o h. 22 m.
En partie visible à Paris.
Le 19 juillet, éclipse partielle de
soleil ; commencement à i h. 56 m.,
fin à 3 h. 28 m. Invisible à Paris.
JOURS
I
Dim.
2
Lundi
S
Mardi
4
Mercr.
5
Jeudi
6
Vendr.
7
Samedi
8
Dim
9
Lundi
10
Mardi
II
Mercr.
12
Jeudi
i.^
Vendr.
14
Samedi
15
Dim.
S. Domitien . . .
Visitai, de N.-D .
S. Anatole . . .
se Berthe. . . .
se Zoé
S. Tranquillin . .
S. AUyre. . . .
s. Procope . . .
S. Cyrille. . . .
S^ Rufine. . . .
S. Savin . . . .
S. Jean Gualbert.
S. Eugène. . . .
FÊTE NATION .
S. Henri . . . .
Aj©
PUSES
de la
lune
P. L
le 4,
21 h.
40 m.
a
D.Q
le II,
à
1: h.
I 2 m.
SOLEIL
Lever Couch.
H. -M.
3 53
3 53
3 54
3 5 5
3
3
3
3
3
3
4
4
4
4
4
H. M.
1955
1955
1955
19 54
1954
1953
19 53
1952
1952
1951
1951
1950
1949
1949
1948
LUNE
Lever Couch.
H. M.
1648
17 57
1859
1949
20 28
2059
2 1 24
21 47
22 8
22 29
22 52
23 18
23 51
031
025
I 4
I 55
3 I
4 19
5 42
7 8
832
9 53
11 13
12 31
1348
15 3
16 12
17 14
43
JOURS
i6
Lundi
S. Hélier . . . .
17
Mardi
S. Alexis . . . .
i8
Mercr.
S. Camille . . .
19
Jeudi
S. Vinc. de 1 -il
20
Vendr.
S® Marguerite . .
21
Samedi
S. Victor . . . .
22
Oim.
S*" Madeleine . .
2S
Lundi
S. Apollinaire . .
24
Mardi
S« Christine. . .
2S
Mercr.
S. Jacques-le-Mij
26
Jeudi
S® Arme . . .
27
Vendr.
S. Pantaléon . .
28
Samedi
S. Samson . .
2Q
Dim.
S-^ Marthe. . .
30
Lundi
S*" Juliette. . .
31
Mardi
S. Germain-l'Aux
PIÂSIS
de la
lune
N.L.
le 19,
à 3 h.
o m.
P.Q.
le 27,
à 6 h.
40 m.
SOLEIL
Lever Couch.
H. M.
4 5
4 6
4 8
4
4
4
4
4
4
4
4
4 18
4 19
4 21
4 22
423
1947
1946
1945
1944
1943
1942
1941
1940
1939
1937
1936
1935
1934
1932
1931
1930
1 30
2 16
3 19
425
S 32
638
7 43
847
952
10 58
12 6
13 16
1427
15 37
16 41
1737
18 6
1848
19 21
1948
20 9
20 28
2045
21 2
21 li
21 36
21 58
22 24
22 57
2341
039
Fêtes Patronales. — 25 St Jacques, Meuniers. — 26 Ste Anne, Menuisiers, Ebénistes.
CONTROVERSES MÉDICALES
Voici le titre de quelques-unes
des thèses passées devant la Fa-
culté de Médecine aux xvw et
XVIII» siècles.
Estn^ connata moriendi néces-
sitas ? (La nécessité de la mort
est -elle innée?)
Estne fœtus mcUri quam patri
simtlior? (Le fœtus ressemble-t-il
plus à la mère qu'au père ?)
An tnsanenti amore virgini venœ
seciio ? (Doit -on saigner une fille
folle d'amour?)
Ah singulis mensibu^ repetita
semel ebrietas salubris ? (S'enivrer
une fois par mois, est-il salu-
taire?)
Estne fœmina opus naturce im-
perfectum? fl.a femme est-elle un
ouvrage imparfait de la nature ?)
An formoiCB fecundiores ? (Les
jolies femmes sont-elles plus fé-
condes que les autres?)
An ex salicitate calvities? (Le
libertinage amène-t-il la calvitie?)
An Parisini ab aquiloyie tussi
obnoxii? (Le vent du Nordexpose-
t-ii les Parisiens à la toux ?)
Estne fœmina viro salacior? (La
femme est-elie plus lascive que
l'homme?)
A n casti rarius œgrotant, facilius
curantur ? (Les chastes sont-ils
plus rarement malades et plus
facilement guéris que les autres ?)
An aqua vitce aqua mortis ?
(L'eau-de-vie est-elle l'eau-de-
mort ?)
An litteratis vita cœlebsf (Les
gens de lettres doivent-ils de-
meurer célibataires ?)
An aurorœ Venus arnica ? (Faut-
il faire l'amour le matin ?)
44
Si vous estimez la Poésie un trop petit sujet pour vous,
laissez-la tranquille.
Sainte-Beuve.
PLAINTE DE CÉLADON
Rivière que j'accrois, couché parmy ces fleurs.
Je considère en toi ma triste ressemblance :
De deux sources tu prends en même temps naissance
Et mes yeux ne sont rien que deux sources de pleurs.
Tu n'as pas tant de flots que je sens de malheurs ;
Si tu cours sans dessein, je sers sans espérance ;
En des sommets hautains ta source se commence.
D'orgueilleuse beauté procèdent mes douleurs.
Comment de grands rochers te rompent le passage,
De quels empêchemens ne sens-je pas l'outrage ?
Toutefois en un point nous différons tous deux :
En toy l'onde s'accroît des neiges qui se fondent.
Plus on gèle pour moi, plus mes larmes abondent.
Quoique tu sois si froide et moi si plein de feux.
Honoré d'Urfé.
VERS GRAVÉS SUR UN ORANGER
Oranger dont la voûte épaisse
Servit à cacher nos amours.
Reçois et conserve toujours
Ces vers, enfans de ma tendresse;
Et dis à ceux qu'un doux loisir
Amènera dans ce bocage,
Que si l'on mouroit de plaisir
Je serais mort sous ton ombrage.
Le Chevalier de Parnv.
" 45
LE JARDIN POTAGER
Semer carottes, cerfeuil, chicorées et escaroles, choux de
Milan, choux-fleurs et brocolis, épinards, navets, pissenlita,
radis, raiponces. Continuer à tailler les aubergines, con-
combres, melons et tomates. Commencer à empailler te
céleri. Planter chicorées et escaroles, choux de Bruxelles,
choux-fleurs d'automne. Planter laitues, romaines, poireaux
d'hiver.
JARDIN D'AGRÉMENT
Marcotter les œillets à la fin du mois; recueilUr les
oignons de jacinthes, tulipes, narcisses; plantation du lis
blanc, du perce-neige. Semis de quelques plantes annuelles
pour fleurir en automne ; belle-de-jour, réséda odorant,
souci.
LA CAVE
Ne pas toucher aux vins, éviter les soutirages et maintenir
la température dams les celliers entre lo et 12 degrés.
RECETTE
Gras-double frit. — Le gras-double doit être lavé à
grande eau et bien dégorgé. On le coupe en carrés de la
largeur de la main et on le fait cuire une heure dans le
court-bouillon suivant : eau, quantité suffisante, une carotte,
un oignon piqué de quatre clous de girofle, ail, échalote,
persil, queue d'appétit, estragon, thym, laurier, un pketit
verre de vin blanc et une pointe de vinaigre.
Enduire les morceaux de pâte à frire avec chap>elure et les
jeter dans la poêle. Servir avec une garniture de persil frit
et une sauce à la moutarde.
46
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AOUT
LA VIERGE
Mois dédié par le Sénat romain
2 août, anniversaire de la
à Octave-Auguste, empereur, con-
Grande Guerre.
quérant de l'Egypte, vainqueur
des Cantabres, des Parthes et des
4 août
, fête de l'Impératrice de
Vindéliciens.
Russie.
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S. Symphorien.
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S. Barthélémy.
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S. Zéphirin . .
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S. Merry .
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330
FiLes Patronales. — 10 St Laurent, Cuisiniers. — 12 Ste Claire, Blanchisseuses.
î+StBarthéleœy.Tanneurs. — 2581 Louis, Limonadiers. — 30 St Fiacre, Jardiniers, Potiers
PRONOSTICS DE PLUIE TIRÉS DES ANIMAUX
Quand l'air est chargé d'humi-
dité et quand la pluie est probable :
Le bœuf regarde en l'air ; le
porc témoigne de la joie, il est
vif et alerte ; les martinets volent
en foule autour des clochers.
Les poules se becquètent les
plumes et se roulent dans la pous-
sière ; les canards et les oies cou-
rent à la surface de l'eau, s'y
plongent, battent des ailes et im-
port iment par leurs cris continuels ;
les crapauds sortent le soir en
grand nombre ; les grenouilles
coassent plus que de coutume.
Les vers de terre et les limaces
se montrent en grande quantité ;
les hirondelles volent en rasant la
terre et les eaix et font entendre
un léger cri plaintif; ie paon, la
pie, le geai, le pivert et le martln-
pêcheur font entendre les cris
désagréables qui leur sont parti-
culiers.
Les brebis mangent plus gou-
lûment ; les lézards et belettes se
cachent dans leurs trous ; les chats
se débarbouillent, et les poissons
sautent hors de l'eau.
Quand la pluie ou le vent me-
nace, les toiles d'araignées sont
courtes et solidement attachées à
leurs supports. Si les araignées
sont paresseuses, une pluie géné-
rale est à craindre. Si leur activité
reprend pendant la pluie, cette
pluie cessera bientôt et sera suivie
d'un beau temps. Si elles travail-
lent à leurs toiles le soir, nuit
claire et agréable.
48
I
Quand on tient la vérité, il n'y a pas de zèle à faire. La
vérité n'a pas besoin d'être 'proclamée, il suffit de l'énoncer.
Renan.
BALLADE DES MENUS PROPOS
Je congnois bien mouches en let,
Je congnois à la robe l'homme,
Je congnois le beau temps du let,
Je congnois au pommier la pomme,
Je congnois l'arbre à veoir la gomme,
Je congnois quant tout est de mesmcs,
Je congnois qui besongne ou chomme.
Te congnois tout, fors que moy mesmes.
Je congnois pourpoint au colet.
Je congnois le moyne à la gonne,
Je congnois le maistre au varlet,
Je congnais au voile la nonne,
Je congnois quant pipeur jargoniic,
Je congnois fols nourris de cresmes.
Je congnois le vin à la tonne,
Je congnois tout, fors que moy mesmes.
Je congnois cheval et mulet,
Je congnois leur charge et leur somme,
Je congnois Biétrix et Belet,
Je congnois get qui nombre et somme.
Je congnois vision et somme,
Je congnois la faute des Boesmes,
Je congnois le povoir de Romme,
Je congnois tout, fors que moy mesmes.
ENVOI
Prince, je congnois tout en somme,
Je congnois coulourés et blesmes,
Je congnois Mort qui nous consomme,
Je congnois tout, fors que moy mesmes.
François Villon.
— 49 —
LE JARDIN POTAGER
Continuer les fréquents arrosages qui se feront le soir ou
le matin. Semer carottes hâtives, cerfeuil bulbeux, choux
d'York et autres de printemps, épinards et mâches, haricots,
pois, navets, oignons blancs, poireaux, radis. Dernier serais
des escaroles et chicorées pour l'hiver. Lier chicorées et esca-
roles. Botteler ou serrer les tiges des oignons. Planter les
choux-fleurs sur vieilles couches à melons.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Mettre en place fleurs annuelles d'automne. Continuer les
travaux du mois précédent pour les plantes oui devront
fleurir l'année suivante
LA CAVE
Préparatifs en vue des vendanges : ustensiles de ven-
dange, cuves, futailles ; surveiller les vins, éviter leur trans-
port. Aérer les celliers.
RECETTE
Pudding Pèlerin. — Proportions pour 8 ou lopersonnes:
175 gr. de beurre fin, 175 gr. d'amandes sans coques, 150 gr.
de sucre en poudre, 150 gr. de biscuits à la cuillère, 1/2 déci-
litre de kirsch.
Faire d'abord une crème à la vanille et la laisser refroidir.
Ensuite prendre un moule à charlotte beurré et le garnir
entièrement de biscuits.
Emondez des amandes, mettez-les blondir au four et, une
fois refroidies, pilez-les au mortier. Mettez dans une terrine
avec cette pâte le beurre et le sucre, et triturez le mélange
jusqu'à ce qu'il soit très onctueux. Ajoutez le kirsch et un
décilitre de la crème à la vanille. Travaillez encore la pâte
pendant une demi-heure, puis versez-la dans le moule que
vous placerez dans la glace pendant deux heures. Renversez
sur un plat le pudding arrosé de la crème et sei-vez.
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SEPTEMBRE
LA BALANCE
Septième mois du Calendrier ro- l Le 23 septembre correspond au
main. i«' jour de l'Ère républicaine
Quatre-Temps 19 septembre. n" vendémiaire 126).
Jour de l'an israélite 17 sep-
Equinoxe d'Automne le 2 ', sep-
tembre (2*"" Tesseri 5678).
tembre, à 15 h. u m. 5 secondes.
PfliSES
SOLEIL
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JOURS
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SIGNES
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S. Janvier. . . .
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S. Mathieu . . .
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SS. Cyprien, Just.
SS.Côme.Damien.
S. Wenceslas . .
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S. Jérôme. . . .
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P.L.
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20 h.
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Fêtes PatronaUs. — 22 St Maurice, Teinturiers.
Tapissiers, Tailleurs.
29 St Michel, Pâtissiers,
LA DIÈTE DE QUELQUES GRANDS HOMMES
Le maréchal d'Hocquincourt
avait un goût particulier pour les
queues de mouton auxquelles,
disent les mémoires du temps, il
reconnaissait la propriété d'influer
sur la gaieté des convives ; aussi
a-t-il gardé toute sa vie un cuisi-
nier qui avait trou\-é le moyen de
préparer des queues de mouton en
caisse, que le maréchal emportait
à l'armée pour mettre ses officiers
en belle humeur.
Paul !'='■, empereur de Russie,
était grand amateur de pâtés de
foies de canards. Il accorda la grâce
à MD. Polonais exilé, qui avait
trouvé le moyen de lui envoyer de
Toulouse, chaque semaine, un de
ces pâtés, dont le voyage n'alté-
rait point la fraîcheur.
Kant, le prince des philosophes
allemands, n'était pas aussi recher-
ché dans ses goiits : il faisait ses
délices d'une purée de lentilles,
d'une purée de panais préparée au
lard, d'un pudding au lard, à la
poméranienne ; d'un pudding de
pois secs aux pieds de porcs et de
fruits desséchés au four.
Napoléon P' avait en horreur
la viande saignante, préférait la
volaille, surtout le poulet en fri-
cassée, dite à la Marengo. Il man-
geait avec plaisir des pommes de
terre, des haricots, des lentilles, des
côtelettes, de la poitrine de mou-
ton grillée, du boudin à la Riche-
lieu, et comme plats fins, des que-
nelles de volailles en consommé, du
vol-au-vent, de la timbale mila-
naise. Il avait im faible pour le
macaroni à l'italienne et au par-
mesan ; comme poisson, il adorait
le rouget de la Méditerranée.
Les livres anciens sont pour les auteurs, les nouveaux
pour les lecteurs.
Montesquieu.
PRIÈRE A LA NUIT
Du jour sœur paisible et voilée
Qui, sur la terre consolée
Versant le baume du repos,
Couronnes ta tête étoilée
D'un diadème de pavots,
O Nuit ! pardonne si ma lyre.
Frémissant au gré du zéphyre
Parmi les saules de ces bords,
Ose un instant par ses accords
Troubler la paix de ton empire.
J'ai vu le disque étincelant
S'éteindre aux humides demeures
Et le groupe léger des Heures
Suivre ton char en se voilant.
Tout dort ; et moi, seul, en silence,
Aux lueurs d'un pâle flambeau,
Devant ton trône je balance
Des suppliants l'humble rameau .
Mes vœux sont purs, ô Nuit sacrée !
Fais qu'un songe à l'aile dorée.
Avant e retour du soleil,
Vienne de l'image adorée.
Enchanter mon heureux sommeil.
Pour toi, déité que j'implore.
Je veux sur le bord des ruisseaux
Unir le pâle sycomore
A l'if, ornement des tombeaux ;
Jusques à l'aurore prochaine,
De l'amour charmant les douleurs.
Je veux à ton autel d'ébène
Consacrer un hymne et des fleurs.
Charles Millevove.
— 53 —
LE JARDIN POTAGER
Continuer à semer cerfeuil, radis, laitues de la Passion.
Lier chicorées et escaroles. Commencer à empailler cardons
et céleris pour les faire blanchir. Planter les dernières chi-
corées, escaroles, pissenhts. Préparer le fumier ou les ter-
reaux pour les prochaines couches. Récolter les graines
mûres.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Planter les jacinthes, les tulipes. Semer des giroflées qua-
rantaines que l'on abritera du froid pendant l'hiver. Multi-
plier par le bouturage les géraniums, les calcéolaires.
LA CAVE
On s'assure que les ustensiles de vinification sont prêts
pour la vendange. On a moins de précautions à prendre que
précédemment en ce qui concerne les vins vieux. Soutirage
s'il y a lieu.
RECETTE
Poulet a la belvocelle. — Hacher très tîn foie, gésier,
en ajoutant deux branches d'estragon, une poignée de mie
de pain en miettes, sel et poivre. Faire revenir cinq minutes
au feu dans le beurre, introduire cette farce dans un poulet
dont vous recousez l'ouverture. Mettre le poulet dans une
casserole avec cinq ou six petits oignons et recouvrir à
moitié de bouillon ; salez et poivrez.
Faire cuire un quart d'heure à feu doux, retirer les trois
quarts de la cuisson, faire un roux que vous mouillez de
cette cuisson.
Laissez refroidir la sauce, puis jetez-y quatre jaunes d'œufs
délayés dans une demi-tasse à café de crème fraîche et une
bonne cuillerée à bouche d'estragon haché. Faire épaissir
au bain-marie.
Au moment de servir, ajouter deux cuillerées à café de
moutarde à l'estragon et le reste de la cuisson ; servez le
poulet nappé de sa sauce.
54
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OCTOBRE
LE SCORPION
Huitième mois du Calendrier
Calendrier musulman : Jour de
l'an, 1 7 octobre (i<'''iV/oAaremi3.3C).
Calendrier israélite : fête des
Tabernacles, i^' octobre.
Aimiversaire de l'établissement
du Calendrier grégorien, en usage
depuis 334 ans (4 octobre 1582).
JOURS
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Lundi
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Mardi
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Mercr.
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Jeudi
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Samedi
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Martli
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Mercr.
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Jeudi
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Vendr.
13
Samedi
14
Dim.
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Lundi
S. Remy . . .
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S. Gérard. . .
S. François d'.'vss
S. Placide
S. Bnmo. .
S. Serge . .
S«^ Brigitte .
S. Denis . .
S. Pinyte . .
S. Gomer. .
S. Séraphin .
S. Edouard .
S. Calixte. .
S" Thérèse .
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1446
15 5
15 23
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1558
16 17
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PHASES
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FÊTES
SIGNES
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644
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17
Mercr.
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Fêtes Patronales. — 18 St Luc, Pei
atres. — 25 St Crépin, Cordonniers.
GLOSSAIRE
DU VENEUR
A bâtis, chemins tracés dans
Déliées sont fumées bien mâ-
l'herbe par les jeunes loups.
chées, bien moulues.
Acctils, extrémités des forêts et
Dorées sont fumées de cerf
des grands bois.
jaunes.
Bien chevillé, se dit d'un cerf,
Empnuvmre, haut de la tête du
d'un daim, d'im chevreuil qui a
cerf et du chevreuil où sont plan-
beaucoup d'andouillers.
tés les andouillers.
Bouquiner, être en amour, en
Fauve, béte fauve, cerf, daim,
parlant d'un lièvre.
chevreuil, tant mâle que femelle.
Boutis, lieux où fouillent les
Flâtrure, lieu où le lièvre et le
bêtes noires (sangliers)
loup s'arrêtent et se mettent sur
Chasser de gueule, laisser crier
le ventre, lorsqu'ils sont chassés
et aboyer le limier.
des chiens courants.
Chiens cnrneaux, engendrés de
Forhu, son du cor pour rappeler
chiens courants et de mâtines ou
les chiens.
de mâtins et de lices courantes.
Foulées, traces des pieds d'une
Clabaud, chien courant à qui les
bête sur l'herbe et l^s feuilles;
oreilles passent le nez d'un demi-
les foulées des cerfs, daims, che-
pied.
vreuils et lièvres s'appellent voies ;
Dagues, le premier bois que
celles des loups et renards, piste;
porte un cerf; elles ont la même
celles des sa' gliers, /rac«.
vertu que la corne de licorne.
Fumées, fientes des bêtes fauves.
1
On n'est point un homme d'esprit pour avoir beaucoup
d'idées, comme on n'est point nécessairement un bon
général pour avoir beaucoup de soldats.
Chamfort.
Les idées mendient l'expression.
RlVAROL.
SOUPIR
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un beau jet d'eau soupire vers l'Azur,
Vers l'azur attendri d'octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.
Stéphane Mall.\rmé.
l.E DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent, où le soleil de la montagne fière
Luit; c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort : il est étendu dans Iherbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut !
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid !
Les parfums ne font pas frissonner sa narine,
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud.
— 57
LE JARDIN POTAGER
Dernier seniis de choux-fleurs demi-durs, mâches et radis.
Semer les salades de printemps. Les repiquer quinze jours
après le semis sur costières. Continuer l'empaillage des
cardons et du céleri. Repiquer en pépinières les choux
d'York et les choux-fleurs. Commencer le blanchiment des
chicorées sauvages, puis de la barbe-de-capucin. Préparer
le terrain pour le Witloof.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Plantation des plantes bulbeuses. Couper les tiges des
arbres dont la floraison est terminée : balsamines, reines-
marguerites, dahlias. Rentrer les orangers.
LA CAVE
Surveiller la fermentation ; tirer les vins nouveaux et les
vins blancs; tenir les fûts constamment pleins par des
ouillages répétés. Les marcs seront utilisés pour taire des
seconds vins ou bien distillés; en dehors de ces usages, ils
peuvent être ensilés pour ser\'ir à l'alimentation du bétail
ou encore mélangés avec du calcaire pour en faire des
composts. Faire le troisième soutirage pour les vins fins.
RECETTE
Endives monégasques. — Prendre des endives bien
blanches, les laver et les égoutter soigneusement. Faire
fondre dans une casserole du beurre avec deux ou trois mor-
ceaux de sucre. Rouler les endives dans le beurre fondu,
saler et poivrer et faire cuire à l'étouâée deux heures durant.
Un peu avant de servir, on saupoudre de gruyère ou de
parmesan. On peut aussi dresser les endives sur un plat
allant au four et faire gratiner légèrement quelques minutes.
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NOVEMBRE
LE SAGITTAIRE
Neuvième mois du Calendrier Les Saintes Images de Kasan,
romain.
4 novembre.
Calendrier russe : avènement au
Naissance de l' Impérat rice Marie,
trône du Czar Nicolas, 3 novembre.
27 novembre.
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PHASES
de la
lune
P.Q.
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P.L.
le 28,
à
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SOLEIL
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16 26
17 27
17
8
18 9
19 19
203s
21 53
23 12
031
t 50
3 9
429
548
7 2
8 8
9 3
Fêles Patronales. — 3 St Hubert, Fondeurs, Chasseurs. — 11 St Martin, Tonneliers.
22 Ste Cécile, Musiciens. — 25 Ste Catherine, Jeunes Filles, Charrons.
GLOSSAIRE DU VENEUR
Gagnage, lieu où sont les grains,
où les bêtes fauves vont la nuit
se repaître et viander.
Guides, os de la jambe des bêtes
noires.
Harde, compagnie de cerfs.
Laissées, fientes du loup et des
bêtes noires.
Lancer, on lance le cerf quand
on le fait partir de la reposée, le
loup quand on le force à quitter
>on liteau, le lièvre quand on le
fait quitter son gîte, et le sanglier
lorsqu'il sort de sa bauge.
Ladre, se dit d'un lièvre habi-
tant les contrées marécageuses.
Maintenir et garder le change,
c'est quand les chiens chas<;ent
toujours la bête qui letu- a été don-
ni'-e, en dépit des ruses de celle-ci.
Marcassins, petits de la laie.
Massacre, tête de cerf, du daim
et du chevreuil.
Nappe, peau des bêtes fauves.
Pinces, les deux bouts des pieds
des bêtes fauves.
Ridées, fumées des vieux cerfs
et des vieilles biches.
Sortir du fort, se dit de la bête
qui débuche de son fort qui est
le lieu où elle passe le jour.
Surneigées, voies des bêtes re-
couvertes de neige.
Vautrait, chasse qui se fait aux
bêtes noires avec des mâtins.
Venaison, graisse et embonpoint
du cerf et des autres bêtes; temps
où le gibier est meilleur à manger.
Viandis, pâttires des bêtes
fauves.
60
Ce qui fait les grandes beautés, c'est lorsqu'une chose est
telle que la surprise est d'abord médiocre, qu'elle se soutient,
augmente et nous mène ensuite à l'admiration Virgile,
plus naturel, frappe d'abord moins, pour frapper ensuite
plus; Lucain frappe plus, pour frapper ensuite moins.
Montesquieu.
STANCES
Eté, tous les plaisirs que ta saison m'apporte
Comme ceux du printemps ont perdu leur attrait.
Adieu, le tendre automne! A présent, qu'à ma porte
Vienne heurter l'hiver, j'ouvrirai sans regret.
Dans l'antique forêt, le vent et la cognée
Sèment de l'arbre fort les rameaux à ses pieds,
Et parmi les humains la juste destinée
Abat à chaque coup gloire, amour, amitiés.
Moins doucement la feuille à la brise soupire.
Que la branche frappée en tombant ne se plaint,
Et lorsque le Malheur s'exhale de la lyre.
Tout autre chant n'est plus qu'un écho qui s'éteint.
Vie exécrable, ô jours que corrompt l'amertume,
Je vous surmonte encor, mais mon cœur est brisé ;
Et s'il a plus d'éclat, peut-être, il se consume
Ce feu sombre et divin qui m'avait embrasé.
Jean Moréas.
6i
LE JARDIN POTAGER
Cesser les arrosages et semis de pleine terre. Repiquer
soùs cloche salades semées précédemment. Planter en cos-
tières : laitues Passion, choux d'York, laitues crêpe. Planter
oseille sous châssis. Lier dernières chicorées. Butter et abri-
ter artichauts. Butter et couvrir les pissenlits. Empailler les
cardons. Enterrer et pailler les céleris à côtes. En cave on
récolte : barbe-de-capucin, champignons, Witloof.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Arracher et rentrer les dahlias, cannas, bégonias; planter
les différents arbustes d'agrément. Ramasser des feuilles
pour faire des couches et abriter les plantes qui craignent le
froid.
LA CAVE
Surveiller activement les vins nouveaux et faire les
ouillages nécessaires.
RECETTE
Pistou, soupe génoise. — Mettre sur le feu deux Utres
d'eau froide salée avec trois cuillerées d'huile d'olive. Quand
le mélange bout, y placer des pommes de terre coupées en
rouelles, des carottes, du potiron en petits morceaux, des
haricots verts et en grains, des navets, deux feuilles de chou,
un quartier de céleri, et faire cuire à petit feu. Une heure
avant de servir, ajouter une tomate entière, piler dans le
mortier une branche de basilic avec 3 ou 4 gousses d'ail,
ajouter une poignée de fromage râpé; retirer la tomate du
bouillon, l'éplucher et piler le tout ensemble. Verser cette
purée dans la marmite avec une pincée de vermicelle et
laisser bouillir dix minutes.
62
Dixième mois du Calendrier
romain.
Ouatre-Temps, 19 décembre.
Le 14 décembre, éclipse annu-
laire de Soleil ; commencement à
7 h. 10 m., fin à 11 h. 45 m.
Invisible à Paris.
Solstice d'Hiver le 22 décembre
à 9 h. 45 m. 32 secondes.
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S. Ambroise.
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S. Melchiade
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Mardi
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Lundi
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S. Lazare.
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S. Philogone
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S. Flavien
S'^ Victoire
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S. Jean. .
SS. Innocents
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S. Sylvestre.
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8 50
9 14
Fêtes Patronales. — 1 St Eloi, Serruriers, Carrossiers. — 4 Ste Barbe, Chapeliers, Pompiers.
6 St Nicolas, Jeunes Gens.
PROVERBES CULINAIRES
Beurre de vache, lait de chèvre,
fromage de brebis.
Guerre sans feu ne vaut guère
mieux qu'andouille sans moutarde.
L'appétit vient en mangeant.
Petit à petit vient l'appétit.
Jeune chair et vieux poisson.
Gourmandise tue plus de gens
— qu'épée en guerre tranchant.
Les gourmands font leurs fosses
à eurs dents.
Ceia vient à propos comme le
lard en pois.
Pains chauds, vins troubles, bois
verts.
Pain et beurre et bon fromage
— contre la mort est la vraie
targe.
Salade bien lavée et salée —
peu de vinaigre et bien huilée.
Qui vin ne boit après salade —
est en danger d'être malade.
Veau mal cuit et poulets crus
— font les cimetières bossus.
Aile de poulet, ventre de carpe,
dos de brochet.
Vin usé, pain renouvelé — est
le meilleur pour la santé.
Vin, lait des vieillards.
64-
C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours
modérément.
V AU VEN ARGUES.
SUR L'HIVER
Telle est des saisons
La marche éternelle :
Des fleurs, des moissons,
Des fruits, des glaçons.
Ce tribut fidèle
Qui se renouvelle
Avec nos désirs,
En changeant nos plaines,
Fait tantôt nos peines.
Tantôt nos plaisirs.
Quand d'un vol agile
L'Amour et les Jeux
Passent dans la ville,
J'y passe avec eux.
Auprès de Thémire,
Le verre à la main,
Chanter son refrain,
Folâtrer et rire,
Quel sort plus heureux,
Buveur amoureux !
Coulez mes journées,
Par un nœud si beau
Toujours enchaînées,
Toujours couronnées
D'un plaisir nouveau.
Qu'à son gré la Parque
Hâte mes instants,
Les compte et les marque
Aux fastes du temps.
Je l'attends sans crainte :
Par sa rude atteinte
Je serai vaincu :
Mais j'aurai vécu !
Gentil- Bernard.
65
LE JARDIN F^OTAGER
Semer en couches : carottes hâtives, choux-fleurs, laitues,
radis, romaines. Mettre des châssis sur estragon, oseille,
persil. Couvrir de litière cerfeuil, épinard, mâche. j>ersil.
Continuer le forçage des asperges. Planter sur carrés les
plants de laitue repiqués en octobre, ainsi que choux-fleurs
et choux pommés. Récolter en cave : barbe-de-capucin,
champignons, Witloof ; sous couverture : carotte, crosnes,
épinards. mâche, persil, scorsonère: sous châssis: radis
hâtifs.
LE JARDIN D'AGRÉMENT
Pas de travaux. Préserver les végétaux délicats en les
empaillant ou en les rentrant suivant les cas. Culture forcée
de violette, jacinthe, iris.
LA CAVE
Mêmes soins quen novembre. Commencer le premier
soutirage.
RECETTE
Cheveux d'ange. — Sorte de confiture faite avec des
écorces de citrons ou de cédrats découpés en filets très
déhés. On les fait cuire daiis une petite quantité d'eau, et
quand cette eau est entièrement évaporée, on ajoute du
sucre en poudre et le jus des fruits. Un remue continuelle-
ment. Quand il ne reste plus de jus. la confiture est faite.
On peut mêler aux citrons des carottes bien tendres,
découpées également en filets très minces.
— 66
Recueil de
Pièces Nouvelles
MEDITATION
Les événements que nous traversons ont surpris les
Français sans les abattre, mais il est à craindre qu'ils n'aient
plutôt sollicité leur énergie qu'éveillé leurs réflexions. Si
nous n'y prenons garde, ils nous auront bouleversés sans
nous avoir rien appris et nous ne conserverons d'eux qu'une
impression violente et confuse. C'est ainsi que les traits
des personnes dont notre pensée est le plus occupée sont
ceux qu'il nous est le plus difficile d'évoquer par le souvenir.
Le désarroi où cette guerre a jeté tout le monde est si
évident que je n'ai point encore rencontré, ni appris par
mes lectures, qu'il existât dans aucun pays un seul
homme qui fût resté ferme dans l'opinion qu'il s'en était
faite à l'origine.
Les premiers jugements que j'ai moi-même portés sur ces
événements procédaient presque exclusivement de l'émo-
tion qu'ils m'avaient causée, si bien qu'aucune des raisons
qui m'eussent d'abord déterminé à épouser la querelle
de mes concitoyens (si, par hypothèse, elle n'eût été la
-69-
mienne) n'aurait sans doute suffi à soutenir ma volonté
et à assurer ma constance.
Je crois du reste que je n'ai point été le seul à céder à
cet entraînement, car j'ai pu constater que l'influence
collective de quelques sentiments du même ordre n'a pas été
sans influer sur la marche des choses. Chacun d'entre eux
a eu, en quelque sorte, son période et a imprimé aux événe-
ments cette physionomie passionnée qui a distingué les
premiers mois de la guerre. Mais comme les passions
donnent en général naissance à des enchaînements de faits
qui échappent à leur impulsion et survivent à leur déclin,
tous ont conduit nos affaires au delà du point où nous
avons cessé d'être exclusivement soumis à leur empire.
Il en est résulté qu'après avoir été la chose de chacun de
nous, la guerre s'impose aujourd'hui à notre volonté et
qu'elle n'exige plus de nous-mcm_*s qu'un sacrifice délibéré,
sans entraînement et sans joie.
C'est en vain, quant à moi, que j'ai essayé d'en suivre en
moi-même les répercussions et d'en dégager quelque ensei-
gnement jusqu'à ce que je me sois accoutumé à la considérer
sous cet aspect de morne et objective nécessité.
J'ai passé de longs mois à me bercer de mensonges et
à me peindre sous de fausses couleurs la fatalité dont je me
sentais prisonnier. Tantôt je croyais échapper à sa loi en
me hâtant de la proclamer, tantôt je demeurais inerte
sous sa main et comme accablé par le poids de mes sou-
venirs. Je ne retrouvais un peu l'illusion de la liberté
que dans les mouvements extrêmes de ma douleur ou
dans ceux d'une exaltation que je ne pouvais soutenir.
J'ai enfin reconnu que j'étais plus encore le captif de
— 70 —
mes passions, de mes pensées, de mes goûts et de mes
affections mêmes que je ne l'étais de cette fatalité si cruelle.
Je retrouvai donc l'entière possession de mon être, lorsque
je me fus avoué que tous ces biens, que j'avais celés comme
un avai'e, étaient aussi justement périssables que moi-
même et que je n'avais pas même le droit d'attirer l'atten-
tion sur le sacrifice que j'ai parfois été tenté d'en faire en
me précipitant au-devant de m >n destin.
J'aurais eu plus de mal à me rendre à ces vérités, et
peut-être n'aurais-je point réussi à me dépouiller de ces
sentiments égoïstes que beaucoup de gens, qui me sont
cependant supérieurs, continuent à promener à travers les
événements, si les circonstances ne m'avaient placé, en face
de ces derniers, à un point de perspective que je considère
aujourd'hui comme particulièrement heureux.
Elles m'ont arraché à une situation où j'avais pu faire
preuve de quelque initiative et où je goûtais quelque consi-
dération, pour me placer, sans que j'y eusse en rien été
préparé, dans la nécessité de ne rien faire qu'obéir. Beau-
coup ne pourront qu'imparfaitement se rendre compte du
profit que j'ai retiré de cette obligation s'ils n'ont surmonté,
pour s'y astreindre, les mêmes difficultés que moi. Obéir
quand on n'est ni tout à fait un ignorant, ni tout à fait
sot et quand les circonstances qui vous y obligent mettent
précisément en péril tout ce qui faisait l'objet de vos affec-
tions, de vos réflexions et de vos études : qu'on veuille
bien réfléchir à cela et à la commune valeur des homm.es.
Cependant je ne tardai point à me féliciter d'une condi-
tion qui me réduisait à ne rien entreprendre par moi-
même et à ne point agir, qu'à mon rang et comme un
— 71 "
chacun. Mon entendement n'en fut bientôt que plus libre,
plus assuré et surtout plus ouvert à ces mille pressenti-
ments du vrai et du juste qui agitent, sans y rencontrer
leur expression, la conscience populaire. J'ai pu juger ainsi
de maintes choses sans être retenu par la crainte des
conséquences que pouvait entraîner une erreur, mais aussi
sans mêler à mes réflexions le désir d'accroître ma fortune.
J'ai plus d'une fois deviné la juste économie de diverses
entreprises où je me fusse sans doute égaré s'il s'était agi
de les conduire moi-même. Dans toutes ces circonstances
je me suis d'ailleurs inspiré d'une sorte de pudeur qui me
poussait à me substituer mentalement à ceux dont j'aurais
dû faire les instruments de mon dessein et à ne le tenir
pour bon que si je l'eusse néanmoins tenu pour tel étant
à leur place.
Mais il ne m'eût pas sufh d'être confiné dans quelque
rôle obscur, si les mêmes circonstances n'avaient encore
voulu que je devinsse un instrument entre des mains dont
la direction se substituait à la mienne en me restant ignorée.
Chacun peut, de sa place, imaginer des épreuves maté-
rielles beaucoup plus pénibles que celles que j'ai endurées,
mais il est sans doute plus difficile de bien concevoir les
pensées de ceux que la fatalité a personnellement marqués
au front de son doigt de glace et qu'elle a placés comme en
réserve pour l'exécution de ses desseins.
Ils savent qu'ils sont entraînés jusque dans leur sommeil
sur une voie dont ils distinguent bien le terme mais dont
ils n'aperçoivent pas les courbes ; ils se rendent compte
que leur plus chère rêverie peut être interrompue et ils
ne pensent qu'avec peine. On les entoure de louanges, mais
— 72 —
Jean Fououkt — f.ivre d'Heures (t'Etienite Chevalier.
(Milite de Cli.intillyi. Miniature
/•-«r^
V
t//.
^^^T^'
Ingres — Madame Ingres mère.
Dessin.
ils font chaque jour l'expérience de la cruelle maxime du
moraliste : « Nous avons tous assez de force pour supporter
les maux d'autrui. » Comment n'en seraient-ils point
frappés, quand le lien qui les unit à leurs proches est si
relâché qu'il peut achever de se rompre sans que personne
en ressente la secousse ? Ils vivent, ils marchent, ils jouent
et cependant ils ne sont déjà plus que des ombres.
C'est dans ces conditions et sous l'empire de ces pensées
que j'arrivai peu à peu à fixer l'équilibre de mon âme. Je
m'amusai alors à en chercher une formule et m'arrêtai
enfin à la suivante : Rien n'est changé en moi, sinon ma
raison d'être.
La plupart de ceux qui se trouvent dans mon cas ne se
sont point rendus à la vérité de cette sentence si brève, car
ils n'observent guère la disciphne qu'elle commande.
Les uns sont devenus aussi différents d'eux-mêmes qu'il
est possible de le concevoir. Ils se sont laissé emporter aux
événements dans le désordre desquels ils ont retrouvé une
sorte de vie nouvelle, hâtive, fiévreuse, passive cependant,
où leurs âmes n'obéissent même plus aux ressorts qui
avaient coutume de les mouvoir et ne réagissent qu'aux
impulsions d'une effarante et brutale réalité.
D'autres, au contraire, sont restés comme suspendus à
leurs souvenirs. Ils sont encore tout entiers au milieu de
leurs champs, de leurs vignes et de leurs troupeaux, parmi
leurs enfants et leurs proches. Personne que je sache n'a dit
leurs souffrances, personne n'a tenté de réconforter ces cœurs
aimants et faibles qui sont les vraies victimes de la guerre.
Les premiers efforts que j'ai moi-même tentés pour
concilier les impressions que je recevais à la fois de mon
— 73 —
passé et des événements ne furent point heureux, car,
d'une part, je ne pouvais me retourner vers une vie d'au-
trefois sans être envahi par des souvenirs si douloureux
qu'ils absorbaient toute mon énergie et, de l'autre, les
faits auxquels je me trouvais mêlé me préoccupaient si
violemment que je me sentais incapable de les confronter,
pour les mettre sous leur vrai jour, à d'autres vérités dont
j'avais fait l'expérience ou qui m'avaient été apprises.
Je réussis enfin à opérer cette fusion dont le résultat fut
que je sentis aussitôt mon personnage s'accroître et se
multiplier tout en perdant la netteté de ses contours, si
bien que je me vis tout ensemble chargé de vagues respon-
sabilités nouvelles et privé du plaisir de placer au centre des
choses les divinités familières auxquelles j'avais jusqu'alors
sacrifié. Je dus me tenir pour engagé par des actes que je
n'avais point accomplis ou que j'avais réprouvés et cou-
pable de fautes que je n'avais point commises. Cependant
je voyais à mes côtés une foule de gens qui n'avaient rien
à gagner dans cette tourmente et qui me parurent ne s'y
être jetés (encore qu'ils ne fussent pas très forts sur l'article
de la grammaire) que pour soutenir la querelle de Villon,
ou celle de Voltaire.
Et pour ce que je considérais aussi de quelles grandes
injustices étaient le plus souvent accablés ceux dont je me
plaisais à solliciter les confidences, j'admirais que les inté-
rêts de tous fussent à ce point confondus que le pays
trouvât son compte à ce que leur malheur servît, soit à
édifier la fortune d'un concurrent, soit à rehausser le pres-
tige nécessaire d'un chef, soit à racheter une faute commise.
J'ai donc été, j'ai voulu être partial envers mon pays.
— 74 —
J'ai vu, certes, i(iininc tout le inonde, le cortège de maux
€t de vices que la i^uerre traîne avec elle, sans compter ceux
dont elle ne nous a point guéris ou dont elle rehausse par
contraste la laideur. A quoi bon les énumérer et qu'irai-je
m'embarrasser de ces produits de l'égoïsme, de l'ignorance
■et de la sottise pour faire, à leiu" propos, une réserve dans
mon jugement ? Je pense au demeurant que l'âme humaine
est sans doute semblable à ces substances chimiques qui
changent de propriétés suivant la température où on les
porte et que (de même que celles qui ont été soumises au
creuset de l'adversité nous ont en général donné les plus
belles réactions) il ne faut point nous étonner s'il tombe
tant de poussière de celles qui se sont laissé secouer sans
réagir au branle des événements.
Il est du reste une raison qui m'a toujours détourné de
vouloir établir le bilan des qualités et défauts des adver-
saires, mais qui m'a au contraire déterminé avec beaucoup
de force à embrasser sans restriction la cause de mon pays.
C'est à savoir que, quelles que soient les fautes ou les sot-
tises que l'on a commises en son nom, il n'en est point
coupable dans son ensemble, ayant subi et non voulu
cette guerre à laquelle il s'est spontanément égalé. Sans
excuser pour cela une imprévo^'ance funeste, on doit con-
damner la préparation morale qui a dicté à la Germanie
cette philosophie de la guerre, dont je m'étonne qu'elle
ait pu faire illusion à quelques bons esprits nourris à
l'école des humanités françaises. Le temps a heureusement
assez marché pour qu'il soit désormais facile de réfuter
leur erreur.
Quelle est cette surprise qu'éprouvent les soldats alle-
— 75 -
mands en trouvant devant eux les durs et impassibles
ouvriers de la mort que sont devenus les nôtres ? Où donc
est cet orgueil de la force devant une autre force qui l'égale ?
Ah ! maudissons plutôt la nécessité qui nous impose tout
cet horrible machinisme ! Il n'y a point de vérité philo-
sophique dans la cruauté, point de juste impassibiUté devant
la souffrance, et l'esprit n'a rien à gagner en s'engageant
dans cette voie.
Les Français qui se sont plies aux nécessités de la guerre,
parfois jusqu'à se laisser gagner par son ivresse, n'y ont
du moins jamais cherché je ne sais quelle vérité permanente.
Les circonstances ont pu les endurcir, mais jamais aucun
d'eux ne s'est mis en tête de sermonner son ennemi et de
vouloir lui persuader qu'il le supprimait pour son plus grand
bien. La France n'a point compromis de morale dans ces
sanglantes fêtes de la Mort.
Pour moi, dont la nature repousse avec horreur ces
tragiques moissons, je n'en détournerai point cependant
mon regard devant que tout le grain ne soit rentré.
Mais prenez, ô mon Dieu ! sous votre tutelle les biens
dont vous m'avez dépossédé.
Vous m'avez arraché à mes pensers familiers, vous avez
refermé le livre où j'aimais à lire, vous m'avez séparé des
êtres qui m'étaient chers.
J'ignore quel est le sort que vous me réservez encore,
mais je sais que le principal sacrifice est accompli.
Paul Bourdin
- 76
LE DOCTRINAL DES PREUX
L'Auteur
En mon dormant, m'étant remis naguère
Dans un plessis aux vertes profondeurs,
Pallas la cointe et Mars le boutenguerre
M'ont enseigné par leurs ambassadeurs :
Rois, Chevaliers, Maréchaux, Connétables,
Qui m'ont tenu ces discours véritables :
Jeunes et vieux, oyez ces dits notables,
Petits et grands, soyez bons entendeurs.
Roland
Je m'étonne, vieillard, si le cœur ne te fend
De voir inanimé le preux à l'olifant.
Mais je n'ai de ton deuil que faire et te convie,
Plutôt que sur ma mort, à pleurer sur ta vie.
— n —
GODEFKOV DH BOUILI.ON
Je ne veux, beaux amis, chapeau de rose ou d'or :
Riches, déhcieux redoutent Proserpine,
Mais qui çà-bas sont couronnés d'épine
Petit leur est de la vie ou la mort.
BOUCIQUAUT
D'autre modèle et maître, je n'eus mie
Que Bouciquaut mon père, en prudhomie
Et vaillant ise un nouveau Scipion.
De bonne souche, bon scion.
La h ire
De justice tenir roi par Dieu commandé
Oui nous fais gâter terre et manger le bonhomme,
Messire, ayez ce point pour bien recommandé :
De tous maux Convoitise est la mère et la somme
Le Chevalier de Lalaing
A faire usure, à trésors amasser
Par cabasser, vivre de tricherie
Et pillerie et pauvres déchasser
Tourne à déclin fine Chevalerie.
-78-
Saint Louis
Dessous mon chêne, affublô d'un surcot
De tiretaine, fais- je office
De roi de France ou suis- je un bergerot ?
Ai- je houlette ou bien main de justice ?
Ne chaut petite ou grande royauté :
Peuple ou troupeau, vous êtes bien gardé
Charles le Hardi
Ne plains trop mon orgueil et ma folle cuidance,
Homme, considérant l'essence et l'accident :
Un félon m'a ravi l'empire d'Occident.
Heur et malheur, tout vient de haute Providence.
MONLUC
Voyant ce corps perclus et ce touret de nez.
Ce visage rongé de plaie envenimée,
Gens de petit courage et vilains, apprenez
Qu'à grand'peine s'acquiert la bonne renommée.
Gaston de Foix
Humains, la fleur de prix s'effeuille dès l'aurore ;
Tels sont des dieux jaloux les funestes arrêts
Gaston de Foix, rapide et brillant météore,
Cueillit en même temps la palme et le cyprès.
— 79 -
Bayard
Au renom de Bayard toi qui portes envie,
Retiens en peu de mots la règle de sa vie :
Mépriser biens mondains, être grand aumônier,
Férir haut, parler bas, oncques ne forligner.
Jean de Bueil
Bien emparlés, gaillards en toute conjoncture.
Amis sûrs, conseillant prudence aux plus hardis
Et constance aux chétifs, courtois en faits et dits :
Tels sont les gens de bien, orateurs de nature.
Jeanne d'Arc
Mes bourreaux n'ont porté le harnais ni la lance :
Près des Grippeminauds les routiers sont humains
Gens d'honneur, champions de l'antique vaillance.
Ne craignez rien, sinon de tomber dans leurs mains.
DUGUESCLIN
Nature m'a donné chère de sanglier.
Cœur hardi, généreux, vie exempte de blâmes,
Et je fus de mon temps le plus laid chevalier.
Le plus prisé du roi, le mieux pleuré des dames.
— 80 —
Le Bâtard d'Orléans
Forcer le léopard, autant vaut, bien le sais.
Comme purger Stymphale, Erymanthe et Nemée.
Le bâtard de Jupin et l'Alcide français
Ont à labeur égal égale renommée.
La Palice
Oh ! qu'un Chef obstiné peut causer d'infortune I
Pourtant suivons la meute, ô gentils compagnons ;
Nous y perdrons la vie et robe et chaperons.
Et qui nous en louera maudisse la Fortune 1
TURENNE
Quel tonnerre de gueule au haut du Mont Pagnote !
Tout beau ! les chiens mâtins, clabauds et gazetiers
De vingt postes au moins j'entends votre ribote
Qui couvre de son bruit bombardes et mortiers.
Maurice de Saxe
Qu'il est mal assuré le loyer du courage !
Le peuple est oublieux, les rois sont des ingrats ;
Pèlerins à l'abri jettent leur balandras ;
Fi du cierge et du saint quand s'éloigne l'orage !
— 8i —
Caïinat
Heureux le Capitaine, enfant de la Victoire
Qui montre pour la brigue un vertueux dédain,
Et d'un Cincinnatus prétendant la mémoire,
Tresse de ses lauriers le mur de son jardin !
La Tour d'Auvergne
Du dernier paladin, du preux à la giberne
Qui fit du siècle d'or les vertus refleurir.
Grâces qui lamentez, gardez le souvenir.
Et qu'enfin le Cynique éteigne sa lanterne !
André Mary
82 —
LES MASQUES DE LA GUERRE
'EpEyOÉwç" à/X' â-oSûvxa /ûy, aùrov
ÔeicaoOai. Platon, Premier Alcibiade.
Dépouillé de son masque de théâtre, le peuple du magna-
nime Erechthée ne charmait pas le philosophe ; mais que
ce masque était beau et bien porté !
Nous avons évidemment moins d'esprit et de goût
que ks Athéniens ; car il nous arrive rarement de nous
parer d'un masque plus beau que notre visage ; et, si nous
en choisissons un qui par hasard soit beau, nous ne savons
faire ni les gestes ni les discours en rapport.
Nous avons su, autrefois, parler et nous tenir, et nous
avons été de merveilleux modeleurs de masques. Il n'y a
pas si longtemps de cela ; il y a si peu de temps, en vérité,
qu'il faut rompre un enchantement pour nous apercevoir
que nous vivons dans un autre siècle et dans un monde
changé : c'était avant que nous eussions, de nos propres
mains, renversé notre scène, la plus belle du monde, pour
en édifier une autre qui ne fut pas moins regardée, mais qui
fut certainement moins admirée.
-83-
Un penseur né de la guerre me dira : « Qui est-ce qui
peut s'étonner, aujourd'hui, de la perversité d'aucun
peuple ? Où tend votre discours ? Etes-vous à ce point
littérateur que la beauté du masque vous console de la
laideur du visage ?
— Je regrette simplement, monsieur, que certains de
nos contemporains ne sachent pas mieux observer les
convenances ; et je voudrais bien qu'ils ne fissent pas
de Melpomène une fille à soldats.
— Eh quoi, après deux ans de guerre, il existe encore
des gens comme vous ?
— Je l'espère.
En vérité, la guerre est une tragédie, et les princi-
paux personnages de la tragédie doivent se présenter sur
la scène avec décence. Nous attendons d'eux qu'ils
s'expriment dans un langage noble, familier à l'occasion,
jamais bas.
On veut aujourd'hui que le vaillant Achille harangue
ses Myrmidons dans le style de Thersite, et que le monde
à qui nos pères ont donné de si hautes leçons de bon goût,
soit informé de nos actions héroïques par des bulletins de
même style. Héroïsme, ce mot depuis deux ans nous
revient sans cesse à la bouche et, heureusement, ce n'est
pas sans raison ; il faudrait cependant comprendre qu'aux
actions héroïques le ton héroïque convient.
Nos ennemis le sentent mieux que nous : ils nous repro-
chent (ah ! faut-il que la Sprce adresse un semblable reproche
à la Seine !) de manquer de grâce, et il faut que ceux qui
se taisent prennent leur part d'une humiUation qu'ils n'ont
pas méritée
- 84-
* * *
Calliclès prend la parole :
« Vous trouvez que nous sommes au-dessous de notre
rôle ? Mais si nous n'avons pas assez de talent, qui empêche
les jeunes d'en avoir plus que nous ? Qui doute que nous
ne soyons tout disposés à les accueillir favorablement ?
Depuis le premier jour de la guerre, ne demandons-nous
pas un Homère à la France ? Est-ce notre faute si elle ne
nous le donne pas ?
— Un Homère ? Ah ! monsieur, y pensez-vous ? Je
vous assure que si Homère osait seulement réciter le
premier vers de son Iliade sur la place publique de notre
joyeuse petite ville, il se ferait aussitôt appréhender par la
garde volontaire, sous l'inculpation de propagande sédi-
tieuse.
— Un Tyrtée, alors. Je me contenterais fort bien d'un
Tyrtée.
— Croyez-vous, monsieur, que Tyrtée consentît à parler
comme les journaux ? Et d'ailleurs de quelle Athènes
voulez-vous que nous le fassions venir ?
— Que voulez-vous dire par cette figure ?
— Quoi, vous n'avez ni labouré ni ensemencé votre
champ et vous vous étonnez de ne récolter aujourd'hui
que les herbes qui font l'ornement ordinaire des friches ?
Où sont vos écoles de poésies ? Comment avez-vous traité
vos poètes ? Voulez-vous que nous fassions le compte de
ceux que vous avez laissés mourir de misère, depuis vingt-
cinq ans ?
— Non, ce serait beaucoup trop affligeant. J'aime
-85-
mieux reporter ma pensée sur les honneurs funèbres que
nous avons rendus, nous autres académiciens, à nos chers
morts, à cette brillante jeunesse qui n'aurait jamais tracé,
de sa plume, d'aussi glorieuses pages, qu'elle a fait de son
sang !
— Vous êtes bientôt consolé !
— Que dites-vous ?
— Je dis que vous êtes bientôt consolé.
— Vous n'êtes pas très patriote, à ce qu'il semble.
— Et si je vous prouve que c'est l'Académie qui ne l'a
pas été en se comportant comme elle a fait ?
— Vous seriez bien habile.
— - Selon vous, le patriotisme est-il quelque chose de
sérieux, ou bien une simple parade ?
— Quelque chose de sérieux, de très sérieux.
— Nous sommes d'accord, monsieur, tout à fait d'ac-
cord. Celui qui sert bien sa patrie est-il patriote, ou celui
qui la sert mal ?
— Celui qui la sert bien comme nous.
— N'allons pas si vite. Un laboureur qui prend de sa
terre le soin convenable sert-il son pays ?
— Il le sert dans les travaux de la paix.
— En cultivant sa terre, fait-il ce qu'il doit ?
— Il rend ce qu'il doit à son pays, à sa famille et ce
qu'il se doit à lui-même, comme laboureur.
— Mais il fait ce qu'il doit parce qu'il fait son métier.
— Evidemment.
— Et le soldat ?
— Egalement.
— Et tous les autres citoyens ?
— 86 —
— Il en va de même pour eux.
— Le patriotisme consiste donc à bien faire son métier
— D'où tirez-vous cette conséquence étrange ? Le
patriotisme est un sentiment.
— Quel sentiment ?
— L'amour de la patrie.
— Pensez-vous qu'une république dans laquelle tous
les citoyens feraient leur devoir serait grande et forte ?
— Je le pense.
— Vouloir sa patrie forte et grande, est-ce la haïr ou
l'aimer ?
— L'aimer.
— N'est-ce pas aimer seulement en paroles, que de
souhaiter le bien de l'objet qu'on aime, sans le servir ?
— Assurément.
— Mais il n'y a pas d'autre manière de servir sa patrie
que de faire son devoir.
— Non.
— Son devoir, c'est-à-dire son métier.
— Oui.
— Qui ne fait pas son métier comme il doit, convenez-
en, n'aime pas réellement son pays et ne peut pas se dire
patriote.
— Soit.
— Quel est le métier de l'Académie française ? N'est-il
pas de veiller sur la pureté de notre langue et de maintenir
la dignité des lettres françaises ?
— Tel est en effet son rôle.
— L'a-t-elle rempli ? A-t-elle seulement dénoncé
e jargon des communiqués ?
-87-
— Je vous avoue que pas un de nous n'y a songé. Recon-
naissez, toutefois, que nous avons donné par ailleurs
quelques preuves de notre zèle.
— Oui ; vous avez revêtu le voile des dames de la Croix-
Rouge ; vous avez tricoté des chaussettes pour vos filleuls
et vous leur avez envoyé du chocolat. ^
— Ah ! vous ne devriez pas plaisanter ainsi !
— Mais ne parlons que de la Compagnie, et non de vos
fantaisies personnelles.
— Oseriez-vous soutenir que sa piété envers les écrivains
morts pour la patrie autorise personne à mettre son patrio-
tisme en doute ?
— Ils sont morts en soldats et non pas en écrivains.
— A quoi bon cette distinction ?
— C'est ce que nous allons voir. Racine est un écrivain ;
qu'en pensez-vous ?
— Un grand écrivain.
— Et Turenne, le tenez-vous également pour un grand
écrivain ?
— Turenne est un soldat.
— Mais, il est mort à la guerre.
— C'est un glorieux soldat.
— Vous appelez Racine un grand écrivain ; songez-
vous qu'il est mort dans son lit ?
— Eh bien ?
— Qu'il n'a vu les combats que du haut du mont
Pagnote et qu'il ne passe pas pour avoir été intrépide ?
— Il nous a laissé de belles tragédies.
— Le talent de l'écrivain et le courage du soldat ne sont
donc pas la même chose ?
— Qui le prétend ?
— L'Académie française a-t-elle pour mission de récom-
penser le courage du soldat ? Non, cher maître ; et quand
elle réserve ses prix aux soldats morts ou vivants, elle ne
fait pas son métier, elle n'est pas patriote.
— Auriez-vous démontré cela ? Je ne comprends rien
à votre raisonnement. Il faut qu'il ne soit pas bien français,
de quelque façon. L'Académie française est patriote,
voyons 1
— Oui, si vous tenez le patriotisme pour une simple
parade. »
* * *
Qu'est-ce que le patriotisme sans la raison ? Quelle ei.
est la beauté ? Quelle en est l'utilité ? En quoi peut-il être
bienfaisant ? N'est-ce pas cette sorte de patriotisme que
Schopenhauer appelle la plus sotte des passions et la pas-
sion des sots ?
Regardez, je vous prie, ces écrivains qui se sont donné
tant de peine pour faire de la culture française une espèce
de félibrige et qui, à toute heure, s'étonnent d'être Français,
comme les personnages d'Hernani d'être Espagnols. Ce
sont des gens qui devraient se trouver à la hauteur des
circonstances et savoir la philosophie de la guerre, puisqu'ils
n'ont pas cessé de prêcher la croisade, sans nous dire jamais
par quelle vertu nous nous rendrions capables de délivrer
Jérusalem.
Ecoutez celui-ci qui parle à tout bout de champ de raison
et de mesure : « Les sales uniformes gris... » Qu'est-ce que
-89-
cela ? C'est l'année allemande marchant victorieuse sur
Paris ! Je vous demande si un pareil langage se rapporte
à la noblesse du masque de Minerve dont cet homme
s'affuble ?
Et cet autre qui, monté sur une borne, exhortait la
France au calme ; est-il moins éloquent avec sa Botte
remplie de crottin ?
Il me revient ici des souvenirs plaisants. Le journal
où paraissaient les articles de ce prêcheur de calme était
à peu près le seul qui nous parvint ici pendant ces jours
affreux : on l'arrachait des mains des vendeurs, à travers
les grilles de l'hôtel de ville ; et ces harangues semaient la
panique dans une population déjà suffisamment troublée
par les nouvelles de nos revers sur la Somme et l'appari-
tion des premiers réfugiés.
On voyait alors les gens sortir de leurs maisons sans
avoir pris le temps de mettre un masque ; et ;*lus d'un
fanfaron, dans sa fuite, laissa tomber le sien que les enfants
s'amusèrent, pendant plusieurs jours, à pousser du pied
dans les rues.
Vraiment des hommes qui ont à ce point la crainte de la
mort ne méritent pas beaucoup d'estime ; car nous ne
sommes attachés à la vie que par d'indignes liens, illusions
ou faiblesses.
La Botte remplie de crottin... Vous en souvenez- vous ?
Comme cette éloquence répondait à notre angoisse, et
que c'était bien la peine de rompre le tragique silence d'un
peuple pour jeter dans l'air de pareilles vilenies !
Messieurs, vous n'êtes pas ce que vous prétendez être :
vous ne comprenez pas la France. Oh ! vous ne manquez
— 90 —
ni de talents, ni (l'un de vous, tout au moins) de savoir.
Votre malheur, c'est d'être nés dans des provinces trop
lointaines, l'âme de Paris vous échappe.
Vous avez tremblé pour ses monuments ? Qu'est-ce
que la pompe des monuments, au prix de la décence du
peuple ? Non, vous n'avez pas l'instinct du sublime de
Paris. Cependant, vous avez dû entendre sortir souvent
d'une noble bouche ces vers :
Mais la Seine à la fois
De grâce et de fierté sut composer sa voix.
En voici un autre. Il s'est fait, celui-là, une réputation
en soutenant avec fermeté une proposition de loi qui devait
mettre la France en état de défendre ses frontières de l'in-
vasion. Parlant des prisonniers qu'il a vus dans la Somme :
« J'ai approché, dit-il, ces animaux nuisibles. J'ai surmonté
ma répugnance afin de les interroger... »
Est-il séant à un homme dans sa place, je vous en fais
juge, d'injurier des vaincus ?
Ah ! monsieur le ministre, venez donc voir ici les jeunes
filles se mettre sur le pas de leur porte, quatre fois par
jour, d'un bout de la rue à l'autre pour regarder passer
ces beaux jeunes hommes, bien qu'ils soient tout couverts
de poussière de charbon. J'aime mieux cela, je retrouve
le cœur humain.
On me dira : c'est un père en deuil ; il voit dans ces
soldats les meurtriers de son fils ; le langage de la douleur
mérite qu'on l'excuse. J'excuserais une pauvre femme ;
je ne dois pas excuser un homme qui s'est donné de la
— 91 —
peine pour se mettre en vue, et qui, par conséquent, doit
être capable d'offrir au peuple un noble exemple.
J'admets qu'il ait pu s'emporter à un semblable excès
de langage dans une lettre privée ; je dois le désapprouver
dans un article de journal.
Mais comment s'étonner de voir que les bienséances
ne soient pas observées dans les gazettes, quand elles ne le
sont pas même dans la chaire ?
Un jeune évêque, décoré de la croix de la Légion d'hon-
neur et de la croix de guerre, et que tout le monde admirait,
quand il passait dans les rues monté sur son beau cheval
blanc, s'écrie dans une oraison funèbre remarquable, selon
le grand journal du lieu, par l'élévation du style et de la
pensée : « En enfonçant à coups de vies humaines les pre-
miers murs de cette brèche, par où passera la victoire qui
empêchera le rêve des bandits de devenir une réalité ! »
Hélas ! il n'y a plus en France ni élévation de pensée,
ni de pensée.
Non, monseigneur, un tel langage n'est conforme ni à
la raison, ni à la dignité de la chaire française. Vous n'êtes
pas un homme de passion comme nos orateurs de carre-
fours, et il ne vous sied pas d'injurier dans le même langage
des ennemis criminels sans doute, mais non pas en tout
indignes, vousle savez, de notre estime et de notre admiration. !
Que sont, dans la vie ordinaire, ces hommes dont vous
parlez avec tant de colère ? Des laboureurs, des marchands,
des savants, des ministres de paix comme vous. La guerre
en fait-elle des bandits ? Elle en fait des soldats qui obéis-
sent à leurs chefs légitimes et qui meurent pour l'agran-
dissement ou le salut de leur patrie.
— 92 —
Vous avez vu des choses terribles et pitoyables, je le
sais; de jeunes soldats de ce glorieux corps auquel vous
appartenez m'en ont raconté quelques-unes : je conçois
votre indignation, et, surtout, votre douleur ; mais si la
colère et le langage de la colère se comprennent dans l'ac-
tion, ils sont hors de leur place devant de paisibles tombes.
Dans le cimetière que parfument les voiles de deuil
d'Hécube ou d'Andromaque, j'ai vu les sépultures aban-
données de quelques prisonniers relevés mourants dans les
champs de la Marne, et qu'il n'a pas été possible de guérir.
La terre se creuse au-dessus de leurs cercueils, comme si
elle refusait haineusement de les couvrir. Elle ne s'y pare
que des plantes qui poussent dans les lieux maudits. J'ai
essayé de prononcer là le mot de bandits; je ne l'ai pu.
Vous ne l'auriez pas fait davantage, monseigneur, parce
que vous auriez redouté qu'un jour ne vous en fissent
reproche les mânes de ces autres héros du devoir qui
reposent non loin, dans la même terre, et qui ont, ceux-là,
des tombeaux et des fleurs sur leurs tombeaux. Si vous
l'aviez fait, monseigneur, les pauvres vieilles femmes qui
vous regardaient avec admiration passer sur votre beau
cheval blanc vous auraient méprisé.
Vous jouez un beau rôle ; vous portez des habits magni-
fiques ; vous parlez au-dessus de nos têtes, comme Socrate
suspendu entre ciel et terre dans son panier ; il convient
que le ton de vo? discours soit en harmonie avec cette
pompe et qu'il se ressente de votre éL'vation. Rien de plus
aisé pour vous qui pouvez lire dans leur langue tous les
grands orateurs et poètes, tant sacres que profanes.
Mais, direz-vous, ce ne sont pas les soldats allemands
— 93 —
que vous traitez de bandits : ce sont leurs odieux maîtres.
Convient-il à un homme d'EgUse de parler ainsi des conqué-
rants lesquels ne sont que les instruments de la Providence ?
N'est-ce pas la sage tradition de l'Eglise de s'incliner devant
ceux dont les mauvais coups réussissent ? Il n'y a pas si
longtemps que le Saint-Père fit le voyage de Paris pour
sacrer un usurpateur. Songez, monseigneur, que si par
malheur César eût ravi la couronne de France et que votre
éloquence vous eût fait en même temps parvenir à la dignité
pontificale, vous eussiez été bien gêné en lui posant la
couronne sur la tête.
Je supphe votre Grandeur, monseigneur, de me croire,!
avec toute l'humilité convenable et le respect que je doi^
à votre saint masque.
Votre très obéissant et très fidèle serviteur.
* * *
La guerre a mis beaucoup de cervelles à l'envers.
Quelle idée certaines gens s'en font-ils ? Pensent-ih
qu'elle introduise quelque chose de nouveau dans la vie ■
Quoi ? le parjure ? la rapine ? la débauche ? Ou aucun de;
maux qu'elle cause : la disette, les infirmités, la mort ?
Tous les fléaux forment son cortège ; elle n'en fait pa'
sortir un seul de l'Erèbc : ils sévissent perpétuellement su
la terre. Pour l'oublier, les humains font tous leurs efforts
Ils y réussissent si parfaitement qu'ils sont frappés de stu
peur lorsque l'un d'eux s'abat sur leur tête. Ils s'emporten
contre l'injustice du ciel qui les a choisis sans sujet pour le
persécuter.
— 94 —
Lorsque la guerre éclate, la vérité paraît. On tremble
sous la menace du malheur général. Les populations en
larmes courent aux églises dans l'espoir d'y trouver un
abri contre la foudre. Le danger passé, on se reprend à
oublier ; on retourne à ses plaisirs.
Certes, la guerre n'apporte rien de nouveau dans le
monde. J'ose même penser qu'elle n'augmente pas le
malheur.
En effet, si elle multiplie le nombre des accidents, elle
ne fait pas un cœur tendre et profond de plus ; c'est
l'œuvre de la nature . Or il n'y a pas de malheur pour
les cœurs ingrats, et les cœurs profonds et tendres, en
temps de paix comme en temps de guerre, se consument
d'une affliction perpétuelle.
Chez le vulgaire, le sentiment tient aussi peu de place
dans la vie que la pensée. La lanterne magique a consolé la
majeure partie de ces grandes douleurs pour lesquelles
nous avions d'avance tant de pitié.
* * *
Un homme du peuple, de cette partie du peuple contre
laquelle on lance l'autre pour sauver les riches, après
m'avoir conté, au coin d'une rue, les difficultés de sa pro-
fession, me disait : « Allez, la raison finit toujours par avoir
le dernier mot. »
Cette confiance n'est-elle pas admirable, chez des hommes
qui ne la puisent que dans la vigueur de leur honnête
instinct et qui ne pourraient la justifier ni par l'histoire,
ni par leur expérience personnelle ?
— 95 —
La raison, en effet, n'a jamais le dernier mot. Mais il est
vrai de dire qu'elle est la reine du monde, bien qu'elle règne
sur un peuple toujours mutiné.
N'y a-t-il pas quelque chose de divin à voir comme ce
peuple, au fond et en définitive, juge bien de tout, malgré
la passion et l'impuissance de chacun à juger de lui-même
aussi hbrement que d'autrui ? Et c'est cette opinion, ce bon
sens immortel et irréductible du juste et de l'honnête qui
est la raison souveraine du monde, le génie même de l'hu-
manité.
Rebelles, faites votre soumission ou soyez assurés du
châtiment infaillible. En des temps de troubles tels que
les nôtres, n'espérez jamais qu'elle abdique : vous l'avez
chassée de sa capitale ; mais il n'est pas en votre pouvoir
de la bannir de son royaume.
Il faut bien qu'elle remonte sur le trône quand les mutins
ont épuisé leurs malices ; car ils sont impuissants dans les
grandes nécessités, et le danger leur fait perdre la tête.
Nous avons pu apprendre quelle est sa puissance, en
cette petite ville, aux jours inoubliables de la panique,
lorsque tous les masques étaient dérangés et tous les esprits
à l'envers. Une parole sensée, un trait de simple éloquence
rétablissait tout. Nul n'en connaissait l'auteur : c'était
une humble ménagère, un enfant.
La grande cause d'affliction de la raison, c'est qu'elle
devance toujours l'opinion et que souvent elle n'est pas
entendue assez tôt pour que le mal puisse être écarté.
J'ai entendu de pauvres femmes, dès les premiers jours
de la guerre, prendre toutes les dispositions pour que tout
fût bien réglé dans l'Etat, et avec l'équité la plus parfaite.
-96 -
h'
Corot
Dessin.
Nos maîtres ne se trouveraient pas aujourd'hui dans un
embarras dont il leur faudra beaucoup plus d'esprit pour
sortir qu'il ne leur en eût fallu pour ne pas s'y mettre, s'ils
avaient pu apprendre de ces porteuses de cabas que la pre-
mière chose qu'il faut pour gouverner habilement, c'est
que tout le monde s'incline devant la justice.
Ah! pourquoi n'épousent-ils pas de ces bonnes femmes
qui serviraient si bien la patrie en leur donnant de sages
conseils ? Mais non : ils veulent être des Roméos !
* * *
La sincérité n'est pas une chose fort commune. La plu-
part des gens ne sont que des imitateurs ou des simulateurs.
Nous n'avons pas eu besoin de ces deux années de guerre
pour nous en apercevoir ; mais la guerre nous a fourni de
belles illustrations de cette vérité, comme de toutes les
autres, lorsque tant de gens se sont mis à feindre les vertus
qu'ils ignorent et qu'ils méprisent.
A quoi rime, dites-moi, cet étalage de bon cœur, dans
une nation aussi peu tendre que la nôtre ?
(' Cruelle ! disait à sa dam.e un amant malheureux ; que
vous sert de vous parer du voile de la charité ? Quel mérite
y a-t-il à verser le baume sur des souffrances dont vous
n'êtes pas la cause, quand vous n'avez aucune compassion
pour vcs propres victimes ? »
Je ne parle pas seulement des grandes vertus que l'on
ne regarde pas géntralcment commue le partage de tous,
mais des sentiments crdinaires. Ils ne sont, comme tous les
autres dons moraux, que celui d'un petit nombre de créatures.
— 97 —
Les poètes, les grands poètes seuls, qui connaissent les
beaux sentiments et savent les peindre, soit qu'ils les éprou-
vent eux-mêmes ou qu'ils les observent chez d'autres,
composent des traits de la vérité de beaux et nobles masques
dont le vulgaire s'affuble et qu'il porte comme il peut, ordi-
nairement de façon à se rendre un objet de risée pour les
connaisseurs.
Ces beaux masques de théâtre sont le visage même de la
raison, de l'auguste reine du monde : et c'est le bon goût
d'un peuple en fait de masques de théâtre qui témoigne
de sa haute civiUsation.
On nous dit que nous sommes les champions de la civili-
sation...
Ah ! que le masque d'Athènes était beau ! Que les Grecs
avaient de talent ! Quels masques admirables sont sortis
des mains d'Homère ! La grandeur d'âme d'Achille ; la
tendresse d'Hécube et son deuil ; la constance de Pénélope
et l'amour d'Ulysse pour son rocher natal ; l'hospitalité
d'Eumée ; la pudeur de Nausicaa. Et des mains de Sopho-
cle : la pureté d'Œdipe ; l'humanité de Thésée !
Quels ornements inestimables de la vie ! Quels agréables
prestiges pour dissimuler l'impuissance du cœur humain !
Emile Godefroy
-98-
L'HOMME NE VIT PAS SEULEMENT DE PAIN
LE POETE ET L ETAT
On sait par des exemples trop lamentables pour qu'il
soit nécessaire de les rappeler, que la carrière des lettres
est celle qui conduit le plus sûrement à la misère.
Bien entendu, la règle n'est pas absolue ; il y a des
exceptions : c'est le propre de toutes les règles.
Mais si nous disons que le jeune débutant en littérature,
et spécialement le poète, rencontre des difficultés sans
nombre, qui s'en étonnera ?
Laissons de côté les bonnes gens pour qui toutes choses
sont distribuées suivant les principes d'une admirable
équité et dans un ordre providentiel. Renvoyons ces
éternels applaudisseurs à leur lecture préférée : celle des
rapports élaborés par les administrations et les Instituts.
Ils n'y trouveront que des motifs de se déclarer satisfaits.
L'Etat, grâce à ces organes officiels, distille le narcotique
du doux optimisme.
Mais, objectera-t-on, que reprocher à l'Etat, sorte
— 99 —
B^'BllOTHeCA j
d'assemblage monstrueux, pesant, aveugle et sourd ?
Est-ce à l'Etat à se préoccuper des poètes, puisque c'est
d'eux qu'il s'agit ? Demanderez-vous à l'Etat de leur
reconnaître des qualités et, les ayant reconnues, de leur
prodiguer certaines marques d'estime et de les entourer
de certains honneurs ?
— Oui, précisément, nous le lui demandons. Nous
Toulons que l'Etat cesse enfin d'être ce monstre sans dis-
cernement, ce catoblépas qui se délecte dans sa propre
sottise. Nous croyons que la sollicitude de l'Etat doit
s'étendre aux poètes, qui enrichissent le domaine spirituel
d'une nation, de même que d'autres citoyens l'embellissent
par l'accroissement de sa richesse matérielle. Que chacun
soit à sa place : le plus haut intérêt de l'Etat y est attaché ;
qu'il exerce sur ce point sa vigilance.
Ce monstrueux assemblage dont vous parlez ne présente
de difformité que par un défaut de proportion auquel il est
indispensable de remédier sans retard. Quel est le corps
qui pourrait, dans des conditions aussi anormales, non pas
seulement vivre, car il est des monstres qui vivent, mais
agir ? Or, à quoi équivaut l'existence végétative, immobile
et lourde, comparée à celle qui est tout action, mouvement
et pensée ?
Et ne me citez pas, en vous récriant et en croyant m'em-
barrasser, les noms des poètes récompensés par nos pou-
voirs publics ou nos académies. Ne me faites pas rire. J'ai
peut-être le tort de considérer comme une affaire très
sérieuse cette question de la condition du poète dans la vie
nationale. Il en va d'ailleurs tout autant de la condition
de n'importe quelle catégorie de citoyens utiles ; mais là
— 100 —
n'est point mon objet. Dans tous les cas, aux noms que
vous m'avez cités je réponds par ceux de Paul Verlaine
et de Jean Moréas.
Je vous entends me dire : Au lieu de toujours compter
sur l'Etat, pourquoi ne pas en appeler directement aux
particuliers? \'^os œuvres leur parleront pour vous; de
cette façon l'indépendance du poète vis-à-vis de l'Etat
aurait bien des chances d'être sauvegardée ?
— Et croyez-vous qu'elle soit en danger lorsque le poète
la veut conserver tout entière ? Perdre son indépendance !
C'est un bruit que font courir ceux qui n'en ont jamais eu.
D'ailleurs ne jouons pas sur les mots et ne renversons
pas les rôles.
L'Etat représente la somme des intérêts particuliers
comme la poésie représente l'extrême perfection des biens
intellectuels : ce sont deux puissances qui se doivent, à
ce titre, de contracter alliance, mais il ne saurait leur
convenir de traiter autrement que d'égal à égal.
Au reste, savez- vous si les particuliers feront bon accueil
au poète ? J'en crois pouvoir douter. Ils le repousseront,
je l'affirme, s'ils ne découvrent en lui les signes rassurants
auxquels ils reconnaissent la valeur de tout repos, la mar-
chandise étiquetée, classée, et enregistrée dans les réper-
toires officiels.
C'est à de telles gens que les romantiques appUquaient
1 epithète à' épiciers. Pour eux, en effet, la poésie même est
une denrée : sans égard à sa qualité, elle leur parait esti-
mable d'après la marque qu'elle porte ; elle fait leurs
délices lorsqu'elle joint à cet avantage celui du bon marché,
qui lui assure un beau débit et la faveur des petites bourses.
— lOI —
II
L UNIVERSITAIRE
Pour être un excellent universitaire de l'espèce en ces
temps-ci la plus brillante, il n'est pas inutile de mépriser
les poètes, et il est profitable de s'engager dans quelque
coterie démagogique.
S'il en est un par hasard qui aime la poésie et qui soit
indifférent au suffrage des foules, il ne pourra que végéter
dans une morne et grisâtre pénombre, uniquement occup<''
de s'instruire et d'enseigner aux autres ce qu'il aura appris.
Enfermée dans ces limites, la tâche du professeur est grande ;
mais il faut, pour l'accomplir, un peu de cette flamme qui
embrase les apôtres et consume les martyrs.
Soit qu'il nous souvienne que, pendant des siècles, le
droit d'enseigner fut le privilège des prêtres, soit que la
transmission du trésor des connaissances humaines aux
jeunes générations nous apparaisse comme un acte d'un
caractère sacré, notre esprit maintient au professorat les
attributs d'une fonction sacerdotale.
Ajoutons que les conditions de recrutement, le mode de
formation du prêtre et du professeur sont, en quelque
sorte, identiques. Une pieuse ferveur, une intelligente
précocité signalent les prédestinés au choix du supérieur
ecclésiastique ou du maître laïque. Dès lors, ils sont élevés
aux frais de l'Etat, de diverses collectivités ou de particu-
liers. Les séminaires, les écoles normales, les facultés, sont
les lieux arides où paissent ces ouailles. Elles y reçoivent
— 102 —
une empreinte spéciale à quoi on les reconnaît dans la vie,
et qui ne s'efface jamais.
L'Eglise et l'Université ont chacune leur dogme. Et
l'esprit de doctrine amène tout naturellement à l'esprit
de domination. La religion universitaire déclare qu'elle est
en possession de la vérité, et condamne tous ceux qui la
recherchent en dehors d'elle.
A ne la considérer que dans un seul domaine, celui de la
littérature, voyez comme elle s'agite. Elle fait comparaître
à son tribunal Ronsard, Racine, La Fontaine, et tous les
auteurs français ; elle les juge et prononce des sentences.
EUe prétend dresser, pour le présent et l'avenir, l'inflexible
canon, d'après lequel, comme articles de foi, telles œuvres
seront admises et telles autres seront rejetées.
Quel ouvrier êtes-vous ? demandons-nous au moindre
manœuvre qui se présente pour exécuter un travail. Avez-
vous donné des preuves de votre habileté ?
Et à vous, professeur, nous disons : Comment ! vous
regardez Racine face à face ! vous passez de l'indiscrétion
à la familiarité ! vous lui faites la leçon ! Votre ignorance
vous excuse ; ce n'est point une raison pour en abuser.
Voilà pourtant le pénible spectacle auquel nous assistons
depuis que l'Université, renonçant à la manière didactique,
constitutive de son propre fonds, lui a substitué la critique
dont elle semble vouloir exercer, à elle seule, la magistra-
ture.
On vient me dire : Pourquoi déniez-vous à l'universitaire
ce droit de critique qui appartient à tous ? C'est « un droit
qu'à la porte on achète en entrant », au théâtre, ou chez
le libraire. Peut-être, mieux qu'un autre, l'universitaire est
— 103 —
en mesure de donner un judicieux avis ; tout paraît l'y
avoir préparé ; il en apporte les preuves : des années
d'application à l'étude des textes, sous la direction de
maîtres chevronnés, des brevets, des diplômes et les palmes
de l'Académie.
Vos preuves, répondrai-je, sont, à mes yeux, des plus
fragiles ; ne nous y appuyons pas. Si par le savoir d'un
disciple je conjecture celui du maître, je ne me laisse pas
éblouir. Et j'en arrive là, précisément, que ce qui les rend si
faibles, les uns et les autres, c'est qu'ils sont nourris du
même suc indéfiniment ruminé.
Quant au droit de critique, prenons garde à la complexité
de la question. S'agit-il d'exprimer une libre opinion sur
quelque sujet que ce soit, en rapport direct avec la vie, de
formuler un sentiment de plaisir ou de déplaisir à l'égard
de ce qui tombe sous nos sens ? J'en suis d'accord, ce droit
n'a d'autres bornes que la sottise, c'est-à-dire qu'il est
illimité.
Le champ d'action de la critique, tel que nous venons
de le tracer, est donc bien vaste : il embrasse généralement
tout ce qui est matière d'humanité.
Mais, dans l'ordre spirituel, il est une région supérieure
et quasi divine, un empyrée où se sont élevés les grands
écrivains. A ces hauteurs subhmes, ayant dépouillé leur
enveloppe de boue et de cendre pour revêtir un manteau
de lumière, immenses, multiformes, ils échappent à la
commune mesure.
Ne pas le sentir, ne pas apercevoir ces héros dans leur
gloire, c'est ne pas avoir la fierté d'appartenir à leur race,
l'orgueil de tenter après eux le chemin ; c'est préférer à la
— 104 —
joie salubre des cimes le poison des marécages, c'est aimer
la bassesse et la reptation par impuissance de se dresser
noblement vers l'azur.
La plupart des critiques, surtout des critiques univer-
sitaires, manquent de la première des qualités indispen-
sables pour aborder nos grands auteurs avec les marques
de respect qui leur sont dues. Ils n'ont pas le sens de l'admi-
ration. Et, en effet, pour admirer il faut comprendre, et
pour comprendre il faut égaler. Nous avons ainsi atteint
le point délicat de la question.
Le rôle du professeur est défini par l'objet même de sa
mission, qui est d'enseigner, et l'enseignement est une
sorte de révélation. Arrière celui qui, dépositaire occasion-
nel d'une parcelle de beauté, veut muer ce diamant en
charbon, en le soumettant à une grossière analyse ! Vis-à-vis
des écrivains, sur lesquels il a, sans plus, la charge de nous
renseigner, il n'appartient pas au professeur de s'ériger
en juge.
Chez les peuples les plus cultivés il est admis que les
hommes éminents jouissent de certaines prérogatives, et,
s'il y a lieu de leur faire leur procès, ils sont déférés à une
juridiction spéciale où siègent leurs égaux en titres ou en
dignités.
Plus encore que pour les vivants nous nous devons, à
l'égard des morts, d'observer cette procédure, inspirée par
un sentiment de haute convenance. Et, puisqu'on nous
oblige à le dire, quelle singulière impertinence que les
poètes, que Ronsard, que Racine, que La Fontaine puissent
être jugés par d'autres que leurs pairs !
Je compare à la domesticité d'un \'ieux manoir certains
— 105 —
universitaires quand ils parlent des grands classiques. Les
châtelains sont absents ; on croit même qu'ils ne revien-
dront plus dans la contrée, et peu à peu le personnel a pris
ses aises. Chacun s'est logé à sa guise dans les beaux appar-
tements. Aussitôt glissé dans les draps du maître, le valet
s'est senti chez lui et l'a fait comprendre. Parfois, attirés
par l'antique renommée du château, des voyageurs passent
et sont curieux de visiter le donjon, la tourelle et la chambre
qui fut un jour celle d'un roi. Scapin les reçoit en proprié-
taire, recueille tant bien que mal ses souvenirs, et guide les
étrangers en les accablant de discours abondants et niais.
Mais il a beau faire ; il ne peut s'empêcher de laisser passer
quelques traits qui le découvrent. A l'entendre parler de ce
qui est grand on s'aperçoit de sa platitude. Il s'attache à
l'anecdote et se complaît à lancer, à la dérobée, quelque
venin. Il n'épargne pas ses maîtres. Le parfum de l'office
imprègne tous ses propos.
Il fut un temps où une vigoureuse bastonnade avait rai-
son de telles incongruités.
Raymond de La Tailhède
— K^J
LE BUVEUR ET LA GUERRE
Ode Allégorique.
Afin qu'aux grands jours Sylvain
Mes fûts remplisse d'un vin
Qui sur le nectar précelle,
J'élève à l'aimable dieu
Un petit temple en haut lieu
Joint de ma propre truelle.
Je te chante, dieu charmant.
Mais de quel noble instrument
Réjouir ta docte oreille ?
Quels sons ? vent ? corde ? assez hauts
Pour réveiller aux caveaux
Une poudreuse bouteille ?
Je, tout petit vigneron.
Qui me plais à voir en rond
Tourner la danse des choses,
Déclare du chalumeau
Me contenter sous l'ormeau
Pour parler de l'aube aux roses :
— 107 —
Mais d'avoir, autre Amphion,
La lyre en main, d'Ilior
Ressuscité les murailles,
Plus de gloire je prétends
Que d'avoir fait des Titans
Dans Phlègre les funérailles !
Au gré donc du sentiment
Qui promène en ce moment
Ma verve du doux au grave,
Chantons, Muse du Sixain !
Passons du luth au buccin :
De l'air et loin toute entrave !
Vois : Faune, Apollon, les Jeux
Ont pour nous de bois ombreux
Couronné le paysage.
Ici l'on danse, égipans.
Et vous, hé ! les pans frappants
La place d'un pied sauvage !
lo Sylvain ! Quoi, tu veux
Que je danse et mes cheveux
Sont lourds de larmes encore
J'obéis : vois si mon pas
Désoblige en son compas
La grand'preuse Terpsichore ?
— io8 —
Tu souris ? Doux médecin,
O chasse alors de mon sein
D'un vieux venin le vieux reste !
O le vomir, cet amour,
Que, délogé sans retour.
S'éteigne à terre la peste
Sans partage désormais
Je suis à toi : sous ton faix
Vois, dieu charmant, je chancelle !
Descends en moi, mon vainqueur !
Quelle carrière un tel cœur
Pour ta rapide étincelle !
Voile... ô toi, de l'Inconnu
T'écarte, airain sous qui nu
Le Bien et le Mal du monde
D'oubli dort couple enivré...
A dos de bouc-dieu j'irai
Dans leur lac jeter ma sonde !
Ma coupe donc, à nous deux !
Volons, volons chez les dieux
Dans les vapeurs du Falerne :
De ma n^^mphe errants esprits.
Tout droit, tout droit aux lambris
Où, barbu d'or, Zeus hiverne !
— 109 —
A bon port ! Ouf ! Dieux, c'est moi
Place, Zeus ! Du bout du doigt
J'ébranle au loin les planètes.
A moi, Temps, le sablier !
A toi, Sylvain, un dernier
Coup de vin ! Bon ! Places nettes !
Etre dieu, dieux ! que c'est bon !
Voir comme un pur rien du fond
De notre chaise curule
Ce globe où... ce petit point...
Vrai ? je fus homme en un com
De ce canton ridicule ?...
Goûtons, ô ravissement "
De ce vaste firmament
La tranquillité sublime :
Quelle paix ! l'âme n'entend
Que ce silence chantant,
Hôte éternel de l'abîme !
Mais quel bruit ! Les éléments
Du Styx rués tout fumants
Vont-ils dévorer la terre ?
Déesse qui le canon
Prends pour coursier, dis ton nom
Infernal ? — « Mon nom ? la Guerre
— 110 —
Je viens t 'annoncer la Mort,
Vile amante du Veau d'or,
Japétique bélitraille !
Expie, expie aujourd'hui
L'orgueil où ton dieu t'induit :
Oins le monstre, il te mitraille !
Là, tout beau, tout beau, Sylvain !
Encore un coup de vieux vin
Et nous revoilà tranquille :
Aux cris des gladiateurs
M'endors, père, en tes hauteurs
Comme en un torrent quelque île !
Mais quoi. Vin, j 'entends encor,
D'Attila là-bas le cor
Répondre aux sanglots des mères !
Plus haut, Vin ! Qu'en roc changé,
Un cri d'enfant égorgé
N'étonne plus mes viscères !
Mais non ! si haut qu'en les glas
Monte un vin d'où nos tracas
A mes yeux ne sont plus qu'ombre,
L'aigre méditation.
Homme, de ta passion
Au sein des dieux me rend sombre...
— III —
D'Hercule sur le bûcher
Je vois la flamme approcher ;
Au volontaire Anathème
Je vois la Croix peser lourd
Et sous le bec du vautour
Je vois saigner un flanc blême...
Dans le présent triste et noir
Je lis comme en un miroir
Tout un avenir d'alarmes :
Sur le monde s'élançant,
Tout ce déluge de sang
Le payeront quelles larmes !'
Mourons donc ! Que le tombeau
Te couvre d'ombre, ô tableau
Qui m'abreuvas d'épouvante !
Mais non ! l'éternelle Nuit,
Quand le sentiment m'y suit.
Quels supplices il invente !
Voir l'homme né dans les pleurs
Fournir aux m.ains des douleurs
Sa carrière de désastres,
Immolé sur quel autel !
Ah ! courons ceindre, immortel,
L'aveugle bandeau des astres !
Maurice du Plessys
112
Collection Hahvorseii
Constantin Gu^s
Aquarelle.
SUR LES ROUTES DE LA MER
Souvenirs d'un convoyeur de l'Armée d'Orient
Est-ce bien l'heure de prendre la plume pour tenter de
voir clair en soi, pour donner un contour à des figures
imprécises ? S'évader du champ des impressions fragmen-
taires et fugitives, il le faudrait pourtant aujourd'hui.
Demain peut-être il ne sera plus temps. Et puis, un des
effets de la tourmente ne sera-t-il pas de fournir à la paresse
de ceux dont elle aura épargné la maison un prétexte à
laisser en friche des jardins dévastés ?
Mais qui sait vraiment si mes souvenirs ne sont point
simplement de pauvres choses dont la satisfaction de les
avoir cueiUies moi-même et la fraîcheur faisaient tout le
prix ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser le temps agir, si des
visions rapides que je garde de mes voyages en Méditer-
ranée doit sortir plus tard une leçon ? Pour le moment, les
ports, les courses sur la mer déserte, les terres qui passent,
les appels de la sirène, les sons de cloche dans la brume, les
alertes, je crains que tout cela ne forme guère, dans ma
mémoire, qu'un ensemble de bruits, d'ombres et de lumières
que le recueillement saurait peut-être organiser.
— 113 —
f Si encore l'inattendu de la situation ne m'avait pas
dérouté ? Ce n'est pas d'un transport de guerre, parmi les
chevaux, les canons, les tirailleurs jouant aux cartes, que
nous avions rêVé de saluer un jour les bords où naquit la
beauté que nous aimons. Distributions, service de veille,
communiqués, rencontres et incidents de mer, voilà ce qui
nous occupe sur le navire. A l'approche de ces terres
grecques, quelquefois à peine entrevues d'ailleurs, je n'ai
point perçu les appels espérés, et l'indifférence de ces
artilleurs de Savoie, au milieu desquels pour la première fois
je vis le cap Sunium et qui, le cœur plein du souvenir de
leurs montagnes vertes, demeuraient froids devant ces
roches inhospitahères qui passaient, ne m'a point étonné,
puisque j'éprouvais moi-même plus de curiosité que de
ferveur.
Pourtant, hier encore, dans le grand large, devant le
spectacle de cette matière aveugle s'épuisant en inutiles
agitations, on se sentait prêt, mesurant toute la grandeur
des efforts de l'homme sur la terre, à aimer ses plus miséra-
bles travaux.
Ce matin des taches grises émergent de l'horizon. Terres ?
Vapeurs ? « Matapan », crient les marins ; dans mon cœur
aucun écho ne dit « la Grèce ». Qu'importe ? Tout, plutôt
que cette mer muette et désordonnée où je ne me plais que
lorsque la nuit la dérobe à mes yeux et que le grand navire
file tous feux éteints comme une bête frémissante et
silencieuse, cette mer où nul mouvement ne s'accorde avec
les rythmes que la Grèce justement nous apprit à aimer, où
ne se dessinent point ces belles courbes sonores qu'imprime
aux flots le voisinage de la terre. Ah, la terre ! La bonne
— 114 —
terre, boueuse, revêche si l'on veut, mais la terre à qui nous
appartenons comme elle nous appartient et que ne rappel-
lent point ces sillons infertiles dont parlait le vieil aède
amoureux d'efforts utiles et harmonieux.
Cependant les taches grandissent, s'animent de quelque
couleur. Mais dans le lointain, les îles, les golfes, les caps ne
forment qu'une hgne droite et continue. Toutefois des
points se détachent que je puis enfin repérer sur la carte.
Et voici mon premier étonnement : de ces rivages que les
rêves des poètes me laissaient pressentir accueillants et
gracieux, je ne vois monter que tristesse et sévérité. Sur
ces masses bistrées, aux arêtes sèches, que figurent les
Cyclades, je ne retrouvai rien non plus des promesses que
m'avaient faites la lumière heureuse et la douceur argentée
des \'isions de Puvis. Pourtant, vers le milieu du jour, j'eus
de la joie à voir l'horizon circulaire, dont elles semblaient
épouser la courbe, se peupler de leurs profils vermeils.
Mais bientôt la pointe de l'Attique, nue et déchirée par
les stries d'un minerai verdâtre, assombrie par la fumée
de quelques pauvres usines, allait m'offrir le plus morne
spectacle, que la vue des colonnes lointaines, roses au
coucher du soleil, sur le promontoire fameux, ne parvint
pas à adoucir.
C'est à Lemnos pourtant que je devais connaître le der-
nier terme de la désolation. Nulle part la solitude n'est plus
affreuse : par un jeu de la nature, elle se montre ici, dans un
cercle de colhnes, le plus pur peut-être qu'on puisse voir,
soumise aux lois de la perfection. Leurs lignes semblent
suivre un rythme et se fermer de manière à commander
le silence et serrer le cœur. Terre la plus propre à faire du
— 115 —
misérable que le cruel Ulysse y jeta, avec ses seules flèches
pour se défendre des bêtes sauvages, « un mort parmi les
vivants ^\
Après Moudros ce fut la mer encore. Puis des sommets
couverts de neige, qui ressemblent à nos monts d'Occident :
un demi-salut à l'Olympe, tranquille sous son manteau
blanc et azur, un demi-salut seulement parce que la pre-
mière fois on a peur de se tromper, et bientôt on jette
l'ancre dans la rade de Salonique. Autour de nous, une
vaste plaine d'eau verte que prolongent des pentes de terre
brune au delà desquelles reposent les montagnes neigeuses.
Des camps de marabouts se gîtent au creux des collines,
et des villages s'allongent sous le soleil comme des champs
de fleurs. Les molles inflexions du sol disent la paresse de
l'Orient et conduisent l'œil au centre où la ville s'étage sur
le coteau.
La première fois que je la vis, elle se dessinait sans rehef
par l'effet de la brume, évoquant, avec ses tons de tapisserie
fanée, avec l' aiguille blanche de ses minarets, ses maisons
peintes et la couronne de ses forteresses turques, un Car-
paccio amorti et voilé. Mais dans les claires journées d'hiver,
quand le couchant avivait le bleu, le rose, le jaune de ses
façades, je pensais à des visages fardés et plats de femmes
d'Orient.
^f L'Orient ! Mirage si puissant que tout de suite le nom de
Salonique a pu prendre place dans la mémoire du vigneron
de Toiiraine comme du berger des Alpes à côté des noms de
Verdun et d'Arras, et leur faire espérer que ses vieilles
murailles crénelées enfermaient le charme capable d'ouvrir
enfin la porte où les gars de France ensanglantent leurs
— ii6 —
doigts. Dirai-je qu'avec le grouillement de ses foules emplis-
sant de leurs cris ses rues nouvelles d'où sont bannis les
bonnes odeurs et le bon goût, avec le calme rustique de ses
vieux quartiers sordides, elle ne m'a point paru adaptée au
destin que nos rêves lui avaient préparé ? Rien en elle ne
m'a rappelé la Grèce, rien sauf les enseignes barbares des
boutiques et l'offrande que sur le port neuf l'hellénisme
pédantesque d'un constructeur bavarois voulut dédier, à
Déméter sous les apparences d'un silo à blé en forme de
temple, dont les récipients métalliques figurent les colonnes.
Au moment de quitter pour la première fois les terres
grecques, le hasard pourtant me réservait une compensa-
tion. Mile, la perle des Cyclades, s'offrit un matin à mes
yeux qui n'espéraient plus, avant le retour en Provence, de
voir sourire la nature. Les matelots eux-mêmes, je les vis
sensibles à la grâce de ces collines encerclant l'eau la plus
belle. Milo partage le privilège de ces Ueux dont l'àpreté
naturelle se trouve tempérée par les effets du travail
humain qui, tout en restant discret et s'harmonisant avec
la nature, se devine partout, au point que la lumière même
en paraisse changée, plus douce, et peuple la terre de ces
mille choses rustiques auxquelles se prend notre cœur.
Un village, dont les maisons blanches comme la craie et
délicates comme un jouet d'enfant, coiffent l'un des caps
à l'entrée de la baie, fait envier un bonheur stable à celui
qui navigue sur la mer incertaine et, le long des crêtes, les
moulins à vent, dont les ailes rayonnent en forme d.e
pétales de fleurs et non point de voilure comme chez nous,
évoquent les biens perdus aujourd'hui, labeur facile et
simplicité des champs. Est-ce le long de ce petit mur. de
— 117 -
pierres sèches ou près de ce chemin planté d'oliviers qu'un
paysan déterra, voici un siècle, la forme divine à laquelle
le pays associa son nom ?
Peut-être si j'avais pu descendre ici et m 'asseoir sur une
souche au crépuscule dans la campagne violette, oubliant
les musiques de cirque dont le vaisseau-amiral tout le jour
avait accompagné, suivant le rite, le travail du charbon,
aurais-je entendu enfin chanter les souvenirs harmonieux.
Ce plaisir de poser le pied sur une terre grecque, je devais
le goûter à Mytilène au printemps. Mais alors la nature
renouvelée était trop belle, la vie nous appelait avec trop
de douceur après les épreuves de la mer dangereuse pour
ne pas étouffer la voix du passé. Comment soustraire à
l'heure présente une parcelle de son cœur dans cette baie
de Poriéro, profonde et verte, où les oliviers descendent
en troupes gracieuses et légères jusqu'à la mer comme pour
accueillir l'étranger ? Des fillettes aux yeux clairs nous
ayant souhaité la bienvenue d'un « kaliméra » gentil et
malicieux, je leur distribuai quelque monnaie. Me prenant
sans doute pour un seigneur aussi riche que généreux,
elles menaçaient de nous suivre jusqu'à la ville sur l'autre
versant du coteau ; je dus, pour les mettre en fuite de
toute la vitesse de leurs petites jambes nues, cueillir sur le
bord de la route un coquelicot et le leur offrir. L'aventure,
symbolique, me mit en gaîté, et je résolus, négligeant les
suggestions des Uvres, de ne me préparer dans l'île de Lesbos
que le souvenir d'une joiu-née heureuse.
Oserai-je avouer, d'ailleurs, que les pèlerinages aux lieux
consacrés ne sont pas ceux qui me tentent le plus et que les
prières retentissantes me paraissent empreintes de quelque
— ii8 —
vanité, eussent-elles pour théâtre le rocher de l'Acropole
d'Athènes ? Je n'ai point vu l'Acropole, et il se peut qu'un
jour les circonstances me donnent un démenti. Mais je ne
sais s'il est bien nécessaire à qui croit posséder l'image
complète de la beauté antique de la confronter avec des
débris de pierres. Peut-être pour la faire resplendir dans
sa grâce vivante et sa perfection, la clarté du ciel de l'At-
tique épandue sur des figures tronquées n'a-t-elle point
la vertu des seules lumières de la raison.
En présence des ruines dorées je craindrais d'éprouver
surtout le plaisir des yeux, de penser à l'art de Claude
Lorrain, de Corot, ou encore de me trouver intéressé par
une fleur qui bougerait au pied d'une stèle, distrait par une
femme qui couvrirait de son linge blanc les fûts renversés.
C'est pourquoi je ne me frapperai point la poitrine pour
n'avoir vu dans les colonnes dressées sur le cap Sunium, un
soir d'hiver, qu'une tache de couleur.
Maxime Girieud.
— 119 —
CHŒUR DES OCEANIDES
i\ peine l'arc doré se courbe
Aux mains rapides d'Apollon,
A peine est tracé le sillon
Qui de la plus obscure tourbe
Va tirer cet éclat vermeil
Dont se colore le réveil
Des eaux, des prés, des bois, des villes,
A peine as-tu fait, ô Soleil,
La mer brillante de ses îles.
Que sur les cimes nous venons,
Anxieuses de ton image,
Nous de qui le sceptre en partage
A l'empire des flots sans noms,
Filles de l'Océan, du père
Nourricier de toute la terre,
Gardien prudent de tels secrets
Qu'il n'en ouvre encor le mystère
Qu'aux voix nocturnes des forêts.
— 120 —
Mais tandis qu'au repos il cède,
Sur ses lèvres volent souvent
Quelques mots dans le fil du vent
Qui vont se perdre sans remède,
Et parfois nous l'avons surpris
Au fond reculé d'un pourpris,
Attentives à ces merveilles :
Rien de grand reste-t-il au prix
De ce qu'entendaient nos oreilles ?
Nous allons au-devant du jour...
Si les choses longtemps celées
Doivent bien être révélées
Elles renferment tant d'amour,
De tant de rayons enflammées.
Qu'auprès d'elles ce sont fumées
L'éther et l'azur irréel :
Seul Phébus a les mains armées
De la claire splendeur du ciel.
Des quatre chevaux la crinière
Déployée au vaste horizon.
Semble flotter sur Phaéton
Tant il en jailht de lumière !
Se trouve-t-il donc aujourd'hui
Quelqu'un qui plus hardi que lui,
Refrénant leurs dents indomptées.
Vers des régions les conduit
Que jamais ils n'avaient tentées ;
— 121 —
Qui, d'un psis jadis inégal,
A soumis au Nombre leur course,
Et qui les abreuve à la source
De l'autre aérien cheval,
Et, luisants des ondes du Phase,
Leur donne à fouler le Caucase
Dont les glaces à leurs sabots,
Sous la corne qui les embrase.
Brûlent comme autant de flambeaux ?
Tel parfois le soir illumine
La crête des monts orageux,
Et l'on voit répondre à ces feux
Une torche sur la colline :
L'éblouissement d'un bûcher
Etincelle à chaque rocher.
Astres arrachés de la nue.
Qui dans les rêves du nocher
Plongent leur lueur inconnue...
Raymond de La Tailhède.
I
— 122 —
DE L'ART MODERNE
11 est plus difficile de détinir les tendances de l'art
moderne que de préciser le caractère d'une grande civili-
sation du passé dont l'unité se révèle dans les moindres
vestiges qu'elle nous a légués. Or, s'il est possible de décou-
vrir dans l'art moderne une diversité extraordinaire, nous
\' chercherions en vain cette unité. Les peintres et les
sculpteurs sont nombreux de nos jours, plus nombreux
peut-être qu'aux époques de suprême épanouissement de
l'art. Mais l'art, abandonné à un individualisme irrespon-
sable, est à la merci des entreprises du mauvais esprit.
, Il en était tout autrement dans les civilisations anciennes.
^Métier était synonyme d'Art. Les mots artisan et oiwrier
d'art définissent le mieux ces innombrables constructeurs,
peintres et sculpteurs gothiques organisés en des corpora-
tions soumises à une stricte discipHne intérieure. Partout
où l'on voyait au travail ces maîtres-maçons, ces ouvriers
du pinceau et de l'ébauchoir, naissaient écoles et traditions.
Il nous suffira de citer l'école bourguignonne de Dijon, les
écoles d'Amiens, de Reims, de Rouen, de Chartres, de
— 123 —
Paris. Ne se souciant guère de sa personnalité, l'artiste
mettait dans son œuvre, avec une ferveur sacrée, le meilleur
de lui-même et unissait son effort à celui de ses confrères
dépourvus, comme lui, de tout vain amour-propre, pour
dresser des temples dignes de la Divinité. Les choses se
passaient de même dans le monde antique : chez les Egyp-
tiens, les Chaldéens, les Grecs où l'art gravitait, pour ainsi
dire, autour du culte des dieux et des héros. La production
n'y était pas Libre, individuelle : obéissant aux plus sévères
disciplines, elle constituait l'expression du génie de la race.
Aussi bien chez les anciens que dans la conception des
mosaïstes byzantins ou des maîtres romans et gothiques,
l'art avait un caractère éducatif et religieux. Sous peine
d'ébranler peut-être dans ses assises la vie des peuples, il
ne pouvait se soustraire aux règles adoptées, une fois pour
toutes, et fondées sur une parfaite connaissance des lois de la
nature. Cette intelligence d'une beauté d'un caractère uni-
versel persista encore à travers le Moyen Age. Ceci explique
pourquoi le moindre fragment de sculpture d'une cathé-
drale gothique est empreint de plus d'art que les plus
volumineuses productions de la statuaire contemporaine.
Il y a là le sentiment d'un grand style qui a dégénéré après
la Renaissance. L'individualisme outrancier des artistes
modernes l'a fait définitivement disparaître.
La physionomie de l'art a subi pendant la Renaissance
une transformation complète. La scolastique alors cédait
la place à l'humanisme. L'art commença à jouir d'une plus
grande liberté et put s'ouvrir un champ plus vaste : hbéré
des entraves où l'enserrait le Moyen Age, il bénéficia
des richesses nouvelles. Affranchi de la contrainte de
— 124 —
l'Eglise, l'artiste put donner libre cours à sa fantaisie.
Une observation plus soutenue du monde extérieur lui
permit de varier et de m.ultiplier les sujets des œuvres par
lesquelles il cherchait à s'assurer la faveur des Mécènes.
Mais la tradition était encore trop vivace pour qu'il pût
rompre tous les liens qui le rattachaient au passé. 11 décou-
vrit un monde nouveau, la Grèce, ce qui contribua à dégager
son art de la tutelle religieuse, mais dans sa vie et dans la
manière de concevoir sa vocation, il continua de suivre la
trace des imagiers gothiques.
Florence abondait à cette époque en ateliers où des
maîtres du plus grand savoir travaillaient à satisfaire les
besoins de luxe des grands. La plupart de ces hommes
excellaient dans tous les arts. Verrocchio quittait son
métier d'orfèvre pour élever des monuments à des condot-
tieri, pour dessiner des têtes d'enfants, sujet qu'il affec-
tionnait particulièrement, ou pour instruire des Léonard.
Cependant la nouveauté des sujets, pas plus que le caractère
laïque de cet art, ne purent pervertir le goût de l'époque.
On créait le beau, en quelque sorte, naturellement, et le
moindre objet usuel pouvait être un véritable chef-d'œuvre.
A plus forte raison l'art éclatait-il dans les statues, les
tableaux, les édifices.
Les Mécènes ne craignaient pas d'appeler auprès d'eux
les artistes les plus hardis que d'ailleurs, parfois, d'habiles
courtisans parvenaient à supplanter. Tel fut, entre autres,
le cas de Poussin dont des concurrents envieux réussirent
à empoisonner l'existence. Mais de tels courtisans n'étaient
pas toutefois « encanaillés » en matière d'art au point où le
sont aujourd'hui les favoris du goût officiel. Poussin exécu-
— 125 —
tait, certes, ses commandes avec plus de talent que tel
peintre bien noté à la cour, mais, encore que moins doué
par la nature, ce dernier avait tout de même assez de tact
pour s'exprimer avec noblesse. Tout artiste défendait la
dignité de l'art. Que fait-il aujourd'hui ?
Une œuvre d'art est, de nos jours, chose de moins en
moins facile à rencontrer. On produit uniquement de la
bonne ou de la mauvaise marchandise pour l'exposer dans
ce qu'on a coutume de nommer les Salons, dans ces foires
qui renouvellent sans cesse leur stock inépuisable et où
l'on peut voir des milliers d'échantillons, prétendant à
représenter autant de personnalités que de tendances. Les
neuf dixièmes de ces productions sont absolument super-
flues ; elles offensent le goût et le sens commun par leur
ineptie et leur trivialité sans bornes. Cet art prétendu, qui
est la négation de l'art, règne aujourd'hui partout en maître
tout-puissant et cela, n'hésitons pas à le constater, grâce
aux Académies qui ont faussé la tradition et aux gouver-
nements qui le favorisent.
Il ne faut point s'étonner que le gouvernement accorde
sa protection à un art accessible aux masses, et à ces
œuvres qui ornent les édifices publics de la capitale et de
la province, les écoles, les préfectures, les mairies où le
peuple se réunit aujourd'hui comme il se réunissait jadis
à l'église. Mais nulle ressemblance entre ces dernières et
celles qui paraient autrefois le sanctuaire. Il ne saurait en
être autrement. On demande aujourd'hui au tableau et à
la sculpture de donner l'iUusion de la plus grossière réalité,
d'être un plagiat photographique ou une banale illustration
de scènes historiques. Conçues selon un rythme à peu près
— 126 —
mécanique, toutes ces compositions ne réussissent qu'à
encourager la paresse de l'esprit ou flatter les instincts
inférieurs. Tel est l'art ofiîciel dans l'Europe tout entière.
Mais la France, étant encore le pays où les tendances indé-
pendantes se manifestent le plus librement et où on lutte
réellement pour un idéal dans l'art, l'absurdité de la pein-
ture et de la sculpture officielles s'y étale avec plus d'é\i-
dence que partout ailleurs.
L'art moderne est, dans les domaines de la vie spirituelle,
celui où règne aujourd'hui la plus grande anarchie. Nulle
part certainement la licence individuahste n'a fait plus de
ravages que dans les arts plastiques : elle a conduit à la
ruine du savoir basé sur des lois logiques, nées d'une
expérience séculaire.
Même ce qu'on peut qualifier d'art authentique manque
aujourd'hui de caractère général et ne parle qu'aux sens
plus ou moins raffinés. Le grand art de notre époque
exprime surtout la révolte contre l'art officiel, contre tous
les lieux communs et tous les types banahsés du beau.
Le caractère de l'art a indéniablement changé, mais
comment ses lois se modifieraient-elles ? L'art digne de ce
nom ne conteste pas les exigences de la raison.
La vraie culture comporte équilibre et harmonie, et
donne à ceux qui la possèdent le sentiment de responsabilité
devant eux-mêmes, devant les autres, devant l'histoire.
Ce sentiment était général dans l'antiquité et le Moyen
Age, et c'est pourquoi l'art y régnait en maître.
Ceux qui ont taillé dans la pierre les puissantes statues
qui se dressent sur les bords du Nil et dans les grottes de
l'Inde, ceux qui ont élevé le Parthénon et édifié les cathé
— 127 —
drales tâchaient à produire la plus grande beauté, comme
les ingénieurs modernes, dans leurs constructions gigan-
tesques, s'efforcent de réaliser la plus grande utilité. C'est
de là que viennent les proportions sublimes de leur œuvre
monumentale, si étrangères à notre époque.
3(<: * *
On peut dire que toutes les conventions en usage dans
le passé régnent dans l'art d'aujourd'hui.
Jamais le problème de la subordination de tous les arts
à l'architecture n'a été plus actuel, jamais on n'a cherché
plus fiévreusement à reher entre eux les différents arts et,
par ime contradiction singuhère, jamais la nécessité d'isoler
les formes d'art qui ont déjà conquis leur autonomie ne
s'est imposée plus impérieusement.
Examinons d'abord les rapports qui existent entre
la peinture et l'architecture. La peinture est limitée à un
seul plan, tandis que l'architecture rempHt l'espace. La
peinture reproduit le monde réel, tandis que l'architec-
ture exprime des sentiments généraux qui ne répondent
à rien de défini dans la nature. Elle n'y puise qu'indirec-
tement ses formes géométriques. Et ce n'est qu'en s'y
subordonnant que la ligne et la couleur interviennent
pour décorer ces formes.
Chez les Egyptiens, les Grecs, au Moyen Age, les peintres,
au service de l'architecture ou obéissant à ses lois, rédui-
saient la représentation de la nature à une disposition
schématique des lignes basée sur des principes de symétrie.
Cette tradition persista jusqu'à Giotto dont l'école usa,
- 128 -
V. Vax Gogh — Portrait du D'' Cachet
Peintur- '
Gauguin
Photo Druet.
Dessin.
T. LaUTREC Dessin.
CiF.ORGES SeURAT — I.CS S(l/tïniha)!(/nes . Dessin.
pour la représentation des symboles chrétiens, des mêmes
formes hiératiques, de la même composition des groupes
que nous rencontrons chez les mosaïstes byzantins. Il
anima toutefois la convention byzantine et insuffla à cet
art une âme nouvelle en individuahsant les mouvements
et les attitudes. Peu à peu, la peinture abandonna, dans
l'interprétation de la nature, le schéma architectural.
Enfin, elle découvrit les lois de la perspective, et rechercha
un modelage plus Ubre. Les peintres des xv^ et xvi^ siècles
penchent déjà vers un naturalisme plus accentué, mais
gardent encore la majesté des st34es anciens.
Ce n'est que dans les temps modernes, cependant, que
s'est manifestée invinciblement la tendance à exprimer,
avec une science nouvelle de la lumière, la réahté intégrale.
Mais voici qu'après s'être affranchie de l'architecture,
la peinture cherche de nouveau à renouer les liens rompus.
Par quels moyens compte-t-elle y parvenir ? En recourant
à l'archaïsme, en faisant renaître des conventions qui ont
perdu tout sens vivant ou en en créant de nouvelles ?
C'est sur ce point que les opinions diffèrent. On aurait
tort de croire que ces conflits d'écoles sont nouveaux.
A ce sujet, l'éminent archéologue, ^I. E. Pottier, écrit cette
page instructive : <> Ces grandes écoles de peinture qui se
sont partagé la faveur du public athénien, et dont les dis-
putes rappellent celles de nos classiques et de nos roman-
tiques ont fait naître, dans l'ordre industriel, des subdivi-
sions et des groupements analogues à ceux qui existaient
dans les sphères plus hautes. Dans le Céramique, c'est-à-dire
dans le faubourg d'Athènes où étaient rassemblées les
fabriques, on se passionnait pour telle méthode de peinture,
— I2Q —
pour tel procédé de dessin mis en honneur par les maîtres,
comme, il y a soixante ans, les partisans d'Ingres et de
Delacroix discutaient les mérites respectifs du dessin et de
la couleur. Pendant plus d'un siècle les potiers antiques ont
eu la bonne idée de signer leurs œuvres, et nous connais-
sons actuellement une centaine de noms d'artistes qui
s'espacent entre la fin du vii^ et le début du iv^ siècle. On
sait aujourd'hui distinguer les ateUers de céramistes corres-
pondant aux principales écoles de peinture que mentionnent
les auteurs. Nous avons l'école des tableaux en silhouettes
opaques, dont les représentants, les plus remarquables
s'appellent Clitias, Amaxis, Exékias. Nous avons l'école
éclectique qui, instruite par ^; les anciens maîtres, mais se
ralliant au régime nouveau, a peint d'abord en silhouettes
noires, puis s'est mise à exécuter, au contraire, les person-
nages en clair, suivant le procédé qu'on appelle à figures
rouges. Là se place une révolution radicale dans la céra-
mique, dont les auteurs se ncmment Nicosthenès, Ando-
kidès, Pamphaïos, Epiktetos, Chachryhon. Vient ensuite
l'école triomphante de la peinture claire avec les chefs-
d'œuvre d'Euphronios, de Douris, de Hiéron et de Brygos.
Mais, dans cette dernière catégorie, on distingue encore
des nuances d'opinions : tandis que les uns adoptent fran-
chement le dessin souple et varié, les sujets familiers pré-
conisés par les partisans du progrès, d'autres, comme
Euthymidès, prétendent rester attachés aux vieux prin-
cipes, au dessin grave et sévère, aux motifs rehgieux et
mythologiques. Nous lisons sur les vases des inscriptions
qui sont des défis lancés par l'un des partis à l'autre.
Euthymidès, après avoir décoré une amphore d'une scène
— 130 —
empruntée à l'Iliade, l'armement d'Hector en présence de
Priam et d'Hécube, ajoute fièrement à sa signature cette
apostrophe provocante : « Jamais Euphronios n'en a fait
autant. »
Aussi bien que dans l'Europe moderne, il y avait dans
l'ancienne Grèce des peintres d'expression, des peintres
du clair-obscur. On y discutait sur la ligne droite et la
ligne courbe. A l'époque archaïque, on y voit prédominer la
sévère ligne droite. Ce n'est qu'au siècle de Phidias que
se produira la synthèse des deux principes. En même
temps le choix de la matière contribuait à l'élégance de la
forme. Est-ce que l'art de notre temps ne devrait pas
prendre ce fait en considération ? La déchéance de l'art
est due en partie à la mauvaise utilisation de la matière
première. Car, avec la décadence de l'esprit corporatif,
bien différent de l'esprit des académies modernes, cette
tradition s'est perdue comme les autres. Les ateliers
anciens ne se bornaient pas à concevoir l'art sous l'aspect
de l'activité créatrice d'artistes isolés, leur rôle héréditaire
était d'enseigner ce qui représentait pour eux l'expression
de toute une civilisation. Ils n'inculquaient pas aux
apprentis l'art de rendre des illusions d'optiques (modèles,
paysages à différentes heures de la journée et avec des
éclairages divers), c'est-à-dire de rivaliser avec un appareil
photographique, ainsi que le font les académies qui croient
avoir recueilli leur héritage. Par contre, ils initiaient les
jeunes artistes aux vertus de la matière, àl'esprit de la forme
et à l'emploi judicieux de l'outillage. Les apprentis acqué-
raient ainsi la connaissance de la nature de la pierre, du
métal et du bois, des propriétés des couleurs et des vernis.
— 131 —
Un artiste possédant son métier savait tenir compte
du lieu et de la destination, et combinait lignes, couleurs
et volumes en conséquence.
Pourquoi l'art de notre époque se montre-t-il si inapte
à faire revivre les grandes formes ? Pourquoi avons-nous
\u disparaître les disciplines qui régnaient en Egypte, en
Grèce et au Moyen Age ? Pour la raison que nous avons
donnée plus haut : à savoir que, depuis la Renaissance, on
exalte la personnalité artistique et l'on fait passer àl'arrière-
plan les manifestations collectives du génie national.
Aujourd'hui principes corrompus et traditions faussées ont
leur asile à l'Ecole des Beaux- Arts, ce qui ne contribue pas
peu à encourager l'anarchie qui sévit parmi les peintres et
les sculpteurs et se manifeste jusque dans les efforts méri-
toires de la jeune génération. Les talents les plus robustes
ont succombé à l'enseignement de l'Ecole ; seuls, quelques
évadés cherchent à hâter l'avènement de discipUnes nou-
velles, en reniant la routine académique et en faisant pro-
fession d'une indépendance poussée aux extrêmes limites.
* *
Le problème du rôle de l'art décoratif est passé au premier
plan de nos préoccupations présentes. La mission française
qui s'était rendue, il y a quelques années, à Munich, pour
y prendre part à un congrès d'art appliqué, s'émut grande-
ment de constater quelle activité avait été déployée en
Allemagne dans ce domaine. ISIais il ne faut pas oubher
qu'elle était surtout composée de personnages officiels,
assez médiocres architectes et professionnels peu mar-
— T32 —
quants du pinceau et de l'ébauchoir. Le riche développe-
ment de l'art décoratif en Allemagne, où le gouvernement
et la bourgeoisie aisée ne ménagent pas aux artistes leurs
encouragements, les avait profondément blessés dans leur
amour-propre. Sans chercher à pénétrer les raisons pro-
fondes de ce phénomène, ils semèrent l'alarme dans le
public français, en organisant de bruyantes enquêtes. ;
La déchéance de l'art appliqué en France est un fait
indiscutable, mais il n'y a pas encore lieu de désespérer.
Tous les métiers décoratifs, il estvrai,ysont peu florissants.
Toute nouveauté choquante ou non inquiète d'autre part
le Français : il préfère subir la servitude des siècles passés
qui rétrécit, certes, l'horizon de sa pensée, mais ne dérange
pas ses habitudes familiales. Quant à ce que les Allemands
produisent de mieux aujourd'hui en matière d'ameuble-
ment et de décoration intérieure du home, ce n'est, en
réahté, qu'une transposition germanique du style Louis-
Phihppe et un arrangement de leur Biedermeier-style,
conforme au goût singulier de la bourgeoisie des bords de-
là Sprée et de l'isar. Il n'y a pas dans tous ces efforts
d'activité à proprement parler rénovatrice. Les Allemands
n'ont abouti qu'à un art de parvenus, fait du mélange de
tous les styles, mais il se peut que, grâce au caporalisme
qui règle chez eux toutes les manifestations de la vie, ils
arrivent à créer, mécaniquement, un style nouveau. Rien
de pareil n'est possible en France. C'est d'une façon spon-
tanée, organique, que le génie français a enfanté le grand
style qui a dominé partout au Moj'en Age et dont l'éclat a
persisté à travers la Renaissance jusqu'à la chute de
l'ancien régime.
— 133 —
En effet, la notion du style est étroitement liée dans la
décoration à l'organisation des métiers d'art. Pareille-
ment à tous les autres, ceux-ci ont été tués par les machines.
Si le maître et l'apprenti d'autrefois n'ont pas encore
disparu de la surface du globe, ils deviennent en tout cas
de plus en plus rares. L'ouvrier moderne qui les a remplacés
érige en principe le « sabotage », ce produit de la civilisation
capitaliste. L'art décoratif impersonnel a été éclipsé par
un art individuel, expressif, qui ne cherche plus la seule
élégance des formes, la beauté des proportions, la cadence
des mouvements, la grâce des attitudes.
De même de nos joiurs l'architecture, qui doit être la
synthèse de tous les arts, est dépourvue de style. Elle
semble d'ailleurs subordonner l'esthétique à un plat utiUta-
risme. Par réaction, l'art décoratif semble s'inspirer
aujourd'hui plutôt de la fantaisie individuelle que des
besoins sociaux. Peut-être la dernière évolution de la
peinture française, qui aspire à un style et à une discipUne,
exercera-t-elle sur lui une heureuse influence. Les spécula-
tions osées des jeunes peintres et sculpteurs français, sui-
vant sans s'en douter l'esthétique abstraite de l'architec-
ture, ont contribué le plus à orienter les esprits vers un
grand art impersonnel.
Un Amateur.
— 134
FRAGMENT DE FALOURDIN
Tu les connais, ces gens, grands éplucheurs de lois :
Ils se jettent sur tout comme fourmis des bois
Qui, de l'aurore au soir, de ragoûts sont en quête ;
Ils soupçonnent chacun de la petite bête,
Et, n'ayant par hasard leur ventre aUmenté,
Epouillent les Lauriers de l'Immortalité!
Comme rien n'est au monde où leur faim ne grignote-
Sur l'Univers entier ils mettent bas culotte,
Et les grègues encor pendantes au talon,
Le chef plus sourcilleux que Devins d'Apollon,
Sur les sales papiers que je ne saurais dire.
De leurs digestions ils s'empressent d'écrire.
En ont-ils ingéré, pilonné, dévoré.
Bâfré, rongé, lappé, empiffré, digéré,
Plus gloutons que le dogue et l'hyène et le cancre.
Pour ne laisser partout que des chiures d'encre !
Comme ils n'aiment rien tant que s'emphr l'estomac.
Ils piquent au hasard, et ab hoc et ab hac,
— 135 —
Tels le Gète grossier, le Sarmate ou le Scythe ;
La beau luth delphien n'est plus que lèche-frite
Quand ils en ont rogné les cordes à boyaux,
Mais les scandales frais sont de bons aloyaux,
Qui leur font, d'une sorte admirable et soudaine,
Enfler grotesquement la fale et la bedaine 1
Je me trompe, Mary : ne crois pas, toutefois.
Que, tantôt de travers et tantôt de guingois,
Leur goût jamais ne tende à quelque préférence.
Car, en tête des mets de jeûne ou d'afïiuence,
La Morale pour eux est plat de tous les jours,
Comme le Miel d'Hymette est le festin des ours...
C'est pour eux, mêmement, qu'on étrangle ou chourine,
Pour eux que le Poison retrouve une Agrippine,
Et tu les vois grimper, dès le patron-minet,
Le gluant escalier d'un louche estaminet
Qui, fécond en détours comme le plan d'un crime,
Les mène à la soupente où gît une victime. . .
Quand ils sortent, repus, jouant avec un jonc,
Le sang d'une catin leur fleurit le talon.
Et l'ivresse brouillant leurs cerveaux de vampires,
Ils voudraient, aussitôt, démembrer les empires.
Pour achever, enfin, le burlesque et l'affreux,
Ces goinfres barbouilles se dévorent entre eux !
Tandis que Falourdin m'entraînait en conquête.
J'entendais sans saisir, comme loin d'une fête
On perçoit la rumeur des rires et des brocs,
Tout un fracas confus d'hilares jeux de mots,
Si bien que je me crus, en ce bruit insoUte,
— 136 —
Au bourg Athracien où noçait le Lapitlie.
D'ailleurs, laissant parler cet autre Pirithois,
J'assimilai bientôt aux centaures pantois
Des êtres essoufflés, blêmes comme la mie,
Qui semblaient dévaller de chez Hippodamie,
Et qui faisaient voler, à leurs poings de fripons.
Quelque chose de blanc, pareil à ses jupons.
Bref, j'accrochais déjà, dans la ruelle gueuse,
Des Gobehns tissus d'une Fable pompeuse.
Quand un cri jeta bas toute ma fiction :
« L'Intran ! La Liberté ! Deuxième édition !... »,
Et ces monstres chétifs, jouant de l'espadrille.
N'eurent plus de Nessus que l'orde souquenille
Qui rendit Héraclès de poux enguignonné,
Et fit aux Locriens un ciel emboucané.
Falourdin, rayonnant, riant, sifflant, allègre,
Plastronnait en planteur au milieu de la pègre,
Et la Lithographie, au temps de Bernardin,
Eût popularisé le Colon Falourdin,
Avec son grand chapeau palpitant sur l'oreille,
Tel, au sommet d'un pic, un autour qui surveille,
Son nez bec-de-corbin, sa canne de bambou.
Qui vous jette à plat ventre ou vous remet debout,
Sa moustache pointant comme le fer en tierce,
Son ventre de l'avant, son torse à la renverse,
Et ce bel air, enfin, de forban bien vêtu.
Oui fait croire qu'il couche au lit de la vertu.
Son regard s'épanchait, humecté de tendresse.
Sur ces vivants haillons chassés avec vitesse
— 137 —
Par le souffle puissant qui pousse dans Paris
Le Camelot sordide et les autres débris.
Crient-ils pas sa pensée aussitôt que pondue ?
De leurs obscures mains sa Lumière est tendue,
Leurs pieds, qui par la fuite ont le bagne évité,
Sont les courriers du Droit et de la Liberté ;
Et Falourdin songeait : Sus, Hérauts anonymes !
Puisse- je quelque jour, à la page des crimes,
Publier vos portraits, jouxte le Jugement,
Pour vous bailler ainsi de l'anoblissement !
Ferxand Fleuret
138 -
LA DRAMATURGIE D'AUZIAS
Pour le trois centième anniversaire de
la mort de Shakespeare.
Argument : Le Théâtre d'Avant- Garde. — Nouvelle de
l'Anglais qui se fit rôtir vivant pour voir. — Conversation
avec Harold. — Le château de Blarney et le don de hâblerie.
— Eloge de Shakespeare défendu contre ses admirateurs
extravagants. — '< Hamlet » et « Electre ». — Apologue des
Deux Chênes. — De l'Héroïsme. — Intermède de la
Nymphe de Rocsalière. — « Coriolan » et « Macbeth. »
— Le tragique parfait et le fantastique. — Sur Machinet.
I
Auzias tira son journal de sa poche. Il était de mauvaise
humeur.
« Voyons un peu, dit-il, les spectacles annoncés pour
cette semaine : Théâtre d'Avant-Garde. Qu'est-ce que
c'est que du théâtre d'avant-garde ? Je voudrais bien que
— 139 —
tu me dises si Racine et Molière sont dans l'avant-garde
ou dans l'arrière-garde. »
Cette question me fit rentrer en moi-même.
« Et ces canards sont écrits ! reprit-il brusquement. On
dirait qu'il n'est plus aujourd'hui permis qu'aux illettrés
de placer de la copie ! Ah ! nous sommes dans un beau
gâchis ! Tout est vilain et sale et bête comme le temps qu'il
fait. Et toi aussi, tu es insupportable, tu es toujours
sérieux ! »
Après cette sortie, Auzias se tut, renfrogné.
« Mon cher Auzias, lui dis-je, te voici bien^méchant !
Qu'est devenue la fine courtoisie du Provençal confit,
comme dit le poète, en grâce sarrasine ? Je consens que tu
haïsses la pluie ; considère seulement que ce n'est pas moi
qui fais pleuvoir, et que, sans doute, je préfère le beau
temps. Que fais-tu, Auzias, de tes doctrines charmantes ?
Est-ce la parfaite mesure de s'affliger de toutes choses ? Ne
cède pas aux vapeurs de la mélancolie, et dégage ton esprit
de ses ombres. Ne médis pas des journaux qui sont rédigés
par des Normaliens qui savent l'allemand ; des cafés,
rendez-vous des fortes têtes esthétiques ; ni du théâtre
d'avant-garde qui produit les inventions de nos chercheurs
épris d'idéal, de ces novateurs qui sont allés
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau!
— Voilà, dit-il, un vers passablement grotesque.
Oh, toi, repris-je, tu n'as pas la passion du nouveau, "
que veux-tu ! Cette passion est terrible cependant, elle
entraîne loin parfois ceux qu'elle possède. Je te raconterai
— 140 —
à ce propos une histoire, si tu veux bien souffrir que je le
fasse.
— Tu n'auras pas la patience, dit-il.
— Prends garde, dis-je, que je ne lasse la tienne.
— Comment s'intitule ton histoire ?
— Nouvelle de l'Anglais qui se fit rôtir vivant
pour voir.
C'était, î;ommençai-je, par une nuit de Londres des
plus lugubres de ce mois de novembre qui est celui des
brouillards, dans un estaminet du Strand où les Irlandais
ont coutume de se rencontrer. Lynch et Murphy avaient
eu la bonne fortune de se retrouver devant le zinc, après
dix ans de séparation. Tous les deux artistes, ils étaient
venus chercher la gloire et n'avaient pas beaucoup réussi
encore. Ils parlaient du bon temps, se rappelaient des
drôleries impayables, évoquaient des figures cocasses et
puis ils se faisaient le récit des excessives misères qu'ils
avaient eu à souffrir, depuis le jour où, forts d'un courage
que la vie avait brisé maintenant, ils s'étaient dit adieu
sur le quai de Oueenstovvn. Ils lisaient sur le visage l'un de
l'autre, la tristesse définitive et l'abattement sans remède
causés par la malchance perpétuelle, et trop d'années
consumées en efforts perdus. Autour d'eux, dans l'atmo-
sphère de brume et de fumée, des compatriotes qu'ils ne
connaissaient pas, sombres comme des émigrants, buvaient
en silence, hommes et femmes, leur alcool ou leur bière
noire, ou considéraient les photographies de paysages
hiberniens, illustrant les affiches des chemins de fer éten-
dues sur les murs.
Ljmch, d'un ton de voix monotone et bas, racontait à
^ 141 —
son camarade la mort affreuse d'un modèle fille de seize
ans : à la suite d'une discussion avec son père, elle s'était
jetée sous la locomotive du métropolitain. Puis il narrait
l'agonie d'un de leurs amis, le plus folâtre de leur bande,
qui s'était donné la mort, du chagrin qu'il avait éprouvé
de voir un tableau sur lequel il comptait un peu, une assez
bonne chose, refusé au Salon. Et ses yeux cernés, dans son
visage extrêmement pâle, exprimaient une pitié profonde
mêlée de terreur.
Murphy, à son tour, se mit à parler, du même ton de voix
bas et monotone. « J'ai été l'an passé, dit-il, témoin d'un
spectacle plus douloureux et plus horrible encore ; et vrai-
ment c'était un spectacle si singulièrement horrible que cela
passe toute pitié. » Il ralluma son brûle-gueule sous son
petit nez de singe, et poursuivit : « J'avais pour voisin un
Anglais, bohème extraordinaire, qui écrivait des histoires
pour les magazines. Il venait, le soir, me faire la lecture,
tandis que je brossais à la chandelle quelqu'une de ces
originales marines dont, à force, j'ai fini par inonder tous
les marchés de l'Empire. Il était de l'école de Poe, et il se
préoccupait bien moins d'avoir le sens commun et de dire
quelque chose que d'inventer quelque nouvelle sorte d'hor-
reur pour impressionner les personnes faibles du cerveau.
Il se plaignait de sa pauvreté qui l'empêchait de satisfaire
sa curiosité du rare et du bizarre.
Or la nuit de Noël, désirant me passer de la compagnie
du camarade, je sortis sans le prévenir, et m'en allai au
hasard, à travers les rues de la ville. J'arrivai ici, où je fis
la rencontre de deux ou trois pays, pauvres hères comme
moi, en société desquels je bus tristement aux vieux amis
— 142 --
absents, et dispersés dans le vaste monde. Il va sans dire
que je n'oubliai pas Lynch. Je repris assez tard le chemin du
taudis, un peu moins accablé, non pas toutefois aussi
joyeux qu'au sortir de nos bienheureuses godailles de jadis.
Où est le temps, me disais-je à moi-même, en cheminant,
que nous aUions, Lynch et moi, comme deux frères pochards,
devisant au clair de lune, dos à dos, par les rues, l'un sou-
tenant l'autre ? Quand j'arrivai devant la maison, je
remarquai que la fenêtre du camarade aux histoires à
retourner les sangs, était éclairée d'une lumière plus grande
que d'ordinaire.
« Tiens, me dis-je tout d'abord, voilà la paillasse du
voisin qui flambe ! » Puis l'idée me vint, à la réflexion,
qu'il avait illuminé sa turne à l'occasion de la naissance de
Notre Sauveur, et qu'un festin extraordinaire avait lieu
chez ce meurt-de-faim. Cette falote idée se confirma dans
ma tête, lorsque je montai l'escalier où se répandait une
agréable odeur de rôti.
« Le misérable ! m'écriai-je, il ne m'a point prié ! Voilà
comme on se comporte dans l'abondance avec des compa-
gnons de misère ? Ah, voisin, cela n'est pas honnête, et que
vous en soyez content ou non, je serai de la fête ! » J'ouvtIs
alors brusquement la porte ; une odeur de brûlé me prit à
la gorge : « Holà, compère, m'écriai-je, vous laissez brûler
le rôt ! » Mais tout à coup, horreur ! j'aperçus, gisant devant
le foyer, tout nu, le malheureux en partie cuit, et commen-
çant à fumer ! »
« Seigneur! », s'écria Lynch, pâHssant encore.
Pendant un instant les deux Irlandais se regardèrent
en silence, puis Lynch reprit :
— 143 —
« Comment ce malheur était-il arrivé ? Pourquoi se
trouvait-il ainsi, nu, devant le feu ? Avait-il, frappé de
congestion, roulé ainsi par terre ? Mais sans doute ce qui
s'est passé est demeuré un mystère ?
— On l'a su, dit Murphy, car il y avait un témoin. Mon
voisin, comme je l'ai dit, était un curieux de frissons d'art
nouveaux ; le témoin par lequel je fus mis au fait de ce qui
s'était passé est un cahier de papier que j'ai volé, et sur
lequel notre homme avait noté les effets de la flamme, à
mesure qu'il se sentait cuire. En effet, il s'était fait rôtir
volontairement, par curiosité, satisfait de quitter une vie
aussi banale, d'une si originale façon, et de laisser après
lui l'ouvrage le plus étrange qu'on ait écrit jamais. » Voilà
mon histoire, dis- je en terminant.
— Eh bien ! fit Auzias. »
Il se leva et fut à la fenêtre. La pluie avait redoublé.
« Il me semble, dit-il, qu'il pleut moins et que le ciel
se dégage. Il fera beau après dîner. Je t'emmène à ce théâtre
d'Avant-Garde. Tu as besoin de te distraire un peu des
idées noires qui te hantent ! «
II
« Vous n'êtes pas Irlandais, au moins ? demanda Auzias
au beau Harold que je venais de lui présenter.
— Je suis Anglais, répondit le jeune homme ; pourquoi
me faites- vous cette question ?
— J'aime autant savoir ». fit Auzias en abaissant les
sourcils.
— 144 —
Cliché BTnheiin-Jeuni'.
SiGNAC
Aquarelle
Photo Druei .
Maurick Denis
Dessin.
fiONNARD
Clichés Beroheim-Jeune.
Dessins.
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VUILLARD
Cliché Bernheim-Jeune.
Dessin.
^Iarval
">hoto Druet.
Marque r
Dessin.
Harold tourna vers moi son tendre \asage de fille, légè-
rement étonné.
« C'est, dis-je, que je lui ai fait un conte dans le goût
de ces insulaires et qu'il se méfie.
— Ce sont, en effet, de grands craqueurs, dit-il.
— Connaissez- vous le château de Blarney ? dis-je.
— Rien que par l'image.
— Je regrette beaucoup, dis-je, de ne pas avoir fait ce
pèlerinage.
— De quoi parlez-vous ? demanda Auzias.
— Le château de Blarney, dis-je, qui se trouve, je crois.
aux environs de Cork, possède une pierre que l'on vient
dévotement baiser de tous les points de l'Empire et qui
confère le don de hâblerie.
— J'irai, dit Auzias.
— Je ne garantis pas, dit Harold, que les étrangers qui
vont baiser la pierre fassent, par la suite, d'aussi excellents
menteurs que les Irlandais le sont par grâce naturelle !
— En tous cas, prends garde de faire comme ce Paddy.
— Que lui advint-il ?
— En se penchant, dis-je, pour atteindre la pierre élo-
quente, il tomba du haut de la tour. Au reste, étant ivre,
il ne lui arriva point de mal. Un arbre, qui se trouva
dessous fort à propos, le reçut dans ses branches et le
laissa doucement gUsser à terre.
— Eh bien, dit Auzias l'intrépide, je prendrai donc la
même précaution que lui avant de monter ! »
Ce disant, il sucra son tilleul.
H Le mot pèlerinage, repris-je, me rappelle celui de
l'Américaine au tombeau de Shakespeare.
— 140 —
— Que fit-elle ? dit Auzias.
— Elle fit preuve de beaucoup de lyrisme. Elle ôta tout
à coup ses bottines, enjamba la balustrade et se planta
debout sur la pierre tombale, en disant : « Me voilà debout
sur sa tombe ! »
— Elle avait raison ! fit Auzias :
Mieux vaut goujat debout qu'empereur enterré.
— Les Américains, dit Harold, sont de fort extravagants
admirateurs de Shakespeare. N'ont-ils pas voulu acheter le
cottage où est née sa femme, pour le transporter chez eux ?
— On n'imagine pas, dis-je, que La Fontaine et Racine
puissent jamais avoir de pareils admirateurs !
— Que pensez-vous, interrogea Auzias, de l'engouement
du public français pour le théâtre de Shakespeare ? »
Il regardait avec une expression ambiguë de plaisir et
de souffrance le bel athlète au candide visage, qui se tenait
affalé de travers sur sa chaise, et qui fumait une affreuse
pipe.
« Il m'étonne, je l'avoue, répondit le beau garçon.
Shakespeare me paraît admirable surtout par la merveille
de son style et de son vers ; et le pubhc français ne le con-
naît en général, j'imagine, que par les faibles traductions
qu'on lui en donne. Otez cela, cependant, il ne reste plus
que des images et des sentiments qui sont la matière com-
mune des poètes, et tous ses défauts devenus plus sensibles.
Pour moi, parce que j'aime la poésie, je hais les traductions.
— Notre admiration pour Shakespeare, dit Auzias, est
quelquefois une face de notre muflerie ; mais dites-moi, se
— 146 —
I
\-oit-il en Angleterre des fortes têtes qui méprisent Shakes-
peare ?
— Oh, sans doute ! répondit Harold ; il se ^trouve des
délicats qui affectent de lui préférer Maeterhnck.
— Eh bien donc, dit Auzias, il n'y a pas que les Français
(]ui ont l'esprit large.
— - Est-ce par les beautés de son style, mon cher Harold,
repris-je, et par la perfection de son rythme, que Shakes-
peare charme le public anglais, comme il vous plaît à vous ?
— Non vraiment ! dit Harold ; au contraire, c'est bien
cela précisément qui rebute le plus grand nombre, à mon
avis.
— Eh quoi, dis-je, Shakespeare n'est-il donc pas chez
vous un auteur extrêmement populaire ?
— Oh ! certainement, dit Harold, populaire, il l'est !
Comme le héros de qui l'on voit tous les jours la statue en
passant sur la place publique ; il n'y a personne qui ne
sache son nom, mais peu savent ce qu'il a fait exactement.
— L'élévation de leur langage, de même, éloigne le
public de nos classiques, dis-je ; mais, je présume, il y a
encore autre chose : notre tragédie est trop sévère et trop
nue ; Shakespeare doit, malgré ce qu'il a de meilleur, con-
server plus d'admirateurs. Son théâtre, son art frappe
davantage l'imagination et les sens. Il me semble que le
pubUc le moins cultivé doit toujours s'attacher par quelque
côté à ses drames. Macbeth, en méchante prose, produit dans
nos faubourgs incomparablement plus d'effet qu'Athalie.
— En vérité ! dit Harold ; mais chez nous, le populaire,
je vous assure, préfère le gros drame bête aux pièces de
Shakespeare !
— 147 —
— Eh bien ! dis-je, si le beau style détourne le public
de Shakespeare en Angleterre, la mauvaise prose des traduc-
teurs le lui ramène en France, comme vous voyez.
— Alors, dit Auzias, le moyen de faire admirer aux
Français leurs tragiques est bien simple. Le directeur de
rOdéon, qui aime beaucoup les traductions, n'a qu'à faire
tourner Horace et Phèdre en méchante prose par...
— Chut ! fis-je, il est peut-être dans ce café.
— On présenterait cela , reprit Auzias, comme une évolu-
tion du genre tragique.
— Puisque nous parlons de Shakespeare, dis-je, au lieu
de nous demander ce que les autres aiment ou haïssent en
lui, voulez-vous, mon cher Harold, que nous recherchions
ensemble ce que la droite raison nous oblige à en penser
nous-mêmes
->
— • Je veux bien, dit-il.
— Et d'abord, repris-je, est-il vrai que ce poète soit
tombé de la lune dans son berceau ?
— Je ne l'ai pas entendu dire, répondit Harold.
— C'est, dis-je, une légende qui a trouvé chez nous
quelque créance ; mais passons. A votre gré, il est donc un
homme, et il n'est pas impossible à un autre homme, un
Anglais , par exemple , de le comprendre et après cela de le j uger .
— Il me semble bien que ce n'est pas impossible, dit-il.
i — - Et croyez- vous, dis-je, que, bien que vous soyez né
au delà de la Manche et que je le sois en deçà, il suffira que
l'un de nous ait raison pour que nous nous accordions
aussitôt ?
— Allons, dit-il gaiement, j'espère que c'est là notre
juste éloge \
— 148 —
— Appelleriez- vous savant, repris- je, celui qui soutien-
drait que Shakespeare est tout à fait à part dans la poésie
moderne ?
— Assurément non, dit-il.
— - Tenez-vous vraiment beaucoup à ce que la poésie
moderne et l'antique nous paraissent différer comme du
blanc au noir ?
— Je n'y songe point ! dit-il.
— Qui nous empêchera de dire, repris-je, qu'il n'y a depuis
Homère jusqu'à nous qu'une seule poésie dont Homère est
la source, et que nous appellerons la poésie moderne ?
— Cette vue me plaît, dit-il.
— Donc, repris-je, notre Shakespeare est un homme, un
poète comme les autres et la même raison sufifit pour le
comprendre et le juger, que pour les autres.
— Naturellement, fit le beau Harold.
— Je savais bien, m'écriai-je, que quelque Anglais fini-
rait bien un jour par m 'accorder ce point !
— Le moyen de le nier ? fît-il.
— Nombre de fortes têtes, en France, le trouvent, dis-je.
Mais pensez-vous avoir fait un plein éloge de Shakespeare
quand vous avez loué son style et son rythme, ou si vous
êtes d'avis qu'ils seraient moins beaux si la matière de son
art était moins belle ?
— Il est vrai, dit-il ; mais je disais que c'est la matière
commune à tous.
— Estimez- vous, demandai- je, qu'on puisse être doué
pour la poésie et manquer de sens, exprimer des sentiments
faux et dire des bêtises ?
Je le pense, dit-il.
— i4q —
— Cela ne me paraît pas arriver à Shakespeare, dis- je. Il
est toujours vrai, clairvoyant ; il est ennemi juré de la chi-
mère. Il faut donc dire que, si ce n'est point là la matière
des poètes médiocres, il est un poète supérieur.
— ■ Nous en sommes d'accord, dit-il.
— Oui, répondis-je ; nous sommes tout à fait d'accord
sur la louange ; mais le serons-nous aussi bien sur le
blâme ?...
— L'éloge que tu viens de faire de Shakespeare, dit
Auzias, me plaît extrêmement, je le trouve sage et beau.
Voilà qui me rafraîchit le sang ! Shakespeare n'est pas
l'esprit confus et trouble que les esprits troubles et confus
se figurent admirer dans son œuvre ; mais il est plein de sens
et de clairvoyance. Ah! la bonne tête que c'est ! Il connaît
le cœur de l'homme, sa condition misérable, et le cruel
destin. Oui, son âme de poète est pure comme l'or. Platon
a dit : « L'opinion vraie sur le beau, le juste, le bien et leurs
contraires, quand elle est solidement assise dans les âmes,
je rappelle divine. » Eh bien, dire que l'essence de la poésie
de Shakespeare est le vrai, n'est-ce pas le placer au nombre
des poètes que l'on peut appeler divins ? Il est au-dessus de
l'admiration aussi bien que de l'envie du vulgaire. Couvrons
de ridicule et perçons de traits amers ceux qui s'exaltent
et s'enthousiasment devant lui sur leur propre sottise. Ne
crie-t-on pas à tout bout de champ que voilà du Shakes-
peare, la grâce et la fantaisie, la profondeur shakespea-
riennes pour les plus grossiers ouvrages et le plus dénués
d'éclat, de signification et de charme ? Il sufht qu'un drame
soit écrit dans une prose dure et hargneuse, et qu'il soit
— 150 —
injouable, pour être déclaré shakespearien. Qu'est-ce qu'un
drame qui n'est pas jouable ? Les Grecs en ont-ils jamais
rêvé ? Ils ont le dialogue qui est tout autre chose. On con-
çoit qu'un drame ne soit pas joué, fût-il le plus beau du
monde ; mais un drame injouable, qu'est-ce que c'est que
ce monstre ? Donc, gentlemen, ajouta-t-il en posant sur
nous son regard riant, je vous écoute avec une grande
attention, et je me réjouis d'avance des bonnes choses que
je vais entendre.
— L'éloge est fait, dit Harold, passons au blâme.
— Blâmer Shakespeare ! mais qui suis-je ?
— Allons, dit Auzias, ne nous prends pas pour des sots !
— Shakespeare, continuai-je, a bien représenté la
vérité : voyons s'il a su lui donner son plus subhme carac-
tère.
— Comment ? dit Harold.
— Nous y parviendrons, si vous consentez à me suivre.
Il paraît que vous êtes un grand alpiniste ; je verrai si vous
gravirez avec courage le mont sacré des Muses.
— En route, dit-il en souriant.
— D'abord, nous ne faisons que passer les yeux avec
dédain sur les défauts d'importance secondaire pour des
critiques tels que nous. Accordons aux détracteurs et aux
admirateurs quand même, quant à son goût et à son sys-
tème dramatique, tout ce qu'ils veulent.
— Les voilà bien attrapés, dit-il.
— Il faut, repris-je, que je m'assure d'une chose. Som-
mes-nous d'accord sur les principes ? La raison existe-t-elle
dans la nature au même titre que la déraison ?
— Sans doute.
- 151 -
— La civilisation, la perfection ne sont-elles pas égale-
ment dans la nature au même titre que la barbarie et
l'ébauche ? Ou bien croyez-vous qu'elles en sortent ?
— Impossible.
— Eh bien, je vois que nous n'aurons pas de dispute.
Nous sommes convenus que l'essence de la poésie de Sha-
kespeare est parfaitement pure et nous l'avons sauvée de
toutes les critiques. Mais que penseriez-vous de l'œuvre
d'un sculpteur qui, voulant personnifier dans une forme de
femme la nation anglaise, la rendrait parfaitement belle,
mais lui donnerait l'expression de la folie ?
— Peut-être aurait-il raison ; ce serait beau quand
même et en tout cas fort drôle, mais par-dessus tout extrê-
mement choquant, et aussi peu convenable que possible
pour un monument national, et cet ouvrage ne devrait pas
sortir de l'atelier de son auteur.
— Fort bien, répondis-je. Et si un artiste prétendait
représenter par une statue de ce genre, non pas seulement
la nation anglaise, mais bien l'humanité tout entière, en
seriez-vous moins scandalisé ?
— C'est étrange, dit-il ; je sens que cette idée me scan-
dalise moins, et toutefois, je discerne fort bien par raison
que c'est absurde et que j'ai tort.
— Etes-vous sujet au vertige ? demandai- je.
— Excelsius ! répondit-il.
— Shakespeare, poursuivis-je, représente l'homme
comme l'esclave de ses fureurs et le jouet du destin ; il ne
voit dans tout ce qui le regarde que dérision et il s'aban-
donne à un désespoir sans mesure. Il ne détache pas son
esprit de la misère de l'homme et méconnaît sa grandeur.
— 152 —
Le ciel n'a pas accordé à l'homme ce qu'il appelle bonheur,
sans bien savoir ce qu'il veut dire ; qu'importe, s'il lui a
donné la force de supporter tous ses maux ? Et c'est cela
la grandeur. Nous n'ignorons pas que l'homme fort ne
peut rien contre la Fortune, mais il est positif et nullement
imaginaire qu'il se met au-dessus de tout ce qui peut lui
arriver. C'est cela la raison. Shakespeare en est plein, mais
il ne la met pas à sa place, de façon qu'elle répande son
rayonnement sur tout le reste de ce qui est pour nous la
réalité. Son œuvre nous offre le spectacle déplorable de la
raison perpétuellement blasphémée par elle-même. Aussi
n'a-t-il point de majesté. Comparez Hamlet avec l'Electre
(le Sophocle, c'est en somme le même sujet ; vous verrez la
pauvre petite chose que devient le drame anglais à côté de
la tragédie grecque. Eh quoi, l'homme fera-t-il si peu de cas
des biens qu'il a reçus du Ciel, et principalement de la
raison, qui est le plus divin ? Mais n'adore-t-il pas, en effet,
cette raison, n'est-elle pas son idéal ? (A moins toutefois
que vous ne pensiez que l'idéal, au contraire, c'est l'extra-
vagance, ou bien l'azur, les nuages ?) La raison ne nous
éclaire pas toujours, il est vrai, et elle nous manque bien
parfois au grand besoin, mais si elle n'est pas reine absolue
dans toutes les choses humaines, elle peut et doit l'être
dans l'art. La raison parfaite est le vrai jour de la beauté.
La poésie tire d'elle son caractère le plus subhme qui est,
dans tous les genres, la décence. Tel est celui du double
théâtre de la civiHsation parfaite, de la cité idéale.
— Qu'il ne faut pas confondre, fît observer Auzias, avec
la cité future.
— Je suis un peu étourdi, dit Harold, car vous ave/.
^53 -
ramassé en peu de paroles beaucoup d'idées qui sont nou-
velles pour moi. C'est vraiment le chemin des chèvres que
nous avons tenu. Mais, dites-moi, ce tragique parfait
n'existe-t-il pas dans notre Uttérature ?
— Non, répondis- je.
— Vous pensez, reprit-il gaîment, que si les Anglais
possédaient un Racine, ils ne s'aviseraient pas de le mettre
au-dessus de Shakespeare ?
— Quoi ? s'écria Àuzias effrayé, si jeune et si pervers ?
— Shakespeare, continua le jeune milord, est un sau-
vage ; il aurait pu aussi bien, tel qu'il est, être le poète de
ces Britons qui se peinturaient le visage en bleu pour faire
peur aux soldats de César. Quand même, je l'adore, et je
voudrais m'accorder que, sinon par l'esprit, du moins par
les richesses poétiques, il est aussi grand prince qu'aucun
autre.
— Courage, mon cher alpiniste, dis-je, je vais vous
indiquer par ici un endroit délicieux où vous pourrez éten-
dre vos membres fatigués. Voilà. Cela consiste à penser
qu'il faut tout admirer dans la nature et principalement ce
qui est fort et désordonné, non pas ce qui est fort et par-
fait. Cela s'appelle de nos jours avoir l'esprit critique, et
c'en est le contraire. Non, mon cher Harold, il ne nous est
pas possible de ne pas préférer la raison à la déraison, la
civiHsation à la barbarie, la perfection à l'ébauche : telle
est la loi divine. Je vous proposerai une comparaison.
Figurez-vous deux chênes forts et beaux ; le premier qui
frappe votre vue est étrangement puissant, il est vaste,
élevé ; mais en l'examinant davantage, vous sentez que
c'est ce qu'il a de sauvage, de tourmenté, de difforme qui
— 154 -
vous a donné de l'étonnement. L'autre paraît d'abord
moins extraordinaire et moins puissant ; mais en y regar-
dant mieux, vous vous rendez compte qu'il n'est pas infé-
rieur au premier dans ses proportions, mais qu'elles sont
plus heureuses. Telle est l'image du génie sauvage et du
génie parfait. Le second de ces génies est le plus bel ouvrage
de la nature et le seul, en définitive, qui soit digne d'arrêter,
de retenir notre esprit.
— - Tout cela me plaît beaucoup, dit Harold ; je vous
remercie, et je vais travailler à approfondir et à embellir
l'idée nouvelle que vous m'avez donnée de la beauté
poétique. »
III
Harold était songeur.
» What are y ou dreaming ahout ? lui dis-je.
— Je pense, répondit-il, à Shakespeare.
— Serait-il en danger ?
Je ne crois pas.
— Qu'est-ce qui vous tourmente ?
— J'ai réfléchi à ce que vous disiez l'autre jour et à
votre comparaison des deux chênes.
— Ah!
— Je reconnais la justesse de votre critique...
-- Ah ! Ah !
— Mais je dois vous avouer une chose...
— - Dites, je vous en prie.
— Eh bien, tout cela m'est égal !
— Et donc ? dit Auzias.
— 155 —
-^ — Je veux dire que malgré tout -je l'aime.
— Hélas, dit Auzias, nous connaissons tous par expé-
rience les faiblesses de l'amour !
— J'ai relu Hamlet :
'tis a consumation
Devoutly to be wish'd. To die, to sleep;
Je trouve cela très beau : « la tête fatiguée se pose
doucement sur l'oreiller pour dormir », to die, to sleep.
— Evidemment, dis-je.
— Moi aussi, dit brusquement Auzias, j'ai médité la
question et je vais te proposer une objection formidable.
Peut-on soutenir qu'il n'y a point d'héroïsme dans le
théâtre de Shakespeare ? Que dis-tu de son Coriolan ?
J'y trouve, quant à moi, un accent guerrier, une taratan-
tare de tous les diables, et je ne sache pas de poésie qii
exalte davantage en moi les instincts belliqueux.
— Cela ne m'étonne point, lui dis-je, tu as toujours
été un grand batailleur. Je me souviens de ta vaillance,
quand nous nous battions à coups de pierres avec les
galopins de la paroisse Saint-Elzéar, sur la place de la
Bouquerie. Tu t'élançais, les mains vides, sur les frondeurs
ennemis et tu les faisais fuir comme une volée d'étour-
neaux, jusque dans les gouttières et dans les mitres des
cheminées.
— J'en porte encore, dit-il, au-dessus de l'œil, une
glorieuse marque à montrer au peuple romain, quand je
serai candidat.
— Te souviens-tu de ce méchant mitron que?...
— 156 —
-— Ne pense pas m 'échapper ; il s'agit maintenant de
Shakespeare; nous parlerons un autre jour de nos cam-
pagnes.
— Que disions-nous ?
— Hé, hé !
— Ou'as-tu à rire ?
— Te voilà confondu !
— Pourquoi ?
— Il y a de l'héroïsme dans Shakespeare.
— Eh bien ?
— Le nieras-tu ?
— Mais non !
— Ergo, ton système s'écroule.
— Il faut s'entendre.
— Subtilité !
— La question...
— Argutie !
— Est de savoir...
— Finesse !
— De savoir...
— Vaine chicane !
— Si pour l'auteur à'Hamlet l'héroïsme dont tu parles,
n'est pas simplement un aspect de la folie humaine.
— Je le crois, dit Harold, et je pense comme" lui
que la destinée est absurde et que tous les hommes sont
fous.
— Il y a du vrai, dit Auzias.
— Et vous en concluez, dis- je.
— • To die, to sleep, dit Harold.
— Qu'attendez-vous ?
— 157 —
— Je me pendrai, dit-il, un jour qu'il fera beaucoup de
brouillard à Londres.
— Vous serez bien vilain, pendu, dit Auzias ; pourquoi
ne pas vous faire rôtir tout vif devant un grand feu, le soir
du réveillon ? J'ai ouï dire que la chose se pratique assez
couramment en Angleterre.
— Non, dit Harold, ça sentirait mauvais et ferait un
esclandre inutile. La corde permet de se retirer plus discrè-
tement.
— Vous réveillez en ma mémoire, dit Auzias, l'un des
plus charmants souvenirs de mon adolescence. Lorsque
l'amour s'établit pour la première fois dans mon pauvre
cœur (lequel depuis en a vu bien d'autres), il y opéra de si
épouvantables ravages que j'en arrivai à ne plus désirer
autre chose au monde que la mort.
Un jour je me promenais, solitairement, sur les bords
de la Margarita, méditant mon chagrin, quand une belle
jeune Nymphe, couronnée de violettes, m'apparut et
d'abord me dit d'un air riant et d'une voix mélodieuse :
u Auzias, tu veux mourir ? »
Je lui répondis : « Oui, mademoiselle. »
— Parce que, dit-elle, tu aimes un laideron qui se moque
de toi ?
— Ah ! lui dis- je, ne parlez pas ainsi de mes amours.
Elle se moque de moi, sans doute, mais elle est belle comme
le jour.
— Qu'en sais-tu ? reprit-elle. As-tu jamais osé la regar-
der en face ?
— Non, je l'avoue.
— Veux-tu guérir ? reprit-elle.
- 158 -
— Je veux mourir, et viens ici dans le dessein de me
noyer.
— Nigaud, dit la Nymphe, quelle idée te fais-tu donc
du séjour des morts, pour désirer si prématurément y
descendre ?
— Je me le figure, lui répondis-je, plus beau que la
Provence. Là, point de bise et point de chaleurs excessives.
Le soleil se lève toujours au même orient, et poursuit sa
route dans un ciel toujours bleu et constamment ventilé.
Une saison unique, tempérée, et tenant à la fois du prin-
temps et de l'automne, fait épanouir ensemble toutes les
fleurs et mûrir tous les fruits. Là, ni le tonnerre, ni la grêle
n'interrompent le chant des oiseaux. Là, plus de vains
désirs ; et les amants qui, comme moi, moururent malheu-
reux et fidèles, jouissent d'une félicité et d'un bonheur
inaltérables ; ils ne rencontrent plus de cruelles et donnent
la cotte verte à toutes les plus gentilles, vendangeuses,
magnanarelles, cueilleuses de figues, d'olives, de lavande,
et botteleuses de foin. »
La Nymphe de RocsaHère se prit à rire : « Plaisant fol,
dit-elle, rentre au logis et prends de l'ellébore, vrai spéci-
fique de la mélancoHe amoureuse. Apprends que dans
l'autre monde, non plus qu'en celui-ci, il n'y a point de plus
délicieuses campagnes, ni de plus accortes jeunes filles
que celles de la Provence. Outre la rive sombre, plus de
vendanges, plus d'olivades, plus de fenaisons, plus d'ébats
lascifs, plus de fleurs, plus de soleil, plus de symphonies
bocagères, plus de rêveries sous la courtine verte, au bord
de l'eau. »
L'écoUer de la Margarita se tut.
— 150 —
Mon âme regrettait les pentes chéries de Rocsalière où
murmurent des fontaines.
« J'aime votre fable, dit Harold ; mais y avait-il une
profondeur d'eau suffisante pour vous noyer ?
— - Un peu ! répondit Auzias. La Margarita est l'un des
affluents les plus considérables du Calavon, nommé aussi
Coulon parce qu'il lui prend, de temps à autre, la fantaisie
de passer en volant par-dessus les ponts comme un pigeon
ramier des Alpes.
— Vous me faites souvenir, dit Harold, d'un vers de Keats.
— A la gloire du Calavon ? demarda Auzias.
— Non, mais il s'applique très bien à vovis.
— ■ Voyons un peu.
— ■ Il dit que nous sommes attachés à la terre par des
chaînes de roses.
— - Oui-dà, fit Auzias. C'est en effet très anacréontique.
— ■ Ne vous fiez pas, Harold, à l'apparence. Auzias est
un sombre pessimiste ; je l'ai entendu faire contre l'amour
de terribles sorties.
— Jamais ! dit Auzias.
— Fais maintenant amende honorable.
— ■ Mais jamais...
— - Que si !
— Où ça ?
— - Dans ce même café, à cette même table.
— - Je veux bien te croire ; mais alors j'étais entre deux
vins, car je n'ai pas à me plaindre de ce gentil dieu.
Harold se mit à bourrer une pipe.
— Moi aussi, dit Auzias, j'ai envie de fumer. Excusez-
moi, je vais jusqu'au bureau de tabac. »
— i6o —
J. Marchand
C^^
Flandrin
Dessin.
Henri Matisse
IV
« Ici, mon cher Auzias, je rapporterai les beUes choses
que tu n'as pas entendues, et je me flatte, mon beau petit
faune enguirlandé de roses, que tu ne les trouveras pas tout
à fait oiseuses.
De nouveau Harold tenait son jeune visage penché sur
l'onde plutonienne.
« Perchafice to dream ! » lui dis-je.
Il sourit, disant : « Hamlet, prince de Danemark, est tant
soit peu un amateur, comme beaucoup de moralistes.
— Il me paraît sentir avec assez de profondeur, au con-
traire.
— En a-t-il meilleure tête pour cela ?
— • Je ne sais,
— Croyez-vous que la peur de quelque chose après la
mort retienne les désespérés ?
— Il faut bien penser que non.
1 — J'aime mieux ce que dit des chaînes de roses l'auteur
,j é'Endymion.
\ — Mais lorsque les roses sont flétries ?
j — Nous restons liés par les ronces, et à leur tour, elles
îj nous semblent belles et intéressantes. »
A cet instant Ménalque fit son entrée.
1 II nous donna le bonjour d'un air joyeux, et s'assit à la
i place d'Auzias.
« Nous parUons de Shakespeare, lui dis-je.
— L'appelez- vous, comme Schlegel, « le Titan de la
tragédie qui attaque le ciel et menace de déraciner la
terre ? »
— i6i —
— Le mépris de Gœthe nous dispense de juger ce calom-
niateur de la grande scène française.
— Avez-vous lu le livre de Tolstoï ?
— En vaut-il la peine ?
— Certes.
— Mais, dit Harold, il se place au point de vue de la
doctrine chrétienne.
— De là, dit le critique, il domine Shakespeare commo-
dément.
— Sans doute.
— Il n'eût pas été moins à son aise assis au sommet de
la philosophie tragique des anciens.
— Ah ! nous avons dit là-dessus des choses profonde^,
il y a quelques jours, dit Harold.
— Je le crois.
— Harold se moque, dis-je.
]\Iénalque reprit : « Le célèbre cordonnier russe envisage
aussi le poète et le dramaturge.
— Est-il juste ?
— A la rigueur, il le reconnaît pour un bon écrivain, un
assez bon versificateur.
— C'est gentil de sa part, dit Harold.
— Le regarde-t-il, lui aussi, comme le plus grand peintre
de l'humanité, ou s'est-il aperçu que l'on ne saurait trouver
dans son théâtre, des caractères supérieurs d'hommes,
tels que le Thésée d'Œdipe à Colone, par exemple, ou le
grand-prêtre dans Aihalie.
— Il découvre davantage : que Shakespeare n'a jamais
peint de caractères du tout.
~ Oh, oh !
^- t62 —
— Je crois, en effet, que Shakespeare n'a tracé que des
rôles et des scènes, mais que, pour la peinture des carac-
tères, il n'a rien d'un Racine, d'un Corneille ou d'un Molière.
— Est-ce l'opinion de Tolstoï ?
— Pas en ce qui concerne la tragédie française : il ne
fait que répéter les sottises que nous avons nous-mêmes
répandues en Europe.
— A la bonne heure !
— Il ignore notre littérature et croit que c'est Gœthe
qui a fait connaître Shakespeare.
— Mais Shakespeare fut représenté en Allemagne dès le
xviie siècle.
— Si l'on veut parler de celui qui rendit la réputation
de Shakespeare européenne, il faut nommer Voltaire et non
pas Gœthe. A l'époque où Voltaire mettait Francfort en
émoi, le futur auteur de Werther jouait avec ses petits
ménages, et depuis vingt ans les Lettres anglaises couraient
le monde.
— Notre ami Auzias, dis- je, nous faisait tout à l'heure
im magnifique éloge de C ortolan...
— Votre ami Auzias, qui est-ce ?
— Vous l'avez vu plusieurs fois, notamment le soir que
votre ami Clitandre et l'astronome eurent ce grand débat au
sujet du mauvais goût, du mauvais sens, et cœtera. C'est un
bel homme, avec une belle barbe noire et des yeux vifs.
— • Je sais, je me souviens maintenant ; une belle barbe
noire, et la mine la plus sympathique du monde,
— Parfaitement.
— Il n'a pas du tout l'air d'un sot.
— J'espère bien.
— 163 —
— Je m'y connais un peu ; j'en ai tant vu, principale-
ment dans ce café.
— De quel pays est-il ? dit le maître.
— D'Apt en Vaucluse.
— D'Apt en Vaucluse ; j'y ^^i mangé des truffes exquises.
— J'en suis ravi.
— Coriolan, reprit-il après avoir un instant rêvé, me
paraît l'un des meilleurs ouvrages de Shakespeare pour la
qualité de la matière. Je tiens qu'il fait plus d'honneur à
son génie que Macbeth par exemple.
— Ce que vous dites là fâcherait bien des gens.
— Que voulez-vous ! Shakespeare ne serait plus Shakes-
peare et le débat n'existerait plus si l'on regardait comme
son chef-d'œuvre une pièce dont il a pris le sujet dans l'his-
toire romaine, comme Corneille.
— Je comprends.
— Macbeth, reprit-il, n'a rien de tragique.
— Oh, oh ! dit Harold.
— Macbeth n'est qu'un conte fantastique dans le genre
d'Edgar Poe.
— Vous êtes dur.
— • Je plaisante ; les contes d'Edgar Poe sont de simples
niaiseries ; je veux dire que le terrible de Macbeth peut
frapper l'imagination, mais qu'il ne touche point le cœur.
— Eh ! quoi, dis-je, le cœur ne me bat-il pas à grands
coups lorsque Macbeth aperçoit le spectre de Banquo assis
à sa place ? Et lorsque lady Macbeth, en chemise, se frotte
la main, en disant : « Tous les parfums de l'Arabie... »,
n'avez-vous pas la chair de poule ?
— Oui, ma foi.
— 164 —
— Je vous envie ; mais ne vous sentez-vous pas plus
sérieusement ému dès les premiers vers d'Œdipe â Colone ?
— J'en demeure d'accord. Le tragique de Shakespeare,
ou le terrible, si vous préférez, s'apparente plutôt à celui
d'Eschyle, dans les Erinnyes du moins,
— Les sorcières avec leurs chaudrons ne ressemblent pas
mal aux soeurs infernales, filles de la Terre et de la Nuit, à
la différence que celles-ci disent des choses admirables et
non des calembredaines.
— Croyez-vous, dit Harold, que lorsque les Erinnyes
entrèrent en scène, vêtues de leurs robes noires avec leurs
ceintures rouges, criant : « Hou ! hou ! » et secouant leurs
torches, il y eut vraiment des femmes qui accouchèrent et
des petits enfants qui tombèrent en convulsions ?
— Je l'ignore ; mais si, comme je le crois, l'anecdote
est inventée, elle contient une spirituelle critique de ce
genre d'effets tragiques. Qu'en pensez-vous ?
— Ils peuvent, quand même, servir à produire de grandes
beautés poétiques.
— Pensez-vous que Sophocle soit inférieur à Eschyle ?
— Je pense tout le contraire, bien que le xix^ siècle
ait découvert que Sophocle, tout parfait qu'il soit, le cède
à Eschyle avec tous ses défauts.
— Le xix^ siècle a fait plusieurs découvertes de ce
genre ! Si vous sentez la perfection de Sophocle, vous sentez
de même que le fantastique est im élément nuisible à la
perfection de l'œuvre tragique.
— Oui.
— Le tragique parfait nous touche par la peinture vraie
de nos sentiments dans les grandes catastrophes de la vie et
- 165 -
ne cherche pas à effrayer les femmes et les enfants par des
épouvantails ridicules.
— Je conviens de tout cela ; cependant Macbeth ne
me laisse pas indifférent ; sauriez-vous m'en donner la
raison ?
— Vous êtes ému comme moi sans doute par la poésie
et le mouvement des scènes.
— Mais les actions des personnages elles-mêmes ?
— Ne nous intéressent pas le moins du monde, car le
poète ne nous fait pas entrer dans leurs sentiments.
— Que dites-vous ?
— Pensez-y.
— Quoi, Macbeth ? Quoi, la fameuse lady Macbeth ?
— Vaines ombres.
— Pauvre Shakespeare, dit Harold.
— Voilà, dis-je, la critique anglaise qui se moque de
nous.
— Pauvre jeune homme, dit Ménalque, nous le faisons
souffrir.
— Au contraire, dit Harold.
— Voyez-vous ça ! dit Ménalque.
— Il endure son supphce, dis-je, avec beaucoup de
fermeté.
— Notre intention, reprit Ménalque, n'est pas de rabais-
ser le génie de Shakespeare.
— Il le sait bien.
— Nous admirons tous Macbeth ; mais si l'on nous
demandait : pourquoi Macbeth et son mari assassinent-ils
leur prince, leur hôte, leur ami, que répondrions-nous ?
— Mais pour prendre sa place !
— i66 —
— Donc, par ambition, et qu'arrive-t-il ?
— Nous voyons les conséquences funestes de cette
passion.
— Macbeth est donc la tragédie de l'ambition ?
— Sans doute.
— Dites-moi donc en quel endroit se trouve la peinture,
l'explication psychologique de cette ambition déréglée de
Macbeth.
— Mais partout !
— Citez-moi une seule parole de Macbeth qui vous fasse
comprendre ce que c'est que cette passion et par quels
sophismes elle entraîne l'homme au crime.
— Harold, venez à mon secours.
— Sans doute, dit-il, un tragique français eût procédé
autrement.
— Mais, Macbeth n'agit que sous l'inspiration de sa
femme.
— Que dit-elle ?
— <( Tu es trop plein du lait de la tendresse humaine )>
et « Mon épouse ! « et « Ne me donne que des fîls ».
— Si vous comparez cette dame avec la fille de Clytem-
nestre, j'ai bien peur que tout cela ne vous paraisse pas
suffisamment sérieux. Et qu'est-ce que ses paroles vous font
comprendre de l'ambition et du crime ?
— Je commence à m'apercevoir que j'ai eu tort de me
croire ému par tout ce sang versé.
— Vous n'avez jamais été ému de tous ces meurtres,
parce que vous ne vous êtes pas senti capable d'en com-
mettre de pareils.
— Que sais-je ?
— 167 —
— Vous dites cela parce que vous rentrez en vous-même
après le spectacle ou le livre fermé et que vous discernez en
vous des instincts pervers ; vous faites alors l'analyse des
sentiments que le poète a négligé de faire.
— Nos tragiques, c'est certain, nous ont donné des
habitudes...
— Osons dire une idée supérieure de la tragédie, que
nous ne nous serions pas formée si nous n'avions jamais lu
que les histoires de Shakespeare.
— Mais qu'en pense la critique anglaise ?
— Oh ! répondit Harold, il me suffit que Shakespeare
soit un bon poète et un assez bon versificateur.
— Ah ! voilà votre ami, dit Ménalque, en apercevant
Auzias à la porte du café. »
Auzias, après lui avoir serré la main par-dessus la table,
s'assit et tira de ses poches une pipe de terre rouge et un
paquet de caporal.
« Vous avez là, dit Ménalque, une bien belle pipe ! »
Auzias la lui tendit afin qu'il pût l'admirer tout à son
aise, mais je ne sais trop comment la chose arriva : lorsque
le psychologue la voulut rendre, par sa faute ou par celle
d'Auzias, elle tomba sur le marbre et se rompit en deux
morceaux.
'( Quel malheur ! m'écriai-je.
— Ce n'est rien, dit Auzias, elle peut encore servir. »
Cette petite émotion passée, je tâchai de remettre
Shakespeare sur le tapis, afin de procurer à Auzias le plaisir
de philosopher que nous venions d'avoir.
« Savez- vous, dit IMénalque, qui je comprends, mieux
que Macbeth et sa femme, les deux meurtriers soudoyés
— i68 —
par Macbeth pour assassiner Banque. Du moins, ceux-là
m'expliquent leur état d'âme.
— Que disent-ils ? Je ne m'en souviens pas.
— L'un :
I am one, my liège,
Whom the vile blows and buffets of the world
Hâve to incensed, that I am reckless vvhat
I do spite the world.
L'autre :
And I another
So weary with disasters, tugg'd with fortune,
That I would set my hfe on any chance,
To mend it, or be rid on't.
Harold se prit à songer.
« Quoi qu'il en soit, continua Ménalque, Shakespeare
n'en demeure pas moins l'un des plus grands poètes
modernes, et nous nous couvririons de ridicule, si nous
insistions sur ses défauts et ses lacunes ; il vaut mieux
après tout ne voir de parti-pris que ce qu'il a de bon et
quand même vos restrictions seraient les plus justes et les
mieux motivées, ceux qui l'admirent, voire de façon extra-
vagante, comme Le Tourneur, Schlegel, etc., auront tou-
jours le beau rôle. Au reste, il s'agit bien de nous défendre
contre l'influence d'un Shakespeare et la mauvaise critique
étrangère, aujourd'hui que nos grands maîtres sont des
Machinets !
— Comment, dit Auzias, vous n'admirez pas Machinet ?
Je le trouve bien supérieur à Shakespeare, vous savez.
— 169 —
— Je connais des personnes, dit Ménalque, qui l' élèvent
même au-dessus des Muses.
— Je suis de ce nombre, dit l'autre.
— Vous nous faites une charge.
— Je parle sérieusement !
— C'est votre affaire !
— Vous m'étonnez, car enfin vous êtes un homme de
goût, un pur classique ; vous ne pouvez pas ne pas admirer
le grand, le subhme Machinet, que l'Angleterre vous envie,
comme Harold peut en témoigner. >^
Harold sourit sans mot dire.
« Je sais bien, reprit Auzias avec chaleur, qu'il n'est
pas à la portée de tout le monde. « Il demande pour être
compris un effort dont les intelligences laborieuses et har-
dies lui savent gré : il a le plein midi, il a le plein minuit,
mais de quatre heures à neuf heures il y a un trou, c'est
l'abîme. Son style est un modèle de style tendu et porte
l'empreinte de l'effort musculaire dans l'effort viril. La
sensation, chez lui, est fiévreuse, paroxystique. Bref, il est
abrupt, coruscant, et fume comme une torche tombée dans
l'eau. » Voilà Machinet et de quel style on doit en parler.
— Tout à fait ! dit Ménalque. » (i)
Emile Godefroy.
(i) Extraits du Voyage d'Auzias, dialogues du temps (1910-1917), à
paraître.
— 170 —
LA SAINTE PROMENADE DE BRUNO
ou
LA SYMPATHIE UNIVERSELLE
Tout le ciel à l'instant vient de descendre en moi.
Mon dieu me remplit tout de sa grande lumière
Et j 'anticipe en lui la récompense entière
Promise par l'Esprit à ceux de bonne foi !
Je n'imaginais pas, vraiment, cœur si peu droit,
Que l'àme pût à l'Etre ouvrir telle carrière
Et je m'étonne encor que si peu de poussière
Réponde de si bas au Très-Haut que je voi.
Je goûte en ce moment de si pures déUces
Que tout le fiel s'en va de toutes mes malices
Et que tout le vieil homme en est renouvelé !
Je siège, parfumé de la robe des roses,
Et je m'unis, aux yeux du grand site assemblé,
A la divine main qui caresse les choses !
Maurice du Plessys.
— 171 —
COMMENT JE FIS LA CONNAISSANCE
DE RENOIR
C'était au printemps de ] 'année 1895. Je désirais savoir
le nom du modèle qui avait posé pour un tableau de Manet
que je venais d'acquérir. Le tableau représentait im
homme d'âge moyen avec un chapeau gris, une jaquette
mauve, im gilet jaune, un pantalon blanc, et des escarpins
vernis noirs; j'allais oublier une rose à la boutonnière.
Ajoutons que ce singulier modèle était campé au milieu
d'une allée du Bois de Boulogne. On m'avait dit : « Renoir
doit savoir qui c'est. » J'allai donc chez Renoir, qui, en ce
temps-là, habitait à Montmartre une vieille maison appelée
le Château des Brouillards. Dans le jardin, devant la
maison, une bonne, avec tout l'air d'une bohémienne,
berçait un enfant. Elle me fit entrer dans le couloir de la
maison, et me dit d'attendre. Survint, quelques instants
après, une dame encore jeune, pleine de rondeur et de
bonhomie, me rappelant certains pastels de Perroneau
quand il représentait les bourgeoises du temps de Louis XV.
C'était Mme Renoir.
— 172 —
— Comment ! on vous a laissé là, par cette humidité,
on ne vous a pas fait entrer ? Gabrielle !
Alors la bonne, très surprise des reproches que lui faisait
sa maîtresse :
— Mais c'est plein de boue, dehors ! (Elle regardait mes
souliers.) Et puisque la Boulangère a oublié de remettre
le paillasson devant la porte !
Mme Renoir me fit entrer dans la salle à manger, et
alla prévenir son mari. En attendant la venue de Renoir,
je pus examiner et admirer à mon aise les toiles accro-
chées au mur, les plus beaux nus de femmes que j'eusse
jamais vus.
Mais, d'ailleurs, Renoir ne tarda pas à venir. J'avais
devant moi un homme maigre, aux yeux extraordinai-
rement pénétrants, très nerveux, donnant l'impression de
ne pas pouvoir rester en place.
— Je suis très pressé, me dit-il ; en quoi puis-je vous
être utile ?
Je lui dis ce qui m'amenait.
— Votre homme, c'est sûrement M. Brun, un ami de
Manet 1
Puis, sans transition :
— Mais nous serons mieux pour causer là-haut ! Voulez-
vous monter à mon atelier ?
C'était un atelier des plus ordinaires : quelques meubles
disparates, un fouillis d'étoffes, quelques chapeaux de
paille que Renoir avait coutume de chiffonner entre ses
doigts avant d'en coiffer ses modèles ; de tous côtés, des
toiles tournées les unes contre les autres. J'observai en
outre, près de la chaise du modèle, une pile de numéros
— 173 —
d'une revue, ayant encore leurs bandes. Je m'approchai :
c'était la Revue Blanche, une revue de « jeunes », qui avait
alors son heure de célébrité.
— Voilà une publication bien intéressante ! dis-je à
Renoir, car je me souvenais d'y avoir lu maints éloquents
éloges de l'art impressionniste.
— Ma foi, oui, répondit Renoir, et je suis très reconnais-
sant aux jeunes gens qui veulent bien m'en faire le service.
Je vous avoue que je ne l'ai jamais ouverte ; mais elle me
sert admirablement pour y appuyer le pied de mon modèle.
Renoir s'était assis devant son chevalet, et avait com-
mencé par ouvrir sa boîte à couleurs. J'avais déjà, à cette
date, eu l'occasion de visiter plusieurs ateliers de peintres,
et tout de suite je fus frappé de l'extraordinaire propreté
de l'intérieur de cette boîte à couleurs de Renoir. La palette,
les pinceaux, et jusqu'aux tubes aplatis et roulés au fur et
à mesure qu'ils se vidaient, tout cela avait une apparence
de netteté quasiment féminine, ou plutôt telle que devaient
l'offrir, je suppose, les ustensiles professionnels des peintres
mondains du xviii^ siècle. Pas une éclaboussure, pas une
tache sur le bois des pinceaux, non plus que sur les manches
du veston du peintre.
(Et combien cette impression devait se trouver encore
fortifiée en moi, lorsque, l'année suivante, et précisément
par l'entremise de Renoir, j'allais être admis dans l'intimité
de Cézanne, qui, lui, ne pouvait s'empêcher de répandre au
moins autant de couleurs sur ses pinceaux et ses vêtements
qu'il en mettait sur ses toiles!)
Je dis à Renoir le ravissement que m'avaient causé
les nus qui décoraient sa salle à manger.
— 174 —
— Ce sont des études d'après mes bonnes! me répondit-il.
J'en ai eu quelques-unes d'admirablement faites, et qui
posaient comme des anges. Mais il faut ajouter que, sur ce
chapitre, je ne suis pas difficile. Je m'arrange très bien du
premier cul crotté venu..., pourvu que je tombe sur une
peau qui ne repousse pas trop la lumière. Je ne sais pas
comment font les autres, pour arriver à peindre de^ chairs
faisandées ! Ils appellent ça l'élégance mondaine ! Mais les
vraies femmes du monde elles-mêmes, combien il est rare
de leur trouver des mains qui donnent envie de peindre !
C'est si joli à peindre, des mains de femme, mais des mains
qui se livrent aux travaux du ménage ! A Rome, à la Far-
nésine, il y a, de Raphaël, une Vénus qui vient demander
quelque chose à Jupiter ; elle a de gros bras, c'est délicieux ;
on sent une bonne grosse commère qui va retourner à sa
cuisine, ce qui faisait dire au fameux Stendhal que les
femmes de Raphaël sont communes et lourdes ! Celui-là,
évidemment, rêvait aussi de carcasses distinguées !
Le reste de mon entretien de ce jour-là avec Renoir dut
être assez banal, car le fait est que je n'en ai gardé aucun
souvenir. Je me rappelle seulement que, bientôt, ma visite
se trouva terminée par l'arrivée d'un modèle. Mais avant
de prendre congé, je demandai au peintre si je pouvais
revenir le voir.
— Tant que vous voudrez ! me répondit-il. Mais venez de
préférence à la tombée de la nuit, quand j'ai fini ma besogne
de la journée !
C'est que l'existence de Renoir était réglée comme
celle d'un employé. Il allait à l'atelier avec la même ponc-
tualité que le commis à son bureau. J'ajouterai qu'il se
— 175 -
couchait de bonne heure, après une partie de dames ou de
dominos avec Mme Renoir. Il aurait trop craint, en veil-
lant, de compromettre sa séance du lendemain. Toute sa
vie, peindre a été son seul plaisir, son seul délassement.
Je me souviendrai toujours, à ce propos, de la rencontre
que je fis, vers 1911, de Mme Renoir sortant précipitam-
ment d'une maison de santé où Renoir devait subir, ce
même joiir, une certaine opération assez déUcate.
— Comment va-t-il ?
— L'opération aété remise à demain, médit Mme Renoir,
mais je suis très pressée, car mon mari m'envoie chercher
sa boîte à couleurs. Il veut peindre des fleurs qu'on lui
a offertes ce matin.
Renoir travailla à ces fleurs toute la journée, il y travail-
lait encore le lendemain, quand on vint le chercher pour
le transporter sur la table d'opérations.
Une autre fois, en 1916 (Renoir avait alors 75 ans
sonnés), au cours d'un séjour que je fis chez lui à Gagnes,
je fus frappé tout à coup de son air pensif et de l'inquiétude
de son regard. Quelques heures auparavant, je l'avais
laissé presque gai, et je le retrouvais si sombre !...
Le lendemain, il avait au déjeuner la même figure. La
faute n'en était-elle pas encore à cette épouvantable guerre,
dont il me souvenait del'avoirvu souvent très préoccupé?...
Mais dans l'après-midi, la bonne vint me chercher au
jardin :
— Monsieur vous prie de monter tout de suite à
l'atelier !
Je trouve Renoir devant son chevalet un Renoir
— 176 —
p. Picasso — Portrait de M. .A. Vollard.
rayonnant. Il avait le pinceau à la main et s'escrimait sur
des dahlias.
— J'étais depuis deux jours, me dit-il, à me demander
si la peinture n'était pas, décidément, un art trop difficile
pour moi : mais regardez un peu ce que je viens de faire !
Dites, n'est-ce pas que c'est presque aussi brillant qu'une
bataille de Delacroix?... Ah! je crois bien que, cette fois, je
tiens enfin le secret de la peinture !... (i)
Ambroise Vollard.
(I) Extrait de La Vie et l'Œuvre de P. -A. Renoir, pair Ambroise Vollard
(en préparation).
— 177 —
1
NARCISSE
Je hais ceux qui, mêlés aux rondes des sorcières,
Piétinent sans pudeur les nocturnes bruyères.
Et par des mots affreux, un exécrable encens,
Evoquent les esprits, les forcent gémissants
A soudain condenser leurs voltigeants atomes ;
Je n'irai pas furtif pour épier les gnomes
Quand la lune en son plein monte de l'horizon
Et que brille un minuit qu'ils croient sans trahison.
Car, Sagesse, tu fuis loin des âmes obscures ;
Il faut pour t'approcher un cœur droit, des mains pures
Je laisse son trépied à la veuve d'Endor !
Je ne cueillerai pas même le rameau d'or
Qui sut faire accourir le vain peuple des Mânes,
Et ces chœurs bienheureux qui loin des yeux profanes.
D'une flûte menés, vont en frappant des mains.
Les dieux ont dispensé la lumière aux humains
Comme elle convenait à leur infirme vue.
Que l'âme d'un impie et d'audace pourvue
Dans les chemins maudits s'engage vers la mort ;
— 178 —
Ou qu'un héros pieux par un suprême effort
Achève un grand dessein que le Ciel favorise,
Je ne tenterai pas une telle entreprise !
l'2st-ce qu'en ma poitrine un sang déjà glacé
X 'enfante qu'un courage avant d'agir lassé ?
je me résigne encor. Ma faiblesse est humaine.
Si je ne puis des dieux usurper le domaine,
Je veux les honorer d'un cœur fidèle et sûr.
Assis, environnés d'incorruptible azur,
Ils voient en un seul point leur naissance et leur vie ;
Leur breuvage est nectar, leurs banquets ambroisie
Et la force qui rit sur leurs front» florissants
Ne croît pas pour décroître avec le cours des ans.
Leur seule volonté maintient l'ordre du monde,
A leur geste s'émeut le ciel, la terre et l'onde.
Immortels, sans souci du chaos ténébreux,
Leur ancêtre, et sans crainte, ils régnent bienheureux.
Pour qui n'est pas le fruit de divines caresses
Il est vain d'espérer la couche des déesses.
Et croire qu'il pourra dans d'augustes palais,
Convive des grands dieux, surprendre leurs secrets.
Nous donc que le temps presse et dont la destinée
Tout entière est enclose en la même journée.
Que nous plaisent toujours les rustiques travaux.
L'eau souple qui se plisse autour des fins roseaux,
Le tilleul qui résonne aux ailes des abeilles,
Notre petit jardin tout rouge de groseilles.
O transparents plaisirs ! vrais biens ! ô royauté !
Qu'environne l'ardeur splendide de l'été,
\^ous avez couronné le vieillard d'Œbalie ;
— 179 —
Que la même couromie à ma tempe se plie.
Heureux s'il m'est permis, Muses, de vous prier
Que s'y mêle l'honneur de votre beau laurier !
Vous vous réjouissez, Lybethrides, Camènes,
Des antiques forêts et du chant des fontaines,
Et souvent il vous plaît de descendre des cieux
En traversant la nuit d'un vol silencieux.
Vous entourez parfois un pâtre solitaire
Qui s'éveille comblé quand vous quittez la terre.
Sans porter dans mon cœur un si rare trésor.
Muses, vers les forêts dirigez mon essor.
Qu'à ma voix s'épaississe un ténébreux ombrage !
Qu'une eau dorme et qu'auprès, abusé d'un mirage,
Narcisse aime Narcisse ! Aussitôt que les bords
Se couvrent de ces fleurs, images de son corps,
Et que son dernier souffle animant la nature,
Faible soupir des eaux, feuillage qui murmure
S'efforce à nous parler, vaine et confuse voix
Qui toujours nous invite et toujours nous déçoit.
Par ce midi désert, au gai loisir propice,
Je veux chanter Echo, Liriope et Narcisse.
* * *
L'aube fait déborder sur l'ombre sa clarté.
L'étoile a disparu dans le flot argenté,
Le haut sommet des monts se nimbe de lumière
Et la flamme du jour semble créer la terre.
— 180 —
I
La mer blanchit au loin... et plus près, les épis
Brillants d'opale et d'or, scintillent assoupis.
Le fleuve aux lents détours dans son onde immobile
Reflète la douceur d'un ciel pâle et tranquille :
Et, mirant ses frontons, ses marbres, ses piliers
A travers les roseaux et les noirs peupliers,
Dans la moire sans plis de cette eau rose et grise,
Eclate la blancheur du palais de Céphise.
Comme un sombre nuage où l'éclair dormirait,
Bleuâtre, à l'horizon se traîne la forêt.
Prompt, Narcisse a déjà saisi sa javeline,
Son arc, et, respirant une audace divine,
Jeté sur son épaule un sonore carquois.
Le beau palais s'emplit de turbulents abois,
Les chevaux hennissant se cabrent vers l'espace ;
Le signal retentit du départ pour la chasse ;
Les portes s'ouvrent. Mais quel peuple vient, pliant
Sous quelle peine et lève un rameau suppliant.
Qui devant le chasseur, lamentable, se presse ?
Nymphes du Cithéron à l'éclatante tresse,
Naïades aux cheveux mollement déployés.
Jeunes Béotiens, pourquoi vos yeux noyés
D'une sombre langueur, et tournés vers la terre ?
Tout bas vous murmurez, tristes, cette prière :
« Narcisse, prends pitié d'un misérable amour ;
Prends pitié d'un désir qui devance le jour.
Non, tu n'es pas issu des glaces du Caucase
Pour rester insensible au tourment qui m'embrase ;
Est-ce qu'une tigresse à ses flancs t'a nourri ?
Ta mère à ton berceau, Narcisse, t'a souri.
— i8i —
Sans abreuver ta grâce avec un lait farouche.
Mon amour, ma douleur, n'est-il rien qui te touche ?
Et l'ai-je mérité l'affront de ton dédain ?
Par toi, blessé, je meurs et je t'implore en vain.
Que ne suis- je l'oiseau transpercé par ta flèche ?
Tu le prends dans ton sein. Innocent, ton chien lèche
Ta main ; et moi toujours te serai-je odieux
Pour ne t'avoir parlé que comme on parle aux dieux ? »
De leurs cœurs agités par l'espoir et la crainte
S'envole dans les airs une inutile plainte.
Avides, l'un sur l'autre, ils se pressent pour voir
Narcisse qui les joue et rit de son pouvoir.
Liriope à son tour qu'anime ce reproche,
Liriope, aux beaux yeux pleins de larmes, s'approche :
« Mon enfant, de mes jours seule félicité,
Redoute la fureur de l'amour irrité :
Un excès de mépris engendre la colère,
La menace bientôt succède à la prière.
Ah ! crains de succomber sous ta propre rigueur :
Prends pitié de leurs maux ; apaise cette humeur
Sauvage ; qu'un regard vienne adoucir leurs peines
Et rafraîchir le feu qui tourmente leurs veines.
Jadis, je le fuyais à travers les roseaux,
Ton père ; mais soudain dans les replis des eaux
Il entrave mes pas ; je tombe sur la rive ;
Aussitôt il m'atteint et je suis sa captive.
Ma fuite ainsi nouait un éternel lien
Où depuis mon amour sut égaler le sien.
Narcisse, don charmant du ciel à ma tendresse,
— 182 -^
Chaque instant de ta vie ajoute à ma détresse.
Lorsque las de jouer tu cédais au sommeil,
Je retenais mon souffle, épiant ton réveil ;
Je disais, caressant les boucles de ta tête,
(Car le cœur d'une mère aisément s'inquiète) :
« Heureuse Liriope, heureux ton enfant dort
Ignorant des travaux que réserve le sort
Aux héros fils des dieux. Parcourra-t-il la terre
Egorgeant les lions et vainqueur de Cerbère ?
Le verrai- je s'asseoir, fameux, entre les rois,
Sage, riche, honoré ? Qu'importent ses exploits,
O dieux, si ces cheveux, ce front que je caresse
Traversent, respectés, une longue vieillesse ! »
Je te disais : « Ah ! dors d'un sommeil innocent ;
Trop tôt tu grandiras, jeune homme florissant,
Le plus noble trésor du domaine prospère,
La merveille sans prix du palais de ton père.
Lorsqu'il fondra du ciel, ardent à te saisir.
Trop tôt tu languiras sous l'ongle du désir.
Je verrai de tes yeux s'effacer mon image.
Ton réveil se tourner vers un autre visage. »
Je m'étais résignée à ce déchirement ;
Mais te faut-il sans cesse accroître mon tourment !
Absente de ton cœur et loin de ta pensée
Par quel monstre sans nom dois- je être rem.placée
Pour qui, dis-moi, pour qui se soulève ton sein ?
Qui donne à ton regard cet éclat inhumain ?
Qui te fait mépriser et ton père et ta mère
Et moquer de tes soeurs la tremblante prière ?
Silencieux, tout pâle et les cheveux épars,
- 183-
Tes retours aussi las que sont fiers tes départs.
Ce dédain souriant plus cruel que la haine...
Quel orgueil insensé palpite dans ta veine !
Ah ! malheureux, sur nous l'oracle est suspendu
Qui par Tirésias autrefois fut rendu,
Quand déployant l'essor de son puissant génie,
Il lisait l'avenir aux peuples d'Aonie.
Pour qu'il me rassurât, j'implorai le vieillard
Aveugle et clairvoyant de porter son regard
Jusqu'à l'extrême point où parviendrait ta vie.
Alors Tirésias, décevant mon envie.
Enferma dans ces mots ton sort et mon malheur :
« Sans se connaître, il vit ; s'il se connaît, il meurt.
A chacun de tes pas, dans chacun de tes gestes
Je tremblais d'observer les présages funestes
Qui devaient m' annoncer le terrible moment
Où de l'oracle obscur luirait le dénoûment.
Mais aujourd'hui je vois, je vois la route ouverte
Qui doit, loin de mes bras, te conduire à ta perte.
Narcisse, épargne-nous d'éternelles douleurs ;
Ah ! fais mentir l'oracle ; enfant, cède à mes pleurs. »
L'image de la mort qu'elle évoque, enveloppe
Et glace jusqu'au cœur la triste Liriope.
Ses beaux traits sont ternis d'un nuage odieux ;
Une funèbre nuit se répand sur ses yeux ;
Inerte, dans les bras de Céphise, elle tombe.
Narcisse ne voit pas sa mère qui succombe.
D'une main négUgente il flatte son cheval.
Regarde soucieux dans le ciel matinal
— 184 —
Croître l'éclat du jour. Alors le vieux Céphise :
a Va, barbare, poursuis ta superbe entreprise ;
Ajoute à tes hauts faits, pour qu'il n'y manque rien
Ton trépas, et celui de ta mère, et le mien !
Raidis dans ta poitrine un cœur inexorable :
C'est ainsi qu'on moissonne une gloire durable,
C'est par de tels exploits que, justement vanté,
Un grand nom retentit dans la postérité.
Nymphes ni jeunes gens, son père ni sa mère
N'ont jamais pu fléchir une tête si fière,
Dira-t-on, mais Eros dont il bravait la loi
Environna ses jours de silence et d'effroi,
Et frappé par un dieu le malheureux expie
Par ses propres excès une conduite impie.
Crime toujours puni de s'égaler aux dieux ;
Sans haine et sans amour de s'enfermer comme eux
Dans l'ivresse et l'ennui de se plaire à soi-même !
De sa froide splendeur le dieu s'évade ; il aime.
Il goûte les langueurs et les tendres élans
Dont il trouble la nymphe ou la vierge aux beaux flancs ;
Il se penche envieux sur l'humaine tendresse
Que fait s'épanouir l'éclair d'une caresse
Où l'éphémère seul se donne tout entier.
Où l'immortalité voudrait se renier.
Mais le souhait d'un dieu, quoique imprudent, enferme
A jamais dans le sein de ses enfants le germe
Vivace de la mort. Comme un feu qui s'éteint
A demi consumé, le principe divin
Jadis brillant se perd dans les ombres humaines.
Inlassable Océan qui puissamment enchaînes
- 185 -
Et ceins de toute part d'un invincible bras
Ton épouse féconde, ô toi qui m'engendras,
Immortel, ton égal et l'égal de ma mère,
Vois, ma divinité languissante s'altère :
Je meurs, lorsque ces eaux verront tarir leur cours,
Je meurs, si las de vivre, excédé de mes jours.
Le désir du néant s'infiltre dans mon âme.
Les Parques à ma noce ont dit l'épithalame
Et chanté mon hymen, célébrant les travaux
Par où mon sang croîtrait les fatals écheveaux
Que, pesants ou légers, leur noir fuseau dévide,
Narcisse, ton destin court sous leur doigt rapide ;
Hâte-toi d'en jouir avant qu'il soit trop tard.
Seul un semblant de vie entoure le vieillard ;
En vain vers le passé son souvenir s'efforce
Lorsqu'il a dissipé sa jeunesse et sa force.
Ne te prépare pas un éternel regret
A vouloir pénétrer quelque divin secret ;
Sois homme et ne va pas écraser ton audace
Contre un but interdit à tous ceux de ta race. »
Ainsi parle Céphise à Narcisse distrait
Qui contemple l'azur profond de la forêt.
Là-bas volent tes yeux et ton cœur, ô Narcisse !
Par avance tu bois longuement le délice
Qui bientôt descendra, solitaire et divin.
Des lents feuillages balancés dans le matin.
Sur ta face tu sens déjà la fraîche haleine
Du vent non respiré par une lèvre humaine.
Et tu te réjouis du silence des bois
Qui jamais n'est troublé par une humaine voix ;
— i86 —
I
Tu te sens caressé par la branche et la feuille ;
Rieuse, la forêt virginale t'accueille
Et referme sur toi ses bras souples et forts.
Nymphes et jeunes gens, ah ! cessez vos transports !
Vainement à ses pieds sa mère se lamente.
Narcisse entend frémir l'appel de cette amante
Qui saura lui verser l'ivresse d'être seul,
Tisser autour de lui, verdoyant, un linceul
Impénétrable au bruit importun de vos plaintes,
L'enlacer d'un réseau de subtiles étreintes,
Inonder tous ses sens du philtre de l'oubli,
Le bercer dans l'extase, en elle enseveli.
« Plus de retard, dit-il ; mes compagnons, en chasse ! »
Et comme un vol sifflant d'oiseaux glisse et s'efface.
Le galop des chasseurs sur le bord de la mer
S'enfuit et disparaît. Par le désir amer
Les amants sont étreints, et taisent leur souffrance.
La jeune Ocyrrhoé, rompant ce lourd silence.
Lève les mains au ciel : « Qu'il aime ! Et qu'à son tour
Il chérisse un objet rebelle à son amour ! »
Elle dit. La déesse honorée à Rhamnuse
Qui jamais n'est trompée et jamais ne s'abuse.
Patiente, mais qui ne rétracte jamais
L'inflexible dessein de ses justes arrêts,
Entend cette parole, et d'un sourcil sévère
Exauce, Ocyrrhoé, ta plainte et ta colère.
LÉON GUILLOT.
Ce poème inachevé est le dernier ouvrage de Léon Guillot, né le 17 avril
1882 à Macomay (Franche-Comté), auteur des Victoires (Paris, 1911), « mort
joyeusement pour son pays » à Marbotte (Meuse), le 20 mai 1915. Exclu de
la liste des prix décernés par l'Académie aux écrivains mobilisés.
— 187 —
BOUT-DE-CANARD
CONTE POPULAIRE
Bout-de-Canard était tout petit, et c'est pour cela qu'on
l'appelait Bout-de-Canard. Mais, tout petit qu'il fût, il
avait de la tête et il s'entendait à son affaire, car après
avoir commencé avec rien, il avait fini par amasser cent
écus. Or le roi du pays, qui était très dépensier et qui
n'avait jamais d'argent, ayant appris que Bout-de-Canard
en avait, s'en vint un jour en personne le lui emprunter ;
et, dame, dans les premiers temps, Bout-de-Canard n'était
pas qu'un peu fier d'avoir prêté de l'argent au roi. Mais
lorsqu'au bout d'un an et de deux ans, il vit qu'on ne son-
geait même pas à lui payer ses intérêts, il commença à
s'inquiéter, tellement, qu'à la fin, il résolut d'aller lui-même
trouver Sa Majesté pour se faire rembourser. Et un beau
matin voilà Bout-de-Canard bien pimpant et gaillard qui
se met en route en chantant : « Quand, quand, quand
me rendrez- vous mon bel argent ? »
Il n'avait pas fait cent pas qu'il rencontra compère le
Renard, en tournée par là.
— i88 —
« Eh! bonjour, voisin, dit le compère, où donc allons-nous
si matin ?
— Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.
— Oh, prends-moi avec toi ! »
Bout-de-Canard se dit : « On n'a jamais trop d'amis... »
« Je veux bien, lui dit-il, mais avec tes quatre pattes,
tout à l'heure tu seras las. Fais-toi tout petit, entre dans
mon gosier, va dans mon gésier et je te porterai.
— Eh ! la bonne idée ! » dit compère le Renard.
Il prend ses cliques et ses claques et, leste, le voilà passé
comme une lettre à la poste.
Et Bout-de-Canard repart tout pimpant et gaillard,
et toujours chantant : « Quand, quand, quand me rendrez-
vous mon bel argent ? »
Il n'avait pas fait cent pas qu'il rencontre ma commère
l'Echelle accotée à son mur.
(I Eh ! bonjour donc, mon petit caneton, lui dit la com-
mère, où donc vas-tu si résolu ?
— Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.
— • Oh ! prends-moi avec toi ! »
Bout-de-Canard se dit : « On n'a jamais trop d'amis... »
— Je veux bien, lui dit-il, mais avec tes jambes de bois
tout à l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre
dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.
— Oh ! la bonne idée ! » dit ma commère l'Echelle.
Et, preste, elle prend ses cliques et ses claques et s'en
va tenir compagnie à compère le Renard.
Et, quand, quand, quand ! Bout-de-Canard repart en
chantant, gaillard comme devant.
Cent pas plus loin, il rencontre sa bonne amie ma com-
— 189 —
mère la Rivière, qui se promenait tranquillement au soleil.
« C'est toi, mon chérubin, lui dit-elle, où vas-tu donc si
seul, la queue en trompette, par ce vilain chemin ?
— Je vais chez le roi, tu sais, chercher ce qu'il me doit.
— Oh ! prends-moi avec toi ! »
Bout-de-Canard se dit : « On n'a jamais trop d'amis... «
— Je veux bien, lui dit-il, mais toi qui dors en marchant,
tout à l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre
dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.
— Ah ! la bonne idée ! « dit ma commère la Rivière.
Elle prend ses cliques et ses claques et glou, glou, glou,
elle s'en va se loger entre compère le Renard et ma commère
l'Echelle.
Et, quand, quand, quand ! Bout-de-Canard repart en
chantant.
Un peu plus loin, il rencontre le camarade Guêpier qui
faisait manœuvrer ses guêpes.
« Eh, bonjour donc, camarade Canard, dit le camarade
Guêpier, où donc va-t-on si pimpant, si gaillard ?
— Je vais chez le roi chercher ce qu'il me doit.
— Oh ! prends-moi avec toi ! »
Bout-de-Canard se dit : « On n'a jamais trop d'amis... »
— Je veux bien, lui dit-il, mais avec ton bataillon à
traîner, tout à l'heure tu seras las. Fais-toi tout petit, entre
dans mon gosier, va dans mon gésier et je te porterai.
— Parbleu, c'est une idée ! » dit le camarade Guêpier.
Et, « par file à gauche ! », il s'en va par le même chemin
retrouver les autres avec tout son monde. Il n'y avait plus
grand'place, mais en se serrant un peu... Et Bout-de-Canard
reprend sa course et sa chanson.
— 190 —
Il arriva ainsi à la capitale et enfila tout droit la grande
rue, toujours courant et chantant: « Quand, quand, quand
me rendrez-vous mon bel argent ? » , au grand étonnement
des bonnes gens, jusqu'au palais du roi.
Il frappe du marteau : Toc, toc !
« Qui est là ? demande le portier en passant la tête
par son guichet.
— C'est moi, Bout-de-Canard. Je veux parler au roi.
— Parler au roi..., c'est bientôt dit. Le roi dîne et il
n'aime pas qu'on le dérange.
— Dis-lui que c'est moi, et que je viens il sait bien pour-
quoi ».
Le portier referme son guichet et monte dire cela au roi,
qui venait justement de se mettre à table, la serviette au
cou, avec tous ses ministres.
« C'est bon, c'est bon, dit le roi en riant, je sais ce que
c'est ; qu'on le fasse entrer et qu'on le mette avec les din-
dons et les poulets. »
Le portier redescend :
« Donnez-vous la peine d'entrer.
— Bon! se dit Bout-de-Canard, je vais voir comment on
mange à la cour.
— • Par ici, par ici, fait le portier. Encore un pas... là...
vous y êtes.
— Comment ! comment ! A la basse-cour? »
Pensez si Bout-de-Canard était vexé !
« Ah! c'est comme ça ! dit-il. Attendez, je vous forcerai
bien à me recevoir. Quand, quand, quand me rendrez-
vous mon bel argent ? »
Mais les dindons et les poulets sont des bêtes qui n'aiment
— 191 —
pas qu'on soit autrement qu'elles ; lorsqu'ils virent le
nouveau venu, comme il était fait, et qu'ils l'entendirent
crier ainsi, ils commencèrent à le regarder de travers.
« Qu'est-ce que c'est ? Que veut celui-là ? » Finalement,
ils coururent sur lui tous ensemble pour l'abîmer à coups de
bec.
« Je suis perdu! » se disait déjà Bout-de-Canard, lorsque
par bonheur il se rappela son ami, compère le Renard, et
il s'écria :
<( Renard, Renard, dépêche et sors, ou je suis un Bout-
de-Canard mort ! »
Aussitôt compère le Renard, qui n'attendait que ce mot-là,
se dépêche de sortir, il se jette sur la méchante volaille et
couic, couac ! il l'étrangle à belles dents, si bien qu'au bout
de cinq minutes il n'en restait pas une en vie.
Et Bout-de-Canard, bien content, se remet alors à chan-
ter : « Quand, quand, quand me rendrez-vous mon bel
argent ? »
Quand le roi, qui était encore à table, entendit ce refrain
et que la gardeuse d'oies vint lui apprendre dans quel état
était sa basse-cour, il se fâcha terriblement. Il commanda
qu'on jetât ce maudit Bout-de-Canard dans le puits pour
en finir avec lui.
Et ce fut fait comme il avait dit.
Bout-de-Canard désespérait déjà de se retirer d'un trou
si profond, lorsqu'il se rappela son amie, ma commère
l'Echelle.
« L'Echelle, l'Echelle, s'écria-t-il, dépêche et sors, ou
je suis un Bout-de-Canard mort !»
Ma commère l'Echelle, qui n'attendait que ce mot-là,
— 192 —
Emile-Oihon I'riesz — La Trapéziste à Medraiw.
Df^-û.
se dépêche de sortir, elle appuie ses deux bras sur la mar-
gelle du puits, Bout-de-Canard grimpe alors lestement sur
son dos et hop ! le voilà dans la cour, où il se remet à
chanter de plus belle.
Quand le roi, qui était encore à table et qui riait du bon
tour qu'il avait joué à son créancier, l'entendit de nouveau
réclamer son argent, il entra dans une colère bleue.
Il commande qu'on chauft'e le four et qu'on y jette ce
Bout-de-Canard maudit, qui, bien sûr, devait être sorcier.
Le four fut bientôt chaud, mais Bout-de-Canard, cette
fois, n'avait pas si peur ; il comptait sur sa bonne amie, ma
commère la Rivière.
« Rivière, Rivière, s'écria- t-il, dépêche et sors, ou je
suis un Bout-de-Canard mort ! »
Ma commère la Rivière se dépêche de sortir et, rrrouf !
elle s'élance dans le four, qu'elle inonde avec tous les gens
qui l'avaient allumé ; puis elle se répand en grondant dans
la cour du palais à plus de quatre pieds de haut.
Et Bout-de-Canard bien content se met à nager en chan-
tant à tue-tête : « Quand, quand, quand me rendrez-vous
mon bel argent ? »
Le roi était toujours à table et se croyait bien sûr de son
affaire ; mais lorsqu'il entendit de nouveau chanter Bout-
de-Canard et qu'on lui eut appris tout ce qui s'était passé,
il devint furieux et se leva de table en brandissant les poings.
« Qu'on me l'amène, et que je lui coupe le cou ! s'écrie-
t-il, qu'on me l'amène vite ! »
Et vite, deux valets courent chercher Bout-de-Canard.
« Enfin ! se disait le pauvret en montant les grands
escaUers, on se décide donc à me recevoir ! »
— 19.3 —
Imaginez- vous son effroi, lorsqu'en entrant il voit le roi
rouge comme un coq et tous ses ministres qui l'attendaient
debout, le sabre à la main. Il crut que cette fois c'en était
fait de lui. Heureusement il se souvint qu'il lui restait encore
un ami, et il s'écria d'une voix mourante :
« Guêpier, Guêpier, mon brave, dépêche et sors, ou je
suis un Bout-de-Canard mort ! »
Mais c'est ici que tout va changer de face !
Bs ! bs ! A la baïonnette ! Le brave Guêpier débouche
avec toutes ses guêpes. Elles s'élancent sur l'enragé de roi
et ses ministres et les piquent si furieusement au visage
qu'ils en perdent la tête et que, ne sachant où se fourrer, ils
sautent tous pêle-mêle par la fenêtre et se cassent le cou sur
le pavé.
Voilà Bout-de-Canard bien étonné, tout seul dans la
grande salle et maître du terrain. Il n'en revenait pas.
Bientôt pourtant il se rappela ce qu'il était venu faire
au palais et, profitant de l'occasion, il se mit à la recherche
de son cher argent. Mais il eut beau fouiUer dans tous les
tiroirs, il ne trouva rien : tout avait été dépensé.
En furetant ainsi de chambre en chambre, il arriva à
celle où était le trône, et se sentant fatigué, il s'assit dessus
pour rêver à son aventure.
Cependant le peuple avait trouvé son souverain et ses
ministres les quatre fers en l'air sur le pavé, et il s'était
répandu dans le palais pour savoir comment cela était arrivé.
Lorsque en entrant dans la salle du trône, il vit qu'il
y avait déjà quelqu'un sur le siège royal, il éclata en cris
de surprise et de joie : « Le roi est mort, vive le roi ! C'est
le Ciel qui nous l'envoie. »
— 194 —
Bout-de-Canard, qui ne s'étonnait plus de rien, accueillit
les acclamations de la foule comme s'il n'eût jamais fait
que cela de sa vie.
Quelques-uns murmuraient bien que ce serait un beau roi
qu'un Bout-de-Canard ; ceux qui le connaissaient répon-
dirent qu'un Bout-de-Canard bon ménager valait encore
mieux pour roi qu'un panier percé comme celui qui gisait
sur le pavé.
Bref, on courut ôter la couronne de la tête du défunt et
DU en coiffa Bout-de-Canard, à qui elle allait comme de cire.
C'est ainsi qu'il devint roi.
« Et maintenant, dit-il après la cérémonie, mesdames
ît messieurs, allons souper ! je me sens l'estomac creux. »
Recueilli en Champagne.
195 -
POESIES
Fleurs.
Sous la poussière d'or qui tombe des tilleuls
L'air lucide flamboie ainsi qu'une verrière
Transparente où la souple et féline lumière
Rôde autour des rosiers, des lys et des glaïeuls.
Fleurs ! songes enflammés de la terre ! armoiries
Dont l'azur qui triomphe a marqué les gazons,
Vos luxes tour à tour insultent les prairies
Et sont une fourrure aux pieds de nos maisons.
Ames du Feu ! esprits dangereux des Essences !
Que ne puis-je, vaincu par vos fauves puissances,
Dans la tranquille ardeur d'un grand midi vermeil,
Au jardin reflétant la clarté qui l'arrose
Et tissant mon linceul de soie et de soleil
Mourir sous la caresse éclatante des roses !
— 196 —
Sur la fuite de l'Eté
Ce bel Eté va fuir qui depuis de longs mois
Les grâces à son char maintenait enchaînées,
Et qui, fidèlement, selon de justes lois,
De joie et de lumière emplissait nos journées.
Rien ne le retiendra, ni vous suprêmes fleurs.
Ni vous qui périssez abeilles innocentes,
Ni votre deuil jardins, fontaines ni vos pleurs.
Hélas ! ni vous forêts vainement gémissantes.
Stances.
Du temps qui m'est compté la dernière heure atteinte.
Lorsque m'apparaîtra la face de la Mort,
Quittant l'humain séjour sans tristesse ni plainte,
J'irai d'un pas serein vers le funèbre bord,
Si je puis élever, Muses ! sur les décombres
Un nom remph de gloire, et vous qui souriez
Amours ! si de par vous j'emporte chez les ombres
Quelques beaux souvenirs flottants dans mes lauriers
Vincent Muselli.
— 197
LES TROMPES DE LA BISE
La froide bise accourt en tordant les broussailles,
Clame ici : « Ferme l'huis, vieillard ratatiné ! »
Passe, et plus loin persifle : « A Son doigt satiné
Viens-tu glisser l'anneau, l'anneau des épousailles ? »
Au clocher elle éveille un bruit de funérailles
Et meugle : « A qui le tour ? vieillard ou nouveau-né ? >
Dieu ! quels cris ! mais changeant de trompe elle a corné :
« C'est un porc, un bon porc dont on fera ripaille ! »
Et la voici qui prend son plus rauque buccin
Et gronde à ma croisée : « En ce temps de Toussaint,
Sur l'office des morts, courbe-toi, pauvre aïeiole ! »
Mais, brusque, une fanfare éclate : « Au bois ! taïaut
Siffle et couple, chasseur, Brifaut et Carillot,
Et pars, le camier plein de bons harnois de gueule ! »
Annibal de Monchanut.
— 198 —
SECTEUR 133
A H. Saunier.
Le Volontaire était aux tranchées depuis cinq jours. Il
n'en avait aucune vision exacte, s'accoutumant, toutefois,
très bien à l'oubli de la notion de l'étendue, par l'effet des
pare-éclats qui, tous les dix mètres, brisent les lignes.
Le premier soir, son capitaine, un homme du monde,
passionné de peinture et de psychologie, et qui pouvait
cultiver une négligence artiste sans traîner après soi aucune
des vulgarités du bohémanisme, à cause d'un titre distingué
et d'une fortune considérable, l'avait mis à l'aise avec
beaucoup de bonté ; d'autre part, il l'avait embarrassé au
plus haut point en l'invitant à confesser ses impressions.
Gentilhomme d'essence napoléonienne, assez enclin aux
fantaisies démagogiques, empruntant ses traits les meilleurs
au répertoire des grands comiques italiens, le capitaine lui
apparaissait ainsi qu'une sorte de héros stendhalien, mais,
en ce cas, un peu fatigué des manies de son maître.
Le Volontaire s'espérait d'une santé militaire suffisante.
La question du capitaine ne pouvait être pour l'éprouver.
Son courage, sa fermeté n'étaient point en cause. La ques-
- 199 —
toin se rapportait évidemment aux lieux eux-mêmes. Assez
sottement, il répondit qu'il se représentait tout cela dans
un sens exagéré de la profondeur et qu'il avait été déçu.
Ce n'était pas cela du tout.
Il ne sut rien dire du seul paysage d'étendue qu'il eût
entrevu depuis le matin : un rectangle d'herbe séchée et
d'argile bouleversée par les obus, aperçu au périscope, en
s' agenouillant sur la banquette de tir, et surtout — sur-
tout ! — cinq cadavres de fantassins, alignés très correcte-
ment sur le ventre, ainsi que s'alignait son escouade à la
manœuvre, sur le polygone de Vincennes ou sur les glacis
du fort de Rosny, sous l'œil des filles amusées qui se tor-
daient de rire. Un ancien l'avait de suite renseigné :
— Ça n'est pas de chez nous. C'est de la biffe ; une
patrouille tombée sur un bec de gaz. On pense qu'ils sont là
depuis le mois d'octobre, les frères. Quand on a fait le
troisième bond en avant, le bataillon s'est arrêté juste
devant eux... Mais pour les enterrer, gars, c'est macache.
Essaye donc pour voir, la nuit ! Des fois, en patrouille, on
se cogne dedans Ça m'est arrivé. J'ai cru, car il faut te dire
que je m'étais perdu d'avoir trop zigzagué, j'ai cru que je
retrouvais les copains et j'ai parlé à l'oreille d'un... Tu com-
prends ?... Tout bas, comme de juste... C'est en le touchant
que j'ai reconnu seulement que c'était un macchabée.
Les cinq cadavres faisaient dans le gazon misérable de
grosses taches incertaines, mais la capote du cinquième
s'était retroussée, sans doute un jour de grand vent et, de
celui-là, on voyait le fond de la culotte garance, ces morts
étant des soldats des premiers combats.
Le martyr anonyme semblait ainsi nous montrer cyni-
— 200 —
Raoul Dufv — Avignon.
Peinture.
DUNOVER DE SeGONZAC
Dessiu.
Luc-Albert Moreau
Dessin.
quement son derrière. Ceux qui n'ont pas contemplé un
lambeau d'univers par la fente d'un créneau, dans la ligne
de tir d'une mitrailleuse bavaroise, ne peuvent soupeser
le sublime angélique d'un détail si grossier. Le grotesque est
divin s'il plaît à Dieu !
Comme on ne le connaissait pas encore assez pour
l'oublier et qu'on avait, dès lors, pitié de lui, bien qu'il
n'eût pas assez souffert, parce que le secteur était à peu
près calme et que ce Volontaire semblait de distinction,
on lui donna licence, le matin du cinquième jour, de tra-
verser la seconde ligne et d'aller faire toilette au pays.
Le Volontaire marcha sans rien voir. Il s'était accoutumé
très vite à ne pas lever la tête ; il découvrit toutes sortes de
bestioles nouvelles et qui, probablement, ne se plaisent
jamais à la surface du sol. On doit croire qu'il s'adaptait
aussi à la malpropreté héroïque ; en effet, ses ablutions ne
lui procurèrent aucune jouissance.
Sans abuser de la permission pour flâner dans le village,
des cuisines de sa compagnie au poste des agents de liaison
du bataillon, le Volontaire rem.onta en ligne, et s'égara.
Une route départementale coupait transversalement les
tranchées. Il la suivit, la parcourant d'une centaine de pas
environ.
Au long du fossé, quelques planches moisies, des rondins,
une porte de boutique peinte en vert clair, aux carreaux
cassés, un bénitier fêlé contenant encore un morceau de
savon rose, attestaient qu'une cabane, selon toute vrai-
semblance un abri d'ofïïcier, s'était dressée là, peu de temps
auparavant.
A quinze mètres, un fauteuil encombrait la route même ;
— 201 —
un fauteuil de velours grenat et de bois doré sur lequel il
avait beaucoup plu.
En face, une croix noire très haute, peinte de lettres
blanches ; un képi bleu à passepoils jaunes, avec un chiffre
jaune en écusson, frissonnant au sommet.
Alors, encore qu'il ne ressentît aucune fatigue et bien
que la chose n'eût pour lui aucun caractère de facétie, sans
qu'il s'expUquât cette fantaisie, le Volontaire s'installa
commodément dans le fauteuil de cérémonie, les bras
ballants chevauchant les bras du fauteuil ; les jambes
allongées, les pieds dans la boue et, tout de suite, une balle
lui siffla aux oreilles. Une autre passa, deux secondes plus
tard, qui ne siffla point et tinta ainsi qu'ime guimbarde entre
des dents serrées.
Le Volontaire ne rencontrait pas en son voyage immobile
le li\'ide \asage de la peur. Il riait, content de se vautrer en
un fauteuil pompeux, devant ce calvaire qui ne l'obsédait
pas, cette croix, au-dessus d'une tom.be, cette croix cou-
ronnée d'un képi sur lequel un loriot fientait !
Il vit, en un parfait panorama, la seconde et la première
lignes, les branches tendues comme des arcs, à cause de
leur faiblesse et des fils téléphoniques qui les unissaient.
Il vit, au delà, la ligne crayeuse des ouvrages de l'ennemi ;
il vit, plus près, tout près, surpris de le découvrir si tard, un
arbre dominant le tableau, tout près mais tel qu'il paraissait
au centre de la morne plaine ; un arbre déchiqueté par les
rafales d'artillerie, si bien qu'on l'eût pu croire déchiré par
les griffes de chats monstrueux, enragés mais patients.
Une balle imita, à deux enjambées de son siège, le cla-
quement du fouet d'un cocher faraud.
— 202 —
Il respirait, avec une avidité sensuelle dont il ne s'étonna
que bien longtemps après et quand il eut depuis longtemps
quitté ces lieux, l'effroyable odeur de pourriture qui s'éle-
vait de la plaine ; l'infâme odeur des belles graines germées,
mûries et dédaignées, l'odeur des récoltes pourries au ventre
de la glèbe. De cette ordure distillée, le Volontaire se saoulait,
voluptueusement. Seul accident pensant sur ce plan désolé,
allongé au creux d'un trône municipal doré mais trempé de
pluie, il se sacrait nonchalamment roi de cette dérision.
Sa royauté ? La vigilante sentinelle qui le visait cons-
ciencieusement pour le manquer de si peu la confirmait
indubitablement.
Le Volontaire ne sut jamais quelle force lui commanda
de se lever, de se remettre en marche.
Il obéit, néanmoins, roi d'un instant éternel, tout à fait
désorienté, rejoignant au pas accéléré son petit poste par
la route, à découvert, au vu de toutes les sentinelles enne-
mies, sans le savoir, sans rien voir au delà d'une certaine
hauteur, inquiet seulement des courses et des jeux d'in-
sectes éclatants dont, en dépit de sa cruauté, il ne pouvait
écraser un seul.
Il arriva juste assez tôt pour ramasser son écuelle
émaillée, chue dans la paille du gourbi, et la tendre preste-
ment au caporal qui distribuait la soupe fumante par un
geste robuste, d'une eurythmie débonnaire, ou bien d'une
cordiale emphase, et dont le véritable symbole se trouve
inscrit quelque part, en quelque autre livre.
André Salmon.
— 203 —
MON CHER LUDOVIC
CONTE
C'est mon cher Ludovic qui a inventé l'art du tact, du
contact ou du toucher. L'idée lui est venue il y a une
quinzaine d'années et depuis il n'a cessé d'explorer un
domaine où il a pénétré le premier.
Dès les débuts du nouvel art j'eus l'honneur d'être invité
à ses soirées du jeudi. Il demeurait, à cette époque, rue
Princesse, une vieille maison qui sentait mauvais, mais où
les appartements étaient spacieux.
On se réunissait vers huit heures et demie, et dès neuf
heures personne ne manquait de la douzaine d'amis en qui
il avait confiance. L'art tactile nous attirait, certes. Moins
cependant que la nudité savoureuse de la femme légitime
de notre cher Ludovic ; car pour éveiller en nous le senti-
ment de la beauté, il faisait poser sa moitié toute nue, sur
la table où il nous versait du vin de Gaillac acheté chez le
bougnat le plus proche. La femme de mon cher Ludovic
était d'une grande beauté et d'une honnêteté parfaite. Nul
de nous n'aurait osé effleurer sa nudité, fût-ce dans le but
d'une expérience touchant le lyrisme du contact, mais on
— 204 —
se rinçait l'œil cependant que notre main droite ou gauche,
selon le cas, ou parfois toutes les deux éprouvaient les déli-
rantes sensations artistiques pour lesquelles nous étions
conviés.
Je ne vous donnerai point le détail des effleurements,
chatouillis, coups de toutes sortes et de toute force dont
mon cher Ludovic fit sur nous l'expérience, et que, les yeux
fixés sur le corps grassouillet et gracieux de sa femme,
nous avions la patience de subir.
t Toutefois, il entre dans mon plan de vous dire que cet
art dont les règles et la technique sont aujourd'hui dans
tout leur développement est fondé sur la façon différente
dont, selon leur nature, les objets affectent le sens du tou-
cher. Le sec, l'humide, le mouillé, tous les degrés du froid
et du chaud, le gluant, l'épais, le tendre, le mou, le dur,
l'élastique, l'huileux, le soyeux, le velouté, le rêche, le
grenu, etc., etc., mariés, rapprochés de façon inattendue,
forment la riche matière où mon cher Ludovic puise les
combinaisons subtiles et sublimes de l'art tactile. Musique
muette qui exacerbait nos nerfs, cependant que nos yeux
charmés ne quittaient point le corps exquis auquel, pour
rien au monde, nous n'aurions osé toucher et qui portait des
fruits plus appétissants, j 'en suis sûr, que tous les pommiers
de Tantale.
Mon cher Ludovic professait que tous les genres de
contacts ressentis simultanément procureraient la sensation
du vide, car, ajoutait-il, « on ne l'ignore plus depuis long-
temps: la nature a horreur du vide, et ce que l'on prend pour
le vide, c'est le sohde même ».
Mais nous n'entrions pas dans ces détails, lorsqu'une fois
— 205 —
par semaine nous laissions s'exercer sur nos doigts une
fantaisie qui parfois allait jusqu'à une inconsciente cruauté.
Une faillite le priva de la petite place qui le faisait vivre.
Confiant dans l'avenir de son art, il occupa ses loisirs forcés
à la construction d'un « cercle des contacts )\ travail qu'il
mena à bien en six mois.
Là-dessus, fatigué de tout, il écrivit au directeur de la
Compagnie du P.-L.-M. :
« Monsieur,
« Je suis l'inventeur de l'art des contacts. Je voudrais
bien faire un petit voyage, mais n'ayant pas d'argent, je
m'adresse à vous dans l'espoir que vous voudrez bien me
procurer un petit déplacement qui me sera salutaire. »
La réponse ne se fit pas attendre. Elle contenait un billet
d'aller et retour pour Genève et il se mit en route aussitôt,
laissant sa femme toute seule à Paris.
Il n'eut pas de chance comme voyageur, car la pluie
tomba durant tout le voyage, mais en revenant à Paris, il
imagina un roman géologique où le MontBlanc, qu'il n'avait
pas eu la chance de voir, tombait dans le lac Léman, si bien
qu'il n'y avait plus ni mont, ni lac, mais une plaine parfai-
tement unie qui pouvait servir de vaste champ d'expé-
rience pour l'art du tact que l'on pourrait y pratiquer
pédestrement, en talonnant, pour ainsi dire, les pieds nus,
les symphonies tactiles que mon cher Ludovic combinait
merveilleusement .
Pendant son absence, sa femme, qui s'ennuyait toute
seule, avait écrit à une grande danseuse américaine qui
était sur le point de s'exhiber dans un grand théâtre :
— 206 —
« Madame,
« Je suis la femme de l'inventeur de l'art des contacts
qui est allé faire un petit voyage d'agrément. En l'absence
de mon mari, je manque de distractions et je voudrais bien
aller vous applaudir. »
La réponse contenait deux fauteuils pour la première
représentation et mon cher Ludo\dc, étant revenu sur ces
entrefaites, s'en fut voir la danseuse en compagnie de sa
femme. Il eut ainsi l'occasion de constater que l'art tactile
s'allierait fort bien à la chorégraphie et à la musique.
Les soirées du jeudi continuèrent. Mais au fur et à
mesure des années, les invités vinrent en moins grand
nombre, parce que, sans doute, la femme de mon cher
Ludovic s 'alourdissant, son corps devenait moins agréable
à voir.
Toutefois, c'est encore aujourd'hui, malgré la guerre, une
fraîche matrone qui vit très bien de « l'allocation », car
mobilisé, son mari est chargé de fouiller à Bellegarde les
voyageurs suspects. C'est une fonction où il faut du tact.
Guillaume Apollinaire.
— 207
DIEU
CONTE
Saint Pierre un jour se promenait
Dans la verte campagne.
Et marmonnait et ruminait
Des châteaux en Espagne.
« Ah ! que j'aimerais être Dieu !
— Allait-il jusqu'à dire —
Pour gouverner, selon mon vœu,
Tout le terrestre empire.
— Soit, lui dit Dieu qui tout entend,
Je te fais cette grâce.
Je me reposerai d'autant.
Prends pour un jour ma place. »
— 208 —
Un trône alors tomba des cieux
Où s'assit sans vergogne
Notre compère ambitieux
Qui, d'abord, se renfrogne.
Tôt après ce bon Dieu nouveau,
Affamé de panache.
Vit une vieille dans un pré
Menant paître sa vache.
Puis la quitter sans s'attarder :
« Qui donc, lui dit saint Pierre,
Va cette vache ici garder.
Si tu t'en vas, sorcière ?
— La belle demande ! parbleu,
Point je ne m'en martèle.
Je la laisse aux soins du Bon Dieu.
Pour moi, répondit-elle,
Je dois rentrer à la maison
Où m'attend la marmaille.
— Elle a cent mille fois raison.
Dit le Seigneur qui raille.
Et puisque c'est toi le Bon Dieu,
Il n'y a pas, macache...
Il te faut rester en ce lieu
Et lui garder sa vache. »
H
Il faisait un atroce temps
D'orage, de tempête,
Un tas de mouches et de taons
Navraient la pau\Te bête.
Bientôt soufflant et mugissant.
N'y pouvant plus suffire,
Elle partit à travers champs
En proie à ce martyre.
Saint Pierre dut courir après
Pendant des kilomètres,
Franchir des buissons, des guérets
Sous l'œil du Divin Maître.
210
Il courut ainsi tout le jour
Sans la pouvoir rejoindre,
Et quand la nuit vint à son tour.
Il était réduit, moindre...
« Ainsi, lui dit le Seigneur, tu
Veux régir, ô ganache !
Le monde ! et tu n'es pas foutu
De garder une vache ! »
Raoul Ponchon.
— •211.
MEMOIRES DE CELLE QUI A TROUVE UN MARI
Samedi. — La sœur m'avait bien dit qu'il n'y a rien à
gagner avec ceux-là ! J'ai eu beau lui dire que ce n'était
pas vrai, que je lui avais menti quand je lui avais dit que
j'étais enceinte, Corentin se cache dans les entrées des mai-
sons quand il me voit. Ma mère ne s'aperçoit de rien, Dieu
merci ; j'avais peur que ma sœur de Paris qui est arrivée
hier ne s'aperçoive, m.ais elle ne s'est pas aperçu.
Lundi. — Hier à l'église, Marie-Jeanne Gloaguen, l'épi-
cière, a dit tout haut : « Quand on a des hanches comme
ça, on ne vient pas dans les églises ! » Mon père était comme
fou hier ; j'ai cru qu'on lui avait dit quelque chose à la
Papeterie, car son collègue de la Chauffe s'est aperçu,
Simon ! mais il était furieux parce qu'il avait bu ; et il s'est
emballé parce que ma mère et moi nous sommes allées au
Bal public sur la place.
Jeudi. — Ça y est ! Ce matin à quatre heures ! Mon Dieu !
que j'ai souffert ! j'avais pensé d'abord à accoucher sur le
-^ 2ZZ —
fumier de la cour, mais il y a la maison des Gloaguen, et on
veille là pour faire le pain et les Gloaguen ne m'aiment pas
parce que j'ai mauvais caractère. Quand j'étais à l'ccole, je
jetais des pierres dans leurs carreaux ! Alors je suis sortie
du bourg, j'ai été dans le Puits sec. J'avais pens3 le laisser
là ! Mon Dieu, il ne faut pas priver le pauvre petit de sa
part de Paradis ; alors je l'ai mis dans mon tablier, je l'ai
habillé dans mon tablier et j'ai creusé la tombe de mon
grand-père ; personne n'ira le chercher là. J'ai tout avoué
à Corentin ! Il n'a rien répondu. Ah ! la sceur m'avait bien
dit autrefois qu'il n'y a rien à gagner avec les hommes.
i^r novembre. — Mon Dieu ! Ayez pitié de moi ! Je ne
suis qu'une pauvre fille ! Je ne croyais pas faire tant de
mal. Me voilà en prison ! Une fille de chauffeur en prison !
Mon père est venu me voir, ma mère me dit : « Pourquoi
n'avoir pas dit ! »
Il paraît que c'est le sacristain et le cordonnier qui ont
vu des mouches autour d'une tombe. Tiens ! il y a quelque
chose par là, et ils ont trouvé le pauvre enfant ; on a reconnu
mon tablier ! c'est alors que les gendarmes sont venus à la
maison et que je me suis sauvée. Cinq jours ! que je suis
restée à rôder dans la campagne en mangeant des carottes des
champs. Mon père et ma mère ne cessent pas de pleurer ici.
Corentin n'est pas venu. Ma mère m'apporte des œufs et
du beurre. Quel chagrin par ma faute !
2 novembre. — Le geôlier m'a connue autrefois parce que
ma mère a été placée ici avant que mon père soit chauffeur
à la Papeterie ; mon père était alors mécanicien chez Leduc.
II trouve que j'ai bien grandi et embelli.
— 213 —
10 novembre. — Corentin Leborgne est venu: « Si vous
êtes condamnée, ce sera ma faute, j'irai le dire au tribunal. »
« Pourquoi ? lui ai-je répondu, c'est assez d'un à souffrir ;
restez à Saint-Oa ; mariez- vous ! « — « Si vous n'êtes pas
condamnée, c'est avec vous que je me marierai, Louise»,
me dit-il. L'avocat dit que je ne serai pas condamnée à
cause de mes bons certificats : il y a ime loi pour ne pas
faire sa prison quand on a de bons certificats. La sœur du
couvent de Saint-Oa est venue me voir; elle m'a donné un
crucifix, elle m'a dit que je ne serais pas condamnée et que
je devais aller dans un couvent. Voilà deux mois que je suis
ici dans leur sale prison, où il n'y a que des hommes en
sabots et des femmes sans coiffe.
Décembre. — Ça y est ! J'ai passé aux Assises comme une
malhemreuse que je suis. Mon avocat est bien bon ! C'est
un jeune homme; il est très joli garçon. J'aimais mieux
que ça finisse, quitte à aller aux travaux forcés ! Si j'étais
inculpée d'infanticide il aurait fallu aller aux travaux forcés.
J'aime mieux ça que d'aller tous les jours chez le juge
d'instruction : traverser la ville ! oh ! quelle honte, moi ! Mon
avocat — ce n'est pas celui-là qui m'aurait abandonnée
si j'avais fauté avec lui — mon avocat m'a dit qu'il plaide-
rait que l'enfant est mort naturellement. Il a plaidé qu'il
n'y avait pas de ma faute dans tout ça. Je crois que le
président a été bien bon aussi, car me voilà à la maison. Je
ne savais pas ce que je disais : mon père était dans la salle,
il me faisait signe de me lever quand le président me par-
lait et de m'asseoir après. Il a voulu quitter sa place de
chauffeur, mais on a voulu le garder. Il s'est battu avec
— 214 —
Gloaguen parce que Gloaguen m'a insultée à l'usine.
— Corentin est venu. La sœur dit qu'il faut que j'aille
dans un couvent, mais Corentin dit qu'il veut se marier
avec moi, car il m'aime toujours : « Ah ! Corentin, que lui
dit ma mère, si vous aviez parlé plus tôt vous auriez évité
un grand malheur. » — « J'avais honte, dit Corentin. Nous
irons nous marier à Paris tous les deux. » La sœur me dit :
« Tâchez de bien vous conduire ! vous voyez où mène la
faute. » — « Mon Dieu ! ma sœur, que je lui réponds, si je
n'avais pas tué le pauvre petit, Corentin ne se serait pas
marié avec moi et j'aurais eu du mal à l'élever. Le bon Dieu
n'est pas juste. » La sœur a répondu que j'étais une fille
perverse pour toujours. Perverse ! je ne dis pas, mais mariée,
c'est sûr maintenant.
Max Jacob.
Extrait du « Cinéma Thomas » (i volume inédit).
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— 217
QUELQUES APERÇUS SUR L'ÉTAT PRESENT
DE LA MUSIQUE EN FRANCE
Il est, bien entendu, impossible de présenter, en un cadre
aussi restreint, une étude un peu complète sur la musique
en France à notre époque. En outre, pour bien apprécier
l'ensemble de la production artistique d'une période de
l'histoire, il faut un certain recul ; d'autre part, les temps
que nous traversons sont trop troublés pour qu'il soit per-
mis de donner des conclusions précises, et de démêler, dans
le présent, ce que peut nous réserver l'avenir.
L'auteur de ces lignes se propose donc simplement d'ex-
poser quelques idées propres à faire connaître et aimer la
musique française, et de tâcher de déterminer ses tendances
générales. Il aura le regret de ne pouvoir citer que quelques
noms et quelques œuvres, devant s'en tenir seulement à ce
que le succès a consacré dans une mesure suffisamment
large.
* * *
La première des choses qui frappe dans la production
musicale contemporaine de notre pays, c'est la diversité
— 218 —
extrême des tendances. Diversité, croyons-nous, plus appa-
rente que réelle, car on peut toujours opérer un classement;
et d'ailleurs, quelle que soit sa tendance, une œuvre qui
remplit pleinement son but n'est-elle point à coup sûr la
meilleure ?
Mais quel est le but particulier de la musique ? Ceci
nous amènerait à chercher une définition de cet art. Sans
entrer dans le détail de celles, très nombreuses, qui ont pu
être proposées, il est vraisemblable qu'aucune d'elles ne
nous donnerait satisfaction. Tout art, en effet, est composé
d'une foule d'éléments complexes. Il n'est pas plus juste de
dire que la musique est un heureux arrangement de sons,
que de dire de la peinture qu'elle est une agréable combi-
naison de couleurs. Ni l'une, ni l'autre ne sont que cela.
Dans toutes deux il y a place pour la représentation des
sentiments, et les moyens employés dans ce but ne laissent
pas que d'être fort différents cependant. Il est plus simple,
sans rechercher une définition précise de ce qui ne saurait
être précisé, de procéder par comparaison, et de considérer
la musique comme une sorte de langage d'une essence par-
ticuhère, et dont le caractère émotif est d'une nature telle
que la cause de cette émotion demeure toujours pour nous
cachée et mystérieuse. La musique est une véritable ampli-
fication du langage parlé : ce dernier, en effet, ne possède-t-
11 pas l'intonation et le rythme, les deux éléments premiers
de toute musique ? Si l'on ne retient du langage que ces
éléments seuls, sans tenir compte de la signification des
mots dont il est formé, la musique se trouvera créée, à
l'état rudimentaire il est vrai, mais susceptible désormais
de se perfectionner à l'infini. La musique se trouve ainsi
— 219 —
parfaitement assimilable à l'art oratoire dont elle est une
manière d'abstraction. Elle emploiera des moyens analo-
gues : répétitions, assonances, r^lhmes plus ou moins
serrés, grandes divisions facilement saisissables à l'auditeur.
De ces observations découle nécessairement cette vérité :
la musique, langage aux locutions innombrables, aura
cependant des expressions particulières, des tournures
favorites — et cela, c'est le style — s'adaptant aux mœurs
et aux goûts des peuples chez qui elle est née et pour les-
quels elle est faite. Il existe donc, en musique, un style
français.
Ce style est fait en premier lieu des apports de la tradition
nationale. Cette expression, en lui donnant le sens large
qu'elle comporte, comprend l'ensemble de l'œuvre musicale
antérieure dans notre pays.
En second lieu, des éléments étrangers viennent s'ajouter
à cette tradition. Chaque auteur, aux différentes époques,
se les est assimilés, les a fait siens pour en former un style
nouveau qui vient enrichir cette tradition.
Comme dans tous les autres arts, il y a en musique diffé-
rents genres, plus ou moins déterminés. Pour simplifier,
nous les ramènerons à deux principaux : le genre dramatique
et le genre symphonique.
Dans le genre dramatique nous classerons tout ce qui a
trait à la représentation d'une action : opéra, opéra-comique,
oratorio, ballet. Toute autre espèce de musique, instrumen-
tale ou vocale, sera classée dans le genre symphonique. La
différence essentielle entre ces deux genres réside en ce que
la musique symphonique ne met point en rehef des person-
nages, comme la musique dramatique, mais, bien qu'elle
— 220 —
se propose souvent la peinture de sentiments ou d'actions
détermines, elle n'emploie dans ce but que des moyens
purement empruntés à l'art musical.
* * *
En jetant un rapide coup d'œil sur l'évolution de la
musique dramatique en France, nous constatons que nos
vieux mystères associaient déjà souvent la musique à une
action. Mais dans les mystères la musique ne jouait qu'un
rôle intermittent : ils semblent donc avoir donné naissance
plutôt à la forme appelée depuis opéra-comique. L'idée d'une
pièce de théâtre soutenue du commencement à la fin par la
musique revient aux Italiens, qui crurent en cela ressusciter
la tragédie grecque antique. Uopéra était créé. Importé
en France par Cambert, de qui l'on ne connaît malheureu-
sement que quelques beaux fragments de Pomone, ce genre
atteint immédiatement sa forme classique avec Lully, vrai
créateur du drame lyrique français, spectacle somptueux,
voire voluptueux, sur lequel Boileau exerce sa critique
sévère, et peut-être aussi un peu injuste. Voici venir
Rameau et enfin Gluck, pour ne citer que les plus célèbres.
Chacun de ces deux auteurs fait siennes les formes ita-
liennes — comme l'Italien Lully avait fait siennes les
formes françaises de Cambert — tout en continuant la
tradition de Lully.
Après la Révolution, l'opéra français ne brille guère.
Aucun chef-d'œuvre digne de ce nom n'apparaît sur notre
scène. Rossini et Donizetti, un peu plus tard, créent le
dilettantisme, cependant qu'Halévy, Meyerbeer, Berlioz
— 321 —
tâchent de suivre, en la perfectionnant, la manière fran-
çaise, mais sans égaler les grands génies de l'époque précé-
dente. Gounod et Ambroise Thomas suivent leurs traces,
mais, chez eux, le mélange des styles allemand et itahen
avec une forme pseudo-traditionnelle crée parfois une
disparate fâcheuse. Ils ne semblent point s'être assimilé
ces styles alors nouveaux et en apparence contradictoires.
Le public, lassé de ces essais infructueux, accueille alors
avec enthousiasme l'opéra wagnérien.
Le succès de Wagner, chez nous, si l'on y réfléchit, est
cependant assez fait pour étonner. Dans l'œuvre énorme
du grand musicien allemand il y a certes des beautés, mais
nous sommes bien forcés de reconnaître qu'elles sont enve-
loppées de beaucoup de fatras, de prétentions à la philoso-
phie et à la prêchaillerie qui ne sont guère dans notre
caractère. A quoi donc est dû un pareil engouement ?
D'abord au fait que l'Allemagne a produit au xix® siècle,
avant Wagner, de grands génies musicaux — les noms en
sont dans toutes les mémoires — et que par suite le public
s'est tout naturellement intéressé à la musique allemande.
Peut-être aussi notre malheureuse défaite de 1870 nous
a-t-elle conduits à admirer nos adversaires, même en beau-
coup de choses où ils n'étaient point si admirables. N'ou-
blions pas non plus que Wagner a trouvé à Paris de puis-
santes protections qui lui ont permis de faire représenter
son Tannhauser à l'Opéra, alors que le Français Berlioz
se voyait obHgé de lui céder la place et de donner ses
Troyens sur une autre scène. Enfin, l'on était las du vieil
opéra, et l'on a pris goût à ce genre où la musique d'un acte
forme une entité continue développée symphoniquement,
— 22Z .—
où les personnages sont noyés dans le flot orchestral, qui
les entraîne comme la Fatalité du théâtre antique, parce
que vraisemblablement l'on était plus avide de sensations
nouvelles que de sentiments exprimés avec clarté et sim-
pHcité.
Si cependant l'influence de Wagner a été grande sur le
public et sur nos auteurs eux-mêmes, elle n'a pas étouffé
entièrement notre manière de comprendre l'opéra. Parmi
nos grands musiciens, les uns se sont servis très accessoire-
ment des procédés wagnériens, et n'ont paru que fort peu
influencés par son style, les autres se sont assimilé la
manière de Wagner de façon à se créer un style personnel.
En premier heu, il faut citer Massenet et M. Saint-Saëns.
L'un et l'autre ont compris l'opéra suivant notre vieille
tradition française. Ils ont utilisé parfois, en passant, le
système sur lequel on a fait plus de tapage qu'il ne le
mérite d'ailleurs, du leit-motiv, mais il n'en ont guère lait
autre chose qu'un élégant accessoire, sans le destiner le
moins du monde à peindre un caractère. Tout au plus le
thème léger et déhcat de Manon sert-il à créer autour du
personnage une gracieuse atmosphère qui complète pour
nous sa physionomie. C'est trop souvent, par contre, le
défaut de Wagner que de confier la partie importante à
l'orchestre alors que le personnage en scène semble faire
sa partie dans cet orchestre ni plus ni moins qu'un instru-
ment quelconque. Il y a là un évident illogisme (i). Masse-
net possédait un sens admirable du théâtre. Il excelle dans
(i) Accordons cependant, pour être justes, que la traduction en français
fausse à la fois l'accent et le sentiment de la déclamsticn qui, dès lors, doi-
vent nous échapper en partie.
— 223 —
la peinture musicale de la passion. Trop souvent, cependant,
il nous la représente dans ce qu'elle a de moins élevé, parfois
même de plus grossièrement sensuel. De plus, l'extrême
facilité de ce compositeur, son désir constant de plaire
malgré tout, l'ont conduit à des platitudes qu'il eût pu
certainement éviter. Mais il a eu de délicieuses inventions
mélodiques et des trouvailles orchestrales dont profitent
encore les plus modernes de nos musiciens. Il possède par-
dessus tout la clarté, la simplicité dans l'expression, le
sens juste des situations dramatiques. Rendons à Manon
et à Werther la justice qui leur est due, et n'oublions pas
que ces deux opéras très français ont porté au loin le renom
artistique de notre pays.
M. Saint-Saëns a abordé le drame l3^que, comme il a
fait de toutes choses, en homme universel. Il y a réussi de
la manière que l'on sait, et s'est échappé avec adresse des
serres du maître de Bayreuth, en excellent connaisseur
de notre opéra classique. Cette tendance vers le classique
s'affirme jusque dans le choix de ses sujets. Mais malgré
les mérites incontestés de la partition de Samson, pour
prendre l'une des plus connues, M. Saint-Saëns ne possède
point au degré de Massenet l'art de peindre musicalement
un caractère. Ce n'est point vraiment un homme de théâtre.
Son style est varié et agréable, mais fait de trop d'éléments
divers. On sent que l'auteur pense trop constamment à
ses grands modèles.
Chez d'autres compositeurs, l'influence de Wagner s'fest
affirmée davantage, parfois m.ême jusqu'à l'excès. Nous
la sentons vraiment trop dominatrice dans des ouvrages
tels que le Roi Artusàe. Chausson ouïes opéras, plus récents,
— 224 —
de M.d'Indy : Fervaal et l'Etranger. Ce ne sont guère là que
de bizarres copies de leur idole par des enthousiastes de la
première heure. D'autres, doués d'un talent dramatique
original, comme M. Gustave Charpentier, sont obsédés par
le système du leit-motiv. Louise et Julien vivent d'une vraie
vie musicale, mais l'auteur abuse parfois de ses thèmes
jusqu'à porter sur les nerfs. '
Aussi m'arrêterai-je un peu plus longuement sur
M. Debussy. Bien que l'influence de Wagner soit encore
manifeste dans Pelleas et Mélisandc — M. Debussy sans
doute s'en défendrait — et qu'elle apparaisse principale-
ment dans la continuité de la trame orchestrale, le chant
et la déclamation sont traités d'une façon très neuve et
ressortent sur cette trame bien mieux que chez Wagner.
Le leit-motiv est presque délaissé. Ce n'est plus qu'un
rythme, un court fragment mélodique qui interviennent
sans excéder la mesure et pour se présenter à nous presque
toujours modifiés au gré de l'imagination du compositeur
et surtout de Y expression que comporte la situation dra-
matique. Par là M. Debussy se rapproche de nos vieux
auteurs qui excellaient dans le développement expressif,
tant différent du développement scol astique wagnérien. Du
reste M. Debussy ne développe jamais inutilement. Chez
lui le trait est bref, juste et sobre, bien en place. Son style
est bien à lui, extrêmement simple et clair quoique toujours
recherché et élégant, et bien que ce style emprunte sa nou-
' veauté de l'harmonie allemande, de la mélodie et des
rythmes orientaux et slaves, il puise son fonds et sa solidité
à nos bonnes sources françaises. M. Debussy possède un
excellent sens dramatique soit pour les situations, soit pour
— 225 —
les caractères. On peut regretter seulement qu'il n'ait
abordé qu'une fois le théâtre.
L'opéra a été de tout temps fort goûté en France. On
comprendra donc que nous nous y soyons arrêtés un peu
longuement. Ce n'est guère avant le xix^ siècle que nous
voyons apparaître chez nous l'oratorio. Auparavant on
lui préférait la cantate, aujourd'hui à peu près délaissée,
sauf par les candidats au prix de Rome. BerUoz, le premier,
écrivit de véritables oratorios qu'il appelait symphonies
dramatiques. Puis Félicien David dans le Désert, Ch. Gou-
nod qui revint à l'oratorio d'inspiration reUgieuse avec des
œuvres remarquables telles que La Rédemption, enfin
César Franck avec Ruth, Psyché, Rédemption et les Béati-
tudes, portèrent l'oratorio à un haut degré de perfection.
De nos jours M. Saint-Saëns, dans le Déluge, a su faire
sonner les masses chorales avec une puissance presque
égale à celle du vieil Hsendel.
L' opéra-comique, où la France brilla toujours, et qui
atteint l'apogée de sa grandeur à la fin du xviii^ siècle, a été
un peu écrasé ces derniers temps par la concurrence absolu-
ment déloyale de la stupide opérette viennoise. Mais
M. Ch. Lecoq est là pour prouver que l' opéra-comique n'est
point mort, et ses œuvres délicates et spirituelles vivront
plus que toutes les Veuves joyeuses du monde.
Le ballet, accessoire échappé du vieil opéra, recommence
à jouir d'une certaine faveur. MM. Dukas, Debussy, Ravel,
Schmitt, Roussel, de Severac, d'autres encore, ont écrit,
en ce genre assez facile, des œuvres piquantes et gracieuses
qui s'écartent franchement du vieux moule italien, déci-
dément tout à fait désuet aujourd'hui.
— 226 —
Telle que nous l'avons définie déjà, la musique sympho-
nique se présente sous un double aspect : musique vocale
et musique instrumentale d'une part, musique pure et
musique à programme d'autre part.
La musique vocale, née de l'art de nos vieux trouvères
et troubadours, engendra par son perfectionnement la
diaphonie ou déchant, du ix^ au xiii^ siècle, et atteignit à la
Renaissance à cette polyphonie si merveilleusement traitée
par notre école française. Au xvii^ siècle les voix, sous
l'influence de l'opéra, cessent d'être employées seules pour
être désormais presque toujours accompagnées par des
instruments. La chanson proprement dite continue encore
à cette époque à être très répandue en France. Toutefois
ce genre est quelque peu méprisé par les compositeurs, et
les auteurs de chansons adaptent généralement leurs
poèmes sur des airs connus. La chanson devient de nouveau
très en vogue après la Révolution. La plupart des musiciens
écrivent alors des romances. En Allemagne, parallèlement,
se développe le lied. De nos jours, chansons et romances,
dont on avait abusé, sont reléguées aux carrefours et
déconsidérées. L'un de nos plus remarquables mélodistes,
M. Gabriel Fauré, après avoir écrit de véritables chansons
à couplets, a peu à peu abandonné cette forme trop vulgaire
pour se rapprocher, sous l'influence du style dramatique,
d'une manière qui rappellerait plutôt celle de la cantate,
et où la musique s'applique à serrer de plus près le senti-
ment du texte, variant son expression suivant celle de ce
texte même. Nos auteurs modernes suivent cette dernière
— 227 —
voie et nombre de musiciens étrangers, après eux, s'y
engagent. Ce souci de la vérité de l'expression est tout à
l'honneur de notre école française. L'avenir nous dira ce
qu'il faut retenir de l'immense production de musique
vocale actuelle : dès à présent des chemins nouveaux sont
ouverts et c'est déjà beaucoup.
Si MM. Saint-Saëns.Widor, Gabriel Fauré.d'Indy, Dukas,
et bien d'autres, ont écrit de remarquables œuvres de
musique pure, la tendance de la jeune école est plutôt vers
la musique à programme. Le vieux maître Couperin faisait
déjà de la musique à programme. Presque toutes ses pièces
de clavecin portent des titres. Quelques-unes même, ainsi
que nous l'apprend l'auteur, sont de véritables portraits
de personnages connus de son temps, Couperin a suivi,
dans ce genre de musique, les formes usitées à son époque,
et empruntées à la musique de danse. La plupart des
auteurs qui l'ont suivi ont fait comme lui. La raison en est
probablement qu'ils ne concevaient pas d'autres formes
que celles-là. Au xix® siècle, Beethoven agrandit le cadre
de la symphonie, créa des formes plus larges, mais l'on
retrouve encore dans ces formes l'influence de la musique
de danse. Chez nous, BerUoz donna plus libre cours à son
génie. Tout en utilisant les formes que lui avcdent léguées
Beethoven et ses prédécesseurs, il ne s'y astreint plus
rigoureusement : il cherche principalement à adapter la
forme de sa musique à l'idée qui l'a fait jaillir. De nos jours
enfin, deux tendances se dessinent. Les uns, comme
yL. d'Indy et son école, restent attachés à la forme créée
par Beethoven. Ils revendiquent la nécessité absolue de
cette forme, même dans le poème symphonique ou le morceau
— 228 —
de genre, affirmant que la musique doit posséder son ordon-
nance propre qui ne peut être détruite par des considéra-
tions d'essence sentimentale ou littéraire. S'ils ont certai-
nement raison quant au principe sur ce dernier point, ils
ont tort quant à l'application de ce principe. Rien ne nous
dit, d'abord, que la forme de Beethoven soit la meilleure
possible. En outre, et d'une façon générale, les formes
musicales ne sauraient être, et n'ont jamais été, immuables.
Ce que Corelli appelait Sonate n'a qu'un rapport lointain
avec une Sonate de Beethoven. Les règles de l'art doivent
être prises d'un point de vue plus haut. Assimilant, comme
nous l'avons fait déjà, la musique à l'art oratoire, il est
évident que les éléments divers employés dans une même
œuvre, ou dans une partie de cette œuvre, doivent présenter
entre eux une certaine corrélation, que les grandes divisions
doivent être en assez petit nombre pour se graver dans la
mémoire de l'auditeur, que les proportions de ces divisions
doivent être en rapport les unes avec les autres, que l'intérêt
doit se renouveler d'un bout à l'autre de l'ouvrage sans
cependant que l'unité en soit rompue. Mais rien de plus.
La forme classique suffit-elle à communiquer ces qualités
à une œuvre ? Est-elle indispensable pour que ces qualités
existent ? Nullement : elle offre même un grave défaut,
celui de la fastidieuse reprise à la fin d'un morceau, de
motifs déjà entendus au commencement, et développés
dans le corps de ce même morceau, défaut dont Beethoven,
malgré son génie, ne s'est pas toujours défendu.
L'autre école, au contraire, nous a débarrassés du préjugé
de la forme fixe. Déjà Berlioz, comme nous l'avons vu plus
haut, varie dans la symphonie la forme des parties consti-
— 229 —
tuantes sans se référer absolument à des types connus et
classés. César Franck et son école, perfectionnant une idée
qui se trouve en germe dans la Symphonie fantastique et qui
consiste à faire reposer l'œuvre entière sur un thème
principal, et empruntant au drame wagnérien ses leit-motiv,
crée la forme qu'on a appelée cyclique. Mais cette forme,
si elle va bien avec le style de Franck, n'est pas une néces-
sité, et c'est avec raison que nos plus modernes musiciens
déclarent s'affranchir de toutes règles étroites, autres que
celles du goût qui détermine les proportions de l'ouvrage
entier et de ses parties constituantes. Ils essayent seulement
de donner à leur œuvre la forme qui leur paraît le plus en
rapport avec la nature de l'idée inspiratrice. Et c'est en
toute liberté que M. Charpentier nous chante ses Impres-
sions d'Italie, que M. Debussy nous décrit l'Après-midi
d'un Faune ou nous peint les Nuages fugitifs, que M. d'Indy
même nous fait passer avec lui un agréable Jour d'Eté à la
Montagne. MM. Debussy et Ravel dans leurs quatuors,
œuvres de musique pure, ne retiennent plus guère de la
forme de Beethoven que la grande division des mouve-
ments. Ce sont d'ailleurs des œuvres de jeunesse. La
symphonie proprement dite a laissé, nous l'avons dit, chez
nous, de plus en plus, la place à la musique à programme.
Ce fait est dû évidemment à notre attachement à la musique
dramatique, et aussi principalement au besoin de préciser
les sentiments et sensations que la musique élève en nous.
Le « Sonate que me veux-tu ? » de Fontenelle sera toujours
un peu vrai en France. Nous ne voyons pas en quoi la
musique à programme serait inférieure à la musique pure.
En tout cas, ce genre et la liberté d'expression qui en
— 230 —
résulte ont déjà fortement influencé beaucoup de compo-
siteurs étrangers.
* * *
En résumé, si le drame lyrique français a été quelque
peu dominé par l'influence wagnérienne, nous croyons
avoir démontré qu'il a su profiter de cette influence et la
transformer à son usage. Les résultats acquis jusqu'à ce
jour dans cette branche de l'art permettent d'en attendre
de beaux fruits, si une paix bienfaisante et féconde vient
rendre à nos artistes la possibilité de travailler. La musique
symphonique, de son côté, s'est développée merveilleuse-
ment et a affirmé son droit à s'exprimer en toute liberté
Aussi notre langue musicale s'est-elle enrichie d'une foule
de tournures nouvelles que les écoles étrangères cherchent
aujourd'hui à imiter maladroitement.
S'il y a à regretter quelques taches, quelques fautes
de goût de-ci de-là; si l'on peut désirer qu'une saine raison
ait plus de part à l'élaboration de l'ensemble ou des détails
de tel ou tel ouvrage; si l'on peut, à juste titre, se plaindre
d'une accumulation excessive de sonorités trop exquises,
voire trop mièvres; si l'expansion naturelle des rythmes
est parfois écourtée plus ou moins volontairement, on doit
cependant reconnaître que l'on trouve chez nos bons
auteurs modernes beaucoup de sincérité, beaucoup de cette
naïveté, de ce désir de faire bien qui est la véritable probité
de l'art et la marque très caractéristique du génie de notre
race.
Etienne Royer.
— 231 —
LA CURIOSITE
AMATEURS ET ARTISTES
Le goût varie comme toutes choses humaines, et la forme de
beauté qui séduit une génération est rarement la même que
celle qui recueillit les suffrages de la génération précédente. A
ce titre l'amateur est un miroir des mœurs de son temps, aussi
fidèle que l'artiste, et l'étude des collections n'est qu'un chapitre
de l'histoire générale. Le chevalier Lenoir et M. du Sommerard
éclairent le romantisme, le Musée Jacquemart-André rappelle
l'engouement pour la Renaissance italienne qui parraina l'œuvre
sans vie de tant de médiocres sculpteurs ; l'orientalisme eut
autant de fidèles chez les amateurs que chez les peintres et si
nous ignorions le culte qu'inspirèrent le xviii^ siècle et le Japon,
tout l'essor des cinquante dernières années resterait plein
d'obscurité.
Le mouvement artistique se rattache donc à tous les autres
ou, plus exactement, les mêmes tendances influent également
sur tous aux mêmes époques. Elles se marquent profondément
chez certains êtres plus sensibles, alors que d'autres n'en subis-
sent que les lointaines réactions, mais il existe un évident
parallélisme entre les recherches d'un collectionneur et les
travaux des peintres et sculpteurs autour de lui. Ce qu'aime le
premier se rattache aux mêmes courants d'idées que ce que
recherchent les seconds, ceux qui, du moins, ne sont pas des
— 232 —
Braole
Peinture.
o
'^
André Lhote
Colleciion Hahvo.scu. R. DE LA FkESNANE
Laurens
Odii-ON Redon
Dessin.
suiveurs attardés aux fomiules plus ou moins surannées et
déformées par l'usage.
A ce titre, le mouvement qui prit naissance dans les dernières
années précédant la guerre a marque dans la curiosité d'une
manière très nette. Il n'est peut-être pas inutile d'en noter les
traits principaux, puisque ces mêmes tendances persistent et
iront en s'amplifiant jusqu'au jour où une prochaine génération
recherchera dans un autre idéal des sensations nouvelles. Ce
mouvement se caractérise en quelques mots : baisse de la vogue
sur l'art du xviii« siècle et sur l'art du Japon ; attrait du clas-
sicisme français et de l'art spiritualiste des hautes époques
asiatiques.
La vente Doucet, en 1912, a marqué l'apogée duxviii« siècle.
Dès lors, la vogue des peintres charmants de cette époque est
en décroissance, qu'il s'agisse de Lancret, de Boucher ou de
Fragonard. Chardin mettra plus de temps à les suivre, pour des
raisons qui tiennent à la gravité de sa pensée, mais déjà il appa-
raît d'un bourgeoisisme suranné. Watteau échajjpepour l'instant
à cette réaction ; il y a en lui toute l'âme française, il est de tout
les temps, comme Rembrandt, mais il ne faut pas oublier que
Raphaël aussi fut une idole du goût et que cette idole nous
paraît aujourd'hui avoir usurpé la première place qu'elle occupa
si longtemps.
Concurremment avec les œuvres de notre xviii^ siècle, l'art
japonais avait conquis la faveur des délicats et des artistes. Qui
oserait soutenir que cette grande vogue persiste toujours ?
Gauguin et Van Gogh, s'ils revenaient parmi nous, retrouve-
raient-ils dans l'âme des jeunes artistes l'écho de leurs préoccu-
pations, les verraient-ils s'enthousiasmer au même degré pour
les étoffes et les bibelots qu'ils recherchaient avec frénésie ? Par
contre, Gauguin qui contemple avec tant d'amour les figures
sculptées par des peuples dont l'histoire n'est qu'une esquisse
— 233 —
sans consistance, verrait avec joie le fétiche d'un artisan
nègre avoir des admirateurs parmi les plus raffinés de nos
contemporains.
Mais, par-dessus tout, c'est la gravité de la Chine archaïque,
l'émotion intérieure des calmes figures de l'art asiatique à ses
hautes époques qui préoccupent les amateurs. Les terres cuites
des Han, ces statuettes funéraires qui atteignent parfois à la
grâce tanagréenne tout en se rapprochant de la rudesse de
Mycènes, ont des admirateurs fanatiques. Les savants explo-
rateurs de l'Asie, les Chavanne, les Aurai Stein, les Pelliot,
Sylvain Lévi, Foucher, Goloubew, Petrucchi ou Bacot, dans leurs
études désintéressées ont donné l'éveil aux marchands et les
expositions organisées avant la guerre par Victor Goloubew
et d'Ardenne de Tizac ont montré mainte statue et maint
tableau d'une intense beauté qui révélèrent la grandeur de
manifestations plastiques presque ignorées jusqu'à ces derniers
temps.
Les raisons de cette vogue sont les plus simples. Elles sont
les mêmes que celles qui inspirent les recherches des artistes
contemporains. Tous ces arts lointains, créés sous la préoccu-
pation d'idées religieuses, gardent, dans la liberté de leur expres-
sion et la profondeur de leur pensée, l'empreinte d'un canon
spirituel. Nos artistes, eux aussi, ressentent le besoin d'un
« canon », d'une règle. Ils veulent opposer la force d'une disci-
pUne consentie à la fantaisie de leurs devanciers. Par là, ama-
teurs et artistes affirment le parallélisme de leur pensée ; collec-
tions et peintures reflètent la gravité des temps alors que c'est
peut-être dans l'éparpillement et les reflets colorés de l'im-
pressionnisme sous toutes ses formes que les historiens futurs
chercheront l'empreinte de la douceur de vivre des premières
années du xx« siècle.
René Jean.
— 234 —
LES TAPIS DE MARTINE
iiiii^
iiiiiiiiiiiifiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiliiiiiiiiiiiiM
Ce lapis a été refusé par le jury permanent du Mu»ée Galliera.
— 235 —
LA ROSE DE ROSINE
Ni rouge, ni jaune, moins encore blanche. Je la
vois rose, toute rose, d'un rose égal, tendre, écla-
tant, si fraîche et si parfaite que je n'ai d'yeux
que pour elle, intacte et pure, d'une éblouissante
virginité.
Le soir tombe. Les jets d'eau égrènent leurs
notes d'argent. Un souffle passe au ras du sol et,
tandis que naissent et grandissent les bruits du
crépuscule, tout le peuple des fleurs entre en émoi.
C'est d'abord une agitation confuse, un frémisse-
ment d'inquiétude. Puis, une à ime, on les voit
pencher la tête et doucement refermer leurs
pétales. Elle seule reste immuable, garde son
épanouissement lumineux. Et voilà qu'im parfum
s'élève, le plus riche, le plus pénétrant, le plus
voluptueux des parfums. Il monte, se répand dans
la nuit, gagne les profondeurs du parc. C'est la
rose elle-même, la rose tout entière qui se donne
et la rose deux fois, puisqu'elle est la rose de
Rosine.
Roger Boutet de Monvel.
236 —
Dessin d'Iribe
^37
LA POUDRE
Les violons exhalent leurs sanglots. Les nappes
jonchées de fleurs resplendissent. Les flacons étin-
cellent ; et tandis que les hommes prennent des airs
excédés, leurs compagnes s'accoudent avec la plus
exquise insouciance. Tout ce beau monde est d'une
distinction suprême, nonchalant, froid, impeccable.
Mais, soudain, j'aperçois ime dame qui sur la table
pose un petit sac, sort du sac une petite glace et
s'examine avec angoisse le bout du nez. Qu'est-ce
à dire?... La voilà qui s'empare d'une houppe et
publiquement, délibérément, qui refait sa toilette,
s'enduit le visage de poudre, se lisse les sourcils, se
refait des cils. L'opération dure, se prolonge. Ce
n'est plus une femme qui s'observe dans un
miroir, c'est un peintre en train de faire des rac-
cords, un maçon qui ravale un pan de mur.
Mon Dieu ! Si j'étais femme et jolie, comme
j'aimerais mieux faire ma toilette chez moi et
comme je saurais trouver une poudre, une vraie,
qui d'une part sentît bon et de l'autre me tînt sur
le visage une fois pour toutes.
R. B. DE M.
Les parfums de Rosine.
- 238
..••*. .'
K.
Dessin de GirarJcloi
239
Dessin de Boussingault
240 —
^ /'^^nyrÂ/yrri^
ck.
— 241 —
16
MADAME ET MONSIEUR
Parfum de Rosine.
Ils sont faits l'un pour l'autre et, néanmoins,
séparément chacun a bien son charme. De même
un excellent ménage dont les conjoints auraient
des brouilles furtives et qui mettraient parfois im
intermède à leurs transports communs. Evidem-
ment l'indépendance a de quoi séduire. A ses
heures, Monsieur ne laisse pas d'y songer en
cachette et, seule dans son boudoir. Madame rêve
aux délices d'une aventure imprévue. Sans Mon-
sieur, Madame, à l'occasion, redevient tant soit peu
légère et coquette, et. Madame absente, U arrive
que Monsieur reprenne ses allures conquérantes de
jouvenceau. Vains désirs, égarements passagers.
D'instinct, bien vite, ils reviennent l'un vers
l'autre, trop heureux de n'être plus qu'un seul. Et
rien n'est bon ni beau comme un couple tendre-
ment imi, si ce n'est l'heureux mélange de deux
parfums jumeaux.
R. B. DE M.
— 242 —
Dessin de Boussingault
243
16
MAM'ZELLE VICTOIRE
Je me plais à penser que jadis les cantinières en
jupe courte en versaient un peu sur leur mouchoir
et je jurerais que ce fut le parfum d'Amanda au
temps où celle-ci aimait la friture et les prome-
nades en bateau. Car il porte en lui, ce parfum
charmant, toute la gaieté champêtre, le souvenir
des déjeuners sur l'herbe et des ébats du dimanche,
l'allégresse du départ et l'air vif du matin. Joyeux,
franc, primesautier comme des rires sous ime ton-
nelle ou comme un refrain de soldats qu'on chante
le long des routes, c'est lui qu'il faut choisir lors-
qu'on s'en va-t-en guerre ou qu'on part à la chasse .
R. B. DE M.
Les parfums de Rosine.
— 244 —
Dessin de Girardclo»
245
Mam'zelle Victoire, parfum </• Rosine.
— 246 —
Dessin de Laboureur
— 247
LE MOUCHOIR DE ROSINE
C'est Rosine qui l'a dit. Comme les fleurs répon-
dent aux couleurs, les couleurs répondent aux
parfiuns. Nuances délicates, raffinements subtils,
chers aux natures curieuses et sensibles. Avoir des
mouchoirs, cela va de soi. En avoir de soyeux et
fins, en avoir de tous les tons, rien encore jusque-
là de spécialement rare. Le mérite consiste à marier
savamment chaque parfum avec chaque ton et à ce
que les deux ensemble s'accordent avec l'humeur
du moment. Science ignorée du vulgaire. A chaque
mouchoir correspond une bague de même nuance
que l'on enfile sur son gant, emblème d'ime har-
monie parfaite.
Rosine s'éveille-t-elle incertaine et pensive,
encore sous l'impression de rêves confus? elle
n'admettra qu'un mouchoir vert, couleur du myrte
et symbole du mystère. Eprouve-t-elle une inquié-
tude secrète, quelque tourment jaloux ? Elle adop-
tera l'orange en souvenir de la capucine. Se sent-
elle en humeur de trahir ? Alors ce sera le rouge, la
pivoine. Mais plus souvent, je pense, elle choisira le
jaune, autrement dit la jonquille, le désir, ou mieux
encore le bleu, bleu tendre du volubilis, bleu divin,
pronostic des caresses, parfois même enfin le rose,
couleur de sa fleur préférée, et le rose cela voudra
presque dire consentement.
Roger Boutet de Mouvel.
— 248 —
Le mouchoir de Rosine.
Deêiin de Laboureur
249 —
LES TAPIS DE MARTINE
MluiiiiiiiiiiiiiiiDiiiiiiiiiiiiiiKiiiiiiiiiMiiimiiiillilMUllH
lMMiiMMfl»niit»miimft»»MMn»Mft„M»«».M»M«HMM»»M
250 —
TABLE DES MATIÈRES
CALENDRIER-ANTHOLOGIE pour 191 7- Bois gravés originaux
de Raoul Dufy 19
Poésies : Le Lion s'en allant en guerre (Lz. Fontaine) 21
Rcnideau (Jean Meschinot) 25
Ode (Ronsard) 29
La jeune Tarentine (André Chénier) 33
Chant de May et de Vertu (Marot) ^7
A la Rose (Ronsard) 41
Plainte de Céladon (D'Urfé) 45
Vers gravés sur un Oranger (Pamy) 45
Ballades des Menus Propos (Villon) 49
Prière à la Nuit (Millevoye) 53
Soupir (Mallarmé) 57
Le Dormeur du Val (Rimbaud) 57
Stances (Jean Moréas) 61
Sur f Hiver (Gentil-Bernard) 65
Pensées : Bossuet 21 ; Jean Moréas 25; Vauvenargues 29, 05 ; Mozart 33 ;
Gœthe 37; Voltaire 41; Sainte-Beuve 45 ; Renan 49; Montesquieu 53,
61 ; Chamfort, Rivarol 57.
Variétés : Les Quatre Complexions 20
Le Gras et le Maigre 24
Les Vents locaux 28, 32
Physiognomonie 36
Horloge de Flore 40
Controverses médicales 44
Pronostics de pluie tirés des animaux 48
La diète de quelques Grands hommes 52
Glossaire du veneur 56, 60
Proverbes culinaires 64
— 251 —
Le Jardin Potager, le Jardin d'Agrément, la Cave, 22, 26, 30, 34,
38, 42, 46, 50, 54, 58, 62, 66.
Recettes de Cuisine : Potée à l'oie 22 : Risotto au poisson 26; Tourne-
brides Jenay 30; Quiche lorraine 34; Meurette beauaoise 34; Poulet
au paprika 38; Vinaigre aromatisé 42; Gras-double frit 46; Pudding
Pèlerin 50; Poulet à la Belvocelle 54; Endives monégasques 58; Pistou
62 ; Cheveux d'Ange 66.
RECUEIL DE PIÈCES NOUVELLES
Méditation, par Paul Bourdin 69
Le Doctrinal des Preux, poème par André Mary jj
Les Masqxies de la guerre, essai par Emile Godefroy 83
L'homme ne vit pas seulement de pain, essai par Raymond dk la
Tailhède 99
Le Buveur et la guerre, ode allégorique pair Maurice du Plessys . 107
Sur les Routes de la Mer, par Maxime Girieud 113
Chœur des Océanides, poème par Raymond de La Tailhède ... 120
De l'Art Moderne, essai par un Amateur. 123
Fragment de Falourdin, satire par Fernand Fleuret 135
La Dramaturgie d'Auzias, essai par Emile Godefroy 139
La Sainte promenade de Bruno, sonnet par Maurice du Plessys. . 171
Comment je fis la œnnaissance de Renoir, par Ambroise Vollard. 172
Narcisse, poème par Léon Guillot 178
Bout-de-Canard, conte populaire champenois 188
Poésies, par Vincent Muselli 196
Les Trompes de la Bise, sonnet par Annibal de Monchanut ... 198
Secteur 133, conte par André Salmon 199
Mon cher Ludovic, conte par Guillaume Apollinaire 204
Dieu, conte en vers par Raoul Ponchon, illustré par J. Dépaquit. 208
Mémoires de celle qui a trouvé un mari, par Max Jacob 212
Quelques aperçus sur l'état présent de la musique, par Etienne Royer. 218
La curiosité, par René Jean 232
Imp. de Vaugirard, H.-L. Moin, directeur, 12-13, impasse Roasin Paris.
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéonce
The Library
University of Ottawa
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